L’an dernier, nous avions rédigé un billet (a) et une note d’orientation (a) sur les défis auxquels les systèmes de santé du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) pourraient se heurter du fait de la COVID-19. Estimant que la pandémie exacerberait les faiblesses des systèmes de santé de la région MENA, nous avions recommandé la mise en œuvre de réformes du financement de la santé visant à améliorer la viabilité et l’équité des soins ; renforcer les systèmes d’information pour favoriser une réponse proactive ; et assouplir les prestations de services pour limiter au maximum leur désorganisation. Un an plus tard, où en sont les services de soins essentiels et les systèmes de santé des pays de la région MENA ?
Des services de santé essentiels considérablement perturbés
La pandémie a fortement désorganisé les services de santé essentiels de la région. Dans une série de deux enquêtes (a) menée par l’Organisation mondiale de la santé entre mai et septembre 2020, 74 % des pays font état de perturbations dans le traitement des maladies transmissibles, 73 % dans la vaccination et 38 % dans le traitement des maladies non transmissibles. Certes, la situation s’est redressée depuis, mais le traitement des maladies transmissibles et non transmissibles reste problématique dans respectivement 45 % et 28 % des pays. Malgré le peu de statistiques disponibles, les données recueillies en Tunisie, à Oman et au Qatar font apparaître une hausse de la surmortalité (a) qui s’explique par un nombre de décès non imputés à la COVID-19 pour cause de dépistage limité et par un renoncement aux soins dans le traitement d’autres affections.
Face à ce choc, les pays de la région ont réagi, mais l’adoption de mesures visant à favoriser la flexibilité et l’équité des systèmes de santé est restée faible. Selon l’enquête mentionnée plus haut, 59 % des pays indiquent avoir dû effectuer un triage des patients, mobiliser les structures sanitaires communautaires ou s’orienter vers des soins à domicile. Moins de 40 % des pays ont déclaré recourir à la télémédecine, prolonger la validité des ordonnances ou renforcer leurs effectifs. Des enquêtes de suivi (a) à haute fréquence réalisées par la Banque mondiale mettent par ailleurs en évidence l’incidence de la crise sanitaire sur les populations : pendant la pandémie, environ 40 % des habitants de Djibouti, d’Iraq et de Tunisie en attente de soins n’ont pas été pris en charge en temps voulu. Au cours du premier semestre 2020, la moitié des enfants du Maroc ont été privés de services de santé, ce qui risque d’affecter durablement le capital humain, avec des effets qui se perpétueront d’une génération à l’autre. Comme on pouvait s’y attendre, la situation dans les environnements fragiles et en proie à des conflits est plus grave encore, comme au Yémen, et en Cisjordanie et à Gaza.
De la crise à la réforme : une occasion manquée
La survenue d’une pandémie dans un contexte d’instabilité politique et financière peut ne pas être opportune pour amorcer une refonte des systèmes de santé. L’impact de la COVID-19 démontre pourtant la nécessité d’améliorer l’équité, la flexibilité et la résilience des systèmes de santé. Le Maroc offre l’exemple d’un pays soucieux de saisir cette occasion : en juillet 2020, les autorités ont annoncé un train de mesures ambitieuses, aujourd’hui en cours de mise en œuvre. Ces réformes englobent un regroupement des régimes d’assurance maladie, jusqu’alors fragmentés, une aide financière élargie à quelque 11 millions de personnes supplémentaires se trouvant dans le besoin et le passage à un modèle de médecine familiale axé sur le patient. Elles contribueront à renforcer la résilience du système de santé marocain face à d’autres pandémies et à doter le pays d’une couverture sanitaire universelle.
Une marge de manœuvre budgétaire étroite, facteur de blocage à des réformes ambitieuses
En 2020, les pays de la région MENA ont connu une baisse de 5,3 % du PIB réel par habitant et un recul des recettes publiques réelles de 24 %. Face à cette conjoncture macroéconomique, même s’ils prévoient une réforme audacieuse de leur système de santé, ces pays seront freinés sur le plan budgétaire. De récentes projections pour un ensemble de pays de la région MENA à revenu faible ou intermédiaire font apparaître que, dans la plupart des cas, les dépenses publiques de santé ne retrouveront pas leur niveau d’avant pandémie. Entreprendre des réformes structurelles pour améliorer l’équité et la flexibilité des systèmes de santé semble dès lors compromis à moins d’augmenter fortement la part de la santé dans le budget de l’État.
Stratégie de la Banque mondiale : relance, réajustement et réinvention
La plupart des pays de la région MENA ont vacciné moins de 10 % de leur population : le retour à la normale demeure un objectif lointain et, face à l’apparition de nouveaux variants, la vigilance s’impose. Au cours de l’année écoulée, la Banque mondiale a aidé dix pays de la région MENA à faire face à la crise de la COVID grâce à un appui financier et technique visant à combler des besoins importants pour la mobilisation de moyens de renfort et à renforcer les systèmes de santé. Elle fournit actuellement des financements au Liban et à la Tunisie pour l’achat et le déploiement de vaccins, tandis que plusieurs projets sont en préparation pour d’autres pays de la région. Ces opérations offrent également un angle d’attaque pour la mise en place de systèmes de santé en mesure de faire face aux pandémies, de la veille à la flexibilité des services en passant par la pérennité des financements. La Banque mondiale prolongera son soutien technique et opérationnel aux pays de la région MENA afin de les accompagner dans la relance, le réajustement et la réinvention de leurs systèmes de santé.
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