Publié sur Voix Arabes

Ce que nous dit la victoire de l’Algérie à la Coupe d’Afrique des nations sur le développement économique

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L’Algérie vient de remporter, ce 19 juillet, la Coupe d’Afrique des nations. Cette consécration footballistique intervient alors que les manifestations de masse de la jeunesse du pays, qui réclame un changement radical, bouleversent le paysage politique. C’est cette perspective de transformation qui a soudé les Algériens et donné toutes les audaces à l’équipe nationale. Reste à propager à l’ensemble de la société la volonté de gagne dont ont fait preuve les joueurs pour réaliser les réformes économiques indispensables qui permettront d’offrir à une jeunesse très instruite les chances d’accéder à un emploi digne de ce nom.

Le modèle de développement de l’Algérie a déçu les aspirations d’une main-d’œuvre jeune, éduquée et de plus en plus féminine à une véritable émancipation économique. Car le pays reste englué dans la transition entre une économie dirigée, bâtie à coups de subventions et d’emplois publics, vers une économie de marché. Malgré certaines périodes de libéralisation, des décennies de mainmise de l’État ont conforté le capitalisme de copinage, où les liens politiques priment largement sur les résultats. Il est dès lors très difficile pour la plupart des Algériens de concevoir l’utilité des forces du marché pour le développement.

C’est là où le football intervient, avec quatre enseignements susceptibles d’aider le pays à repenser son économie et son modèle de développement.

 

 

Première leçon : l’importance de la concurrence et la puissance des forces du marché. Trop souvent encore en Algérie, les prix sont contrôlés et ce sont des monopoles, publics ou privés, qui fixent les règles, empêchant les plus talentueux de se mobiliser pour transformer l’économie nationale et dissuadant les investisseurs étrangers de lancer des opérations dans le pays. La fonte des recettes pétrolières et gazières compromet fortement la survie d’une économie dominée par l’État. D’où l'exemplarité du football, qui montre comment les mécanismes de marché découvrent et récompensent les talents en fonction de leur performance, sans favoritisme. Les marchés ne fonctionnent bien que si les barrières à l’entrée sont minimales et le droit à l’erreur toléré. Les économistes parlent de « contestabilité ». Les équipes de footballeurs qui ne peuvent pas remplacer les joueurs devenus moins performants sont vouées à l’échec. De même, les économies où les entreprises en place exploitent à plus soif leur filon manquent de dynamisme et sont incapables de créer des emplois de qualité.

Deuxième leçon : l’importance de mobiliser les talents. En moins d’un an et sous l’impulsion de son entraîneur, Djamel Belmadi, l’équipe nationale de football a su attirer les meilleurs joueurs algériens, qu’ils appartiennent à des clubs nationaux ou étrangers — Royaume-Uni, France, Portugal, Espagne, Turquie, Italie, Tunisie, Arabie saoudite, Qatar et Amérique du Nord. Comme tous les pays en développement, l’Algérie est confrontée à la fuite de ses talents. Depuis son indépendance en 1962, le pays a investi massivement dans l’éducation, mais bon nombre de ces diplômés du supérieur — les meilleurs étant surtout des femmes — partent à l’étranger en quête de débouchés. Le gouvernement doit suivre l’exemple de l’équipe nationale pour créer un environnement capable de repérer et d’attirer des talents algériens dans le pays ou ailleurs. S’il parvient à s’appuyer sur ses ressources intérieures et sur la diaspora et, parallèlement, à ouvrir les marchés, le pays réussira à accroître sa productivité et relancer sa croissance, sachant que le rythme actuel de moins de 2 % par an est loin de suffire pour créer le type d’emplois susceptibles d’attirer des nouveaux venus. Le pays doit viser un taux de 6 %. La mobilisation de la diaspora algérienne améliorera aussi l’intégration du pays, grâce aux réseaux et aux capitaux de celles et ceux qui entretiennent une étroite affinité avec leur patrie.

Troisième leçon : l’importance des gestionnaires. M. Belmadi, incarne ce leadership équitable et exigeant, ayant les capacités techniques et stratégiques nécessaires pour faire d’une juxtaposition de talents individuels une équipe supérieure aux autres. Dans de nombreux pays en développement, comme l’Algérie, soit les gestionnaires ne sont pas recrutés selon les bons critères, soit ils n’ont pas les moyens d’agir à leur guise. Pour transformer son économie, l’Algérie doit, comme son équipe de football, sélectionner des responsables dans le secteur public et privé sur la base du mérite, leur faire confiance — quelles que soient leurs relations — et leur donner les marges de manœuvre et l’indépendance nécessaires pour décider, sélectionner et récompenser les meilleurs. Grâce à ces responsables compétents et autonomes, l’ancien mode de gouvernance descendant cèdera la place dans les entreprises à une gouvernance ascendante plus réactive et mieux formée, capable de stimuler la croissance.

 

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Quatrième et dernière leçon : l’importance de l’arbitre. Sans arbitre compétent et indépendant, le match ne peut pas être libre et équitable. Dans le monde économique, c’est le rôle dévolu aux régulateurs — qu’ils supervisent un secteur, comme les télécommunications, ou l’économie tout entière quand il s’agit des autorités de la concurrence. La réglementation joue un rôle clé pour préserver la libéralisation des marchés et éviter la constitution de monopoles. L’hostilité de la population à l’égard des marchés ouverts peut être combattue par un arsenal réglementaire suscitant la confiance et des capacités adaptées pour faire respecter les règles afin de garantir une concurrence réelle et équitable. Et, comme dans le football, la technologie peut aider. L’arbitrage vidéo mis en place depuis peu permet à l’arbitre de revoir une séquence de jeu et d’apprécier l’opportunité de sa première décision. En plus de renforcer sa compétence et son indépendance, ce nouveau processus le rend redevable de ses actes. Tel est l’exemple que doivent suivre les organismes de réglementation : prendre des décisions en toute transparence et répondre de leurs actions.

L’Algérie a une occasion unique d’engager des réformes audacieuses pour transformer son économie. Elle a les talents. Lui manque juste la volonté politique pour attirer des gestionnaires compétents et leur donner les moyens d’agir. Elle doit pour cela renforcer sa gouvernance institutionnelle et son appareil réglementaire afin que les règles du jeu soient équitables et porteuses d’innovation. L’équipe nationale de football lui offre une magnifique source d’inspiration.


Auteurs

Rabah Arezki

Ancien économiste en chef pour la Région MENA

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