Publié sur Voix Arabes

D’où viennent les pneus et pourquoi ? Regards sur le commerce informel en Tunisie

A l’heure où le gouvernement a légitimement déclaré une bataille féroce contre la contrebande, il existe très peu d’études expliquant, chiffres à l’appui, les raisons qui ont conduit à l’expansion de ce phénomène. A titre d’exception, on peut citer l’étude  de la Banque mondiale  sur le  commerce transfrontalier informel  réalisée en 2013  .

Plus récemment, une étude faite par un ancien haut responsable de la douane tunisienne sur le marché des pneus en Tunisie estime que le marché est actuellement dominé à 73% par le secteur informel.
 
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Cette estimation est évidemment difficile étant donné le manque de données disponibles et l'absence de statistiques précises sur le parc automobile en circulation. Néanmoins, il est possible d’estimer le besoin du pays en pneus à partir du nombre de véhicules en circulation multiplié par un coefficient de consommation annuelle pour chaque catégorie de voiture.
 
Cette étude estime ainsi à près de 270 millions de dinars les importations informelles pour des importations formelles de 40 millions et une production nationale de la STIP de 60 millions.
Encore plus intéressant sont les principales raisons expliquant cette expansion de la contrebande : une pression fiscale à l’importation de 94 % et des barrières non tarifaires en soumettant, par exemple, chaque opération de dédouanement à une autorisation.

Quels sont les types de protections en plus de la protection tarifaire ? Même si le cadre légal ne l’exige pas en pratique, à l’appui de la déclaration douanière de mise à la consommation, l’importateur doit produire un certificat de conformité délivré par la direction générale des industries manufacturières qui décide d’accorder ou non la possibilité d’importation. Dans certains cas, cette direction s’abstient de donner l’autorisation pour les catégories de pneus fabriqués par la STIP (Société tunisienne des industries de pneumatiques) et dans d’autres cas, elle impose des contingents à l’importation en contrepartie de l’obligation d’achat d’une quantité de pneus auprès de la STIP.

Philip Lange l Shutterstock.comIl existe donc un grand pouvoir discrétionnaire de l’administration pour accorder ou non la possibilité d’importer légalement.  A cause de la nécessité quelques fois d’acheter certaines quantités auprès de la STIP, l’incitation à importer légalement des pneumatiques en Tunisie est donc très faible et explique probablement pourquoi la contrebande est aussi développée.

Il existe probablement plusieurs raisons expliquant l’importance de la protection des importations de pneus, l’une d’entre elles étant probablement la présence de la STIP dans ce secteur. La STIP a été créée en 1980 à l’initiative d’un pool de banques de développement en association avec PIRELLI, avec pour objet la fabrication et la commercialisation des pneumatiques et autres articles en caoutchouc manufacturé. La STIP dispose d’une usine à Msaken, à 150 km au sud de Tunis et d’une usine à Menzel Bourguiba, à 60 km au nord de Tunis et emploie probablement moins de 1000 personnes sur ses deux sites.

Malgré cette protection, la société connaît de grosses difficultés avec un endettement croissant. Il est probable qu’à cause de la présence de cette entreprise, le marché des pneumatiques soit complètement distordu.

Dans ce cas, une simple lutte répressive contre la contrebande a tout de même peu de chances de réussir car les incitations à la contrebande sont très importantes à l’heure actuelle. La lutte contre la contrebande nécessite une réduction des droits de douane à 15% au maximum (contre 27%), une suppression du droit de consommation (30% actuellement) et une libre importation de pneus répondant aux normes par les titulaires du cahier des charges. 

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, on peut penser qu’une réduction drastique des droits de douane et une suppression du droit de consommation aura des effets positifs sur les recettes de l’Etat car aujourd’hui, ce sont environ 35 millions qui sont collectés. Or, avec un droit à 15%, ce serait près de 50 millions qui seraient collectés car on peut penser qu’avec une réduction des barrières tarifaires et une suppression des barrières non-tarifaires, il n’y aurait plus d’intérêt important à la contrebande.

L’exemple des pneumatiques montre ainsi que la contrebande est souvent le résultat de barrières tarifaires et non-tarifaires héritées depuis des décennies et qu’une solution répressive exclusive est appelée à échouer comme cela a été le cas dans le monde entier.

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