Publié sur Voix Arabes

Tunisie : le combat des femmes pour participer à la vie publique

Image Le 26 octobre prochain, les Tunisiens se rendent aux urnes pour élire les 217 députés qui, pendant cinq ans, présideront aux destinées de ce petit pays méditerranéen. Il s’agit des premières élections organisées depuis la promulgation de la nouvelle Constitution. Au-delà des surenchères politiques liées à la campagne, un autre combat se joue : celui des femmes.
 
Où sont passées toutes les « femmes de la révolution » se demandait déjà Rabiaa Najlaoui en 2011, en s’inscrivant comme observatrice du scrutin dans sa ville natale de Kasserine. Membre du parti Nidaa Tounes, première formation laïque du pays, Rabiaa avait pu voir que les candidats les mieux placés de son parti étaient pour la plupart des hommes. Et ce, malgré le rôle de premier plan joué par de nombreuses femmes pendant la révolution du Jasmin.
 
Exaspérée par ce constat, elle avait alors décidé de se présenter aux législatives. « Je devais battre en brèche l’idée selon laquelle la politique ne serait pas pour les femmes », m’a-t-elle expliqué le mois dernier, lors d’une rencontre au palais du Bardo, siège de la Chambre des députés, où elle a passé les deux dernières années à discuter du contenu de la nouvelle Constitution.
 
Le Printemps arabe a bouleversé sa vie, ne serait-ce que pour avoir vu de jeunes manifestants se faire tirer dessus dans son quartier d’Ezzouhour. Rabiaa Najlaoui pense avoir « vécu tous les instants de cette révolution ». Mais de là à vouloir contribuer à forger l’avenir du pays... À 23 ans, elle avait tout juste l’âge autorisé pour se présenter aux élections internes de son parti. « Tout le monde se moquait de moi, en se demandant ce qu’une ‘petite fille’ comme ça pouvait bien faire ». Et d’ajouter, en souriant : « ils m’ont sous-estimée ».
 
La Tunisie est souvent considérée comme le pays le plus libéral de la région en matière de droits des femmes, relativement bien ancrés. Depuis 1956, le Code du statut personnel octroie les mêmes droits aux hommes et aux femmes et proscrit la polygamie ainsi que la répudiation. La nouvelle Constitution du 26 janvier 2014 entérine ces droits —certains y voyant une nouvelle victoire pour l’égalité hommes-femmes. L’article 23 de la loi électorale stipule que les listes établies par les partis politiques doivent respecter cette égalité : « les candidatures sont présentées sur la base du principe de parité entre femmes et hommes et de la règle d’alternance entre eux sur la liste. » Chaque parti peut déposer une liste par circonscription qui représente ses candidats aux élections législatives. Mais pour la désignation des têtes de liste, la réalité est tout autre : sur les 1 315 listes déposées pour le prochain scrutin, 145 seulement (soit environ 10 %) sont conduites par des femmes.
 
Pour Rabiaa Najlaoui, il faut faire évoluer les mentalités. Le changement commence par là. Même son père était dubitatif : « Il m’a encouragée, certes, mais il n’y croyait pas, à l’inverse de ma mère. Et ça fait toute la différence », affirme-t-elle. Et il n’y a pas que les hommes qui ont pensé qu’elle était folle. Certaines femmes lui ont demandé « pourquoi [elle] s’infligeait cela. »
 
Elle estime que si de nombreuses Tunisiennes se tiennent à l’écart de la politique, c’est par peur du qu’en dira-t-on, qui pourrait les empêcher ensuite de « trouver un mari ». Rabiaa n’a pour sa part jamais regretté sa décision (« je suis fière de moi »). Au départ, elle n’y allait pas pour gagner, mais « seulement pour participer. Je voulais transgresser les règles ». Malgré sa passion et sa détermination pourtant, elle n’aura pas sa place dans les élections législatives de cette année — une décision qui lui a été imposée. « J’aurais adoré aller au bout, bien sûr, mais ce n’est pas en mon pouvoir ». Car son parti ne l’a pas inscrite sur la liste de candidats dans sa circonscription.
 
Alors que Rabiaa quitte temporairement la scène politique, une autre jeune femme, Haifa Belkhir, espère remporter un siège. « Je veux aider ma région », m’a-t-elle expliqué chez elle, à Siliana, une région agricole pauvre et de tout temps marginalisée. « La situation économique est la priorité numéro 1 ici. Nous devons faire reculer le chômage avant qu’il ne nous tue ».
 
Sa décision d’entrer en politique n’a pas non plus été facile. « Pour les femmes tentées par la politique, le temps est le facteur le plus contraignant », souligne-t-elle. À 30 ans, cette jeune mère d’un petit garçon de 8 mois tente de concilier maternité, engagement politique et travail (elle est enseignante). Heureusement, son mari la soutient. « Il est à mes côtés et me donne confiance en moi », précise-t-elle. Pour elle, la politique est un devoir : « les femmes doivent prendre leur destin en mains ». Haifa figure en troisième position sur la liste de son parti de centre-gauche, Ettakattol, dans sa ville natale d’Al-Karib.
 
Pour les premières élections démocratiques d’après la révolution de 2011, la moitié des candidats étaient des femmes mais elles n’ont été que 23 % à entrer à l’Assemblée nationale (décrochant 49 sièges sur 217) — un résultat qui a pourtant placé le pays au-dessus de la moyenne mondiale de femmes députés, qui est de 21,8 % selon l’Union interparlementaire. Pour autant, le gouvernement sortant ne comptait que deux femmes ministre Amel Karboul, Ministre du Tourism  et Najla Moalla Harrouch, Ministre du Commerce, et même si la nouvelle Constitution garantit le droit des femmes à se présenter à la présidentielle, une seule fait partie de la liste des 27 prétendants, la juge Kalthum Kannou.
 
Pour Rothna Begum, chercheur à Human Rights Watch, la Tunisie est l’un des rares pays de la région dont la Constitution oblige le parlement à respecter la parité entre les sexes. Elle insiste donc sur l’importance de recruter des femmes pour mener campagne et occuper des postes visibles.
 
Comment attirer les femmes en politique ? Pour Haifa Belkhir, il faut aller leur parler, les familiariser avec l’idée que les femmes peuvent participer à la vie publique. C’est à ce prix que les mentalités évolueront. Elle rappelle, comme Rabiaa Najlaoui, que l’apparition de femmes politiques tous les jours à la télévision commence à faire bouger les lignes.
 
« Je suis convaincue… », affirme Rabiaa qui semble s’être armée de patience, « qu’il faut suivre une politique de petits pas. Chaque chose en son temps ».
 
Le combat des femmes tunisiennes qui veulent faire de la politique vient à peine de commencer  

Auteurs

Christine Petré

Rédactrice en chef du site web "Your Middle East"

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