Publié sur Voix Arabes

Quand les lumières s’éteignent, ou comment mieux cerner l’impact de la crise COVID-19 dans les villes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord

An aerial view of West Bay, Doha City, Qatar, appears at sunset. An aerial view of West Bay, Doha City, Qatar, appears at sunset.

La pandémie de coronavirus (COVID-19) a frappé les villes de plein fouet. Du jour au lendemain, des centres urbains bourdonnants d’animation sont devenus l’ombre d’eux-mêmes, pour cause de confinement et autres mesures restrictives. Si ces mesures de santé publique ont freiné la propagation du virus, elles ont aussi provoqué une profonde récession dans de nombreuses agglomérations.

Toutes les villes n’ont cependant pas été atteintes au même degré. Aux États-Unis, Chetty et al. (2020) indiquent que si les dépenses des ménages ont chuté de mi-mars à mi-avril à Baltimore comme à San Francisco, elles se situaient à mi-juillet à près de 2 % au-dessus de leur niveau de janvier dans la première de ces villes et à plus de 23 % en dessous dans la seconde. L’équipe de chercheurs de l’institut Opportunity Insights a mis au point un indicateur de suivi économique (a) qui permet de mettre en évidence les villes, comtés ou quartiers qui ont le plus de mal à surmonter la crise.

Un tel suivi en « temps quasi réel » est précieux pour évaluer l’ampleur des pertes subies et comprendre les effets des mesures d’atténuation des risques de propagation du virus sur les économies urbaines. Il permet en outre d’adopter de meilleures stratégies de lutte contre la pandémie.

Pourquoi mesurer l’éclairage nocturne ?

Il est difficile de reproduire le travail de Chetty et al. pour les villes de pays en développement, faute de données recueillies à intervalles fréquents et réguliers. Nous avons cependant été en mesure d’expérimenter une démarche reposant sur des relevés quotidiens de l’éclairage nocturne obtenus par imagerie satellite (a). Développée pour la première fois en 2012 dans une étude réalisée par Henderson, Storeygard et Weil (a), l’utilisation des données sur l’éclairage nocturne pour suivre les variations de l’activité économique est aujourd’hui largement admise.

Sur un échantillon de 50 villes situées dans 18 pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA), nous avons, à l’aide de composites mensuels d’images satellite obtenues par temps clair, utilisé les variations de l’éclairage nocturne comme indicateur indirect de l’évolution de l’activité économique. Puis, pour estimer le rôle des mesures de confinement et autres restrictions dans ces changements, nous avons construit pour chaque ville un « indice de rigueur » établi, au jour le jour, à partir des données de l’outil de suivi des mesures gouvernementales de lutte contre le coronavirus conçu par l’université d’Oxford (a).

Si les villes ont toutes vu leur éclairage diminuer fortement, la reprise est plus ou moins rapide de l’une à l’autre

Avant la pandémie, les données mensuelles d’éclairage des villes s’inscrivaient dans une tendance de croissance proche de celle observée sur le temps long depuis avril 2012. La figure 1 indique en revanche une forte baisse de l’intensité lumineuse en mars 2020, commune à l’ensemble des villes de la région MENA et coïncidant avec la mise en application de strictes mesures de confinement et de restriction.

Corrigé des variations mensuelles « normales » par ville, l’éclairage médian s’avère inférieur d’environ 12 points de pourcentage en mars 2020 par rapport à décembre 2019. Avec l’allègement des mesures de confinement, l’intensité lumineuse repart à la hausse de façon modérée en avril, puis plus marquée en mai.

Figure 1. Évolution médiane de l’intensité lumineuse depuis décembre 2019 dans les villes de la région MENA

Figure 2. Median changes in light intensity from the December 2019 baseline for MENA cities

Note : Valeurs établies pour 47 villes (hors Yémen). Le graphique montre les variations mensuelles par rapport à décembre 2019, date de référence correspondant à la tendance pré-pandémie estimée pour chaque ville.

L’exemple de Constantine, en Algérie, illustre bien cette trajectoire moyenne. On observe sur la figure 2 qu’après une augmentation en février, l’intensité lumineuse connaît une nette diminution de 25 points de pourcentage en mars, moment où son indice de rigueur est à son maximum. Avril voit cette baisse se poursuivre, dans une mesure plus modérée. L’intensité lumineuse se renforce quelque peu en mai, mais l’éclairage de la ville demeure inférieur d’environ 15 points de pourcentage à celui de décembre, après correction des variations mensuelles « normales ».

Figure 2. Évolution de l’éclairage nocturne et des mesures de confinement à Constantine (Algérie) 

Figure 3. E?volution de l?e?clairage nocturne et des mesures de confinement a? Constantine (Alge?rie)

Note : Dans les zones en rouge, l’intensité lumineuse diminue ; dans les bleues, elle augmente.

Toutes les agglomérations de la région MENA n’affichent pas une évolution identique. Si une importante baisse de l’intensité lumineuse en mars est un trait commun, certaines villes (à l’instar de Sousse, en Tunisie) retrouvent leurs niveaux d’intensité habituels plus vite que d’autres (comme Dubaï, aux Émirats arabes unis), qui peinent à retourner à la normale. Cela pourrait s’expliquer par des différences soit dans les mesures adoptées, soit dans la situation préalable de chaque ville, en termes de structure économique notamment.

Une base pour l’action à mener

Nos résultats donnent à penser que l’éclairage nocturne peut refléter des changements dans l’activité économique des villes à une fréquence « proche du temps réel ». Notre démarche nous permet d’identifier les villes que la pandémie a le plus rudement touchées du point de vue économique, et que, par conséquent, il convient sans doute de soutenir davantage.

Les données sur l’éclairage étant disponibles pour toute la planète avec une résolution spatiale élevée, cette méthode est applicable à d’autres villes de la région MENA ou d’ailleurs. Elle peut servir de base à l’adoption de mesures et de plans, en particulier sur des questions de plus vaste portée, comme par exemple la résilience des villes, en suscitant un débat sur les investissements nécessaires pour qu’elles résistent mieux à de futurs chocs.

Et ensuite ?

Dans une nouvelle étape de notre travail, nous allons étudier l’intérêt de fusionner des données sur l’éclairage avec d’autres données collectées à intervalles rapprochés, par exemple en matière de concentrations en dioxyde d’azote (a) ou de congestion automobile. Cela nous permettra peut-être de concevoir un indicateur indirect de l’activité économique encore plus fidèle et de suivre ainsi la reprise de chaque ville après la crise COVID-19. Nous chercherons aussi à savoir pourquoi certaines agglomérations souffrent plus que d’autres des effets de la pandémie, en exploitant par exemple des données relatives à leur structure économique.

Les résultats de ces recherches nous aideront, espérons-le, à soutenir les efforts des villes pour se reconstruire plus vite et sur des bases plus solides après la crise sanitaire.

La rédaction de ce billet a bénéficié des commentaires de Somik Lall.

Auteurs

Mark Roberts

Économiste senior, Banque mondiale

Jaafar Sadok Friaa

Spécialiste principal du développement urbain

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