Publié sur Voix Arabes

Des sukuks pour promouvoir la vaccination : les obligations islamiques contribuent au développement économique et social

Shutterstock l ZurijetaOn parle de « finance éthique » pour décrire la finance mise au service de la société et de l’environnement. Ce mode de financement suscite de plus en plus d’intérêt depuis la crise financière mondiale de 2008. La finance islamique et les fonds d’investissement socialement responsables (ISR) sont les deux segments qui affichent la plus forte expansion.
 
Il y a encore peu de temps, ces deux marchés étaient très distincts l’un de l’autre, faisant intervenir des catégories d’investisseurs différentes, dans des zones géographiques différentes. Ils sont désormais réunis par le service du Trésor de la Banque mondiale, qui a aidé la Facilité internationale de financement pour la vaccination (International Finance Facility for Immunization, IFFIm) à émettre deux sukuks (parfois appelés « obligations islamiques ») en moins d’un an.
 
L’IFFIm est une organisation internationale qui finance la vaccination des enfants et qui renforce les programmes de santé correspondants dans les pays les plus pauvres, via Gavi Alliance, l’Alliance pour le Vaccin. Soutenue par neuf États souverains (Royaume-Uni, France, Italie, Norvège, Australie, Espagne, Pays-Bas, Suède et Afrique du Sud), l’IFFIm lève des fonds sur les marchés financiers internationaux. Ces opérations de collecte de fonds sont gérées par la Banque mondiale, le trésorier principal de l’IFFIm, sous la supervision du conseil d’administration bénévole de l’IFFIm.
 
L’IFFIm a émis son premier sukuk, à échéance de 3 ans, en décembre 2014. Elle a pu lever 500 millions de dollars grâce à ce titre, le plus important sukuk alors proposé par une entité supranationale. Ce «  Vaccine Sukuk » a introduit le concept d’investissement socialement responsable (ISR) sur le marché des sukuks. C’était la première fois que la plupart des investisseurs dans les sukuks s’intéressaient à une catégorie de titres ayant des effets bénéfiques à la fois pour l’économie et pour la société. De fait, les sukuks offraient un taux de rendement compétitif tout en permettant de financer la vaccination d’un plus grand nombre d’enfants dans des régions en développement.
 
Ce premier sukuk a été très bien accueilli par les marchés et il a remporté de nombreux prix, notamment celui de « la meilleure innovation en finance islamique » (Euromoney) et de « produit le plus performant dans le domaine de la finance transformationnelle » (Financial Times) ; le terme « finance transformationnelle » désigne un financement qui change réellement la donne. L’attrait des sukuks de l’IFFIm repose sur deux caractéristiques novatrices : la capacité de l’IFFIm à recourir aux marchés financiers pour concentrer d’emblée les engagements des donateurs sur la mission de Gavi (sauver des vies), et une structure innovante permettant à un émetteur traditionnel d’aller sur les marchés de la finance islamique. Fortes du succès du premier sukuk, l’IFFIm et la Banque mondiale ont décidé de réitérer ce type d’émission en septembre 2015.
 
Le marketing du premier sukuk avait largement consisté à familiariser les investisseurs avec le concept d’investissement socialement responsable. Pour ce deuxième sukuk, l’émetteur a aussi déployé des efforts concertés afin de présenter son produit aux investisseurs traditionnels dans des fonds socialement responsables. C’était la première fois que nombre de ces investisseurs envisageaient de souscrire un sukuk.
 
L’émission du deuxième Vaccine Sukuk a été supervisée conjointement par un consortium bancaire très solide, composé de la Standard Chartered Bank (qui a également assuré la coordination au niveau mondial), d’Emirates NBD, de la Maybank, de la National Bank of Abu Dhabi et de NCB Capital. Par ailleurs, l’IFFIm a réuni deux banques internationales chefs de file pour la gestion, Morgan Stanley et le Crédit Agricole. Ces deux banques avaient pour mission principale d’attirer les investisseurs classiques dans des produits financiers durables. Elles ont ainsi expliqué en détail aux investisseurs potentiels ce qu’était un sukuk et en quoi consistaient les opérations sous-jacentes nécessaires pour que ce type de titres soit conforme au droit religieux islamique (la charia).
 
Le Vaccine Sukuk présentait des caractéristiques techniques analogues à celles d’une obligation à taux variable (taux d’intérêt indexé sur un taux de référence), mais une structure que la plupart des investisseurs dans des produits financiers durables ne connaissaient pas. Il a donc fallu montrer à ces investisseurs pourquoi cette structure imposait de constituer un véhicule  ad hoc, un special purpose vehicle (SPV).
 
Pour nombre d’investisseurs classiques, un titre émis via un SPV s’apparente à un produit structuré, tel qu’un titre adossé à des actifs (ABS), où les actifs sous-jacents d’une entité sont transférés à un véhicule juridiquement distinct, ce qui permet de structurer la dette : le risque lié aux actifs sous-jacents est supporté par les investisseurs, et non par l’entité émettrice. Dans certains cas, les investisseurs définissent en interne des critères limitant la souscription de ce type de produits structurés.
 
Malgré des similitudes entre la structure de financement du Vaccine Sukuk et celle d’un ABS, le risque de crédit a été entièrement supporté par l’IFFIm, emprunteur noté AA (l’une des notes de solvabilité les plus élevées). Cela signifie que, grâce à son excellente assise financière, l’IFFIm sera à même de rembourser les investisseurs quelle que soit la valeur des actifs sous-jacents. Il a été crucial de bien faire comprendre cet aspect aux investisseurs classiques pour réussir à leur vendre ce sukuk éthique.
 
Les efforts déployés par l’IFFIm pour informer les investisseurs se sont révélés payants : le deuxième Vaccine Sukuk, lui aussi à échéance de trois ans, a permis cette fois de lever 200 millions de dollars et a été sur-souscrit 1,6 fois. Au total, les deux Vaccine  Sukuks ont rapporté, en moins d’un an, 700 millions de dollars, pour des ordres de souscription dépassant largement le milliard de dollars. Cette forte demande, qui émane à la fois des investisseurs traditionnels dans les sukuks et des investisseurs classiques, notamment de ceux qui privilégient les ISR, témoigne de grandes possibilités de convergence entre la finance islamique et les investissements durables classiques.
 

Auteurs

Michael Bennett

Directeur Solutions du marché et financements structurés, Trésorerie de la Banque mondiale

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