Droit devant : mettre les apprentissages au centre des efforts de scolarisation en Afrique

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« Nous ne regardons ni vers l’Est ni vers l’Ouest ; nous regardons droit devant. », Kwame Nkrumah (1957)
 
Il y a de quoi être abattu par les évaluations du niveau des élèves dans nombre de pays d’Afrique et par l’ampleur des défis à relever. Pourtant, plusieurs pays africains sont parvenus à améliorer les apprentissages scolaires. Pourquoi ne pas tirer les leçons de ces expériences positives ? C’est précisément l’objet d’un nouvel ouvrage publié par la Banque mondiale et intitulé Perspectives : L’école au service de l’apprentissage en Afrique. Avec Sajitha Bashir, Marlaine Lockheed, Jee-Peng Tan et un grand nombre de contributeurs, nous nous sommes penchés sur le niveau des acquis scolaires dans l’enseignement de base en Afrique subsaharienne (soit les six premières années correspondant au cycle primaire et les trois années du premier cycle du secondaire). 
 
Nous avons compilé et analysé pour cela une multitude de données couvrant près d’une cinquantaine de pays. Contre toute attente, ces travaux ont révélé un tableau contrasté de l’évolution des systèmes éducatifs nationaux. Nous avons ainsi constaté que le paysage de l’éducation dans la région n’est pas réductible à une seule interprétation et qu’il convient en particulier de tordre le cou à deux lectures trompeuses de la situation.
 
Premièrement, l’Afrique serait confrontée à une double crise de l’éducation qui toucherait à la fois l’accès à l’école et les apprentissages scolaires. Une telle affirmation ne concerne pas tous les pays de la région. Certes, on estime que 50 millions d’enfants censés fréquenter le primaire ou le premier cycle du secondaire (soit près d’un quart des effectifs des classes d’âge concernées) n’ont jamais été scolarisés ou ont abandonné leurs études. Mais environ 40 % de ces enfants sont concentrés dans trois pays qui comptent parmi les plus peuplés de la région : l’Éthiopie, le Nigéria et la République démocratique du Congo.
 
On observe en outre que des pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya et le Zimbabwe sont presque parvenus à assurer un accès universel à l’éducation primaire au cours des deux dernières décennies, en dépit de multiples difficultés liées à l’instabilité politique, aux inégalités de revenu et à la diversité linguistique. Ces pays appartiennent au groupe des pays « confirmés » selon la classification adoptée dans notre étude. La Namibie et le Botswana en font aussi partie : ces deux pays ont même réussi à garantir l’accès quasi-universel au premier cycle du secondaire. Dans la catégorie des pays « ayant émergé », on trouve l’Ouganda, le Rwanda et le Togo, qui, grâce à des efforts concertés ces vingt dernières années, ont accompli des progrès spectaculaires dans l’accès à la scolarisation. Des pays « en voie d’émergence » comme l’Éthiopie, le Bénin et le Burundi ont également beaucoup progressé, mais ils restent encore confrontés à des taux de non-scolarisation élevés. Enfin, il y a des pays « en retard » comme le Tchad, le Libéria ou encore la République centrafricaine. Parmi les pays de ce groupe, nombreux sont ceux qui n’ont pas été en mesure de développer leur système éducatif en raison de conflits ou de troubles politiques.   
 

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Évolution de l’accès à l’enseignement primaire dans 44 pays d’Afrique subsaharienne, par groupe de pays, de 2000 à 2013

Donc oui, beaucoup de pays d’Afrique connaissent une crise de l’éducation. Mais cette crise n’est pas uniforme dans l’ensemble du continent. Certains pays sont parvenus à assurer l’accès universel à l’éducation primaire, tandis que d’autres, comme le Sénégal, le Niger et le Libéria, doivent encore étendre considérablement leur système éducatif pour permettre à tous les enfants d’aller à l’école. En Ouganda et au Rwanda, par exemple, l’enjeu en matière de scolarisation est de prendre des mesures ciblées en direction des communautés et des individus marginalisés. Dans le groupe des pays confirmés, le Botswana et l’Afrique du Sud se caractérisent par une baisse du taux de croissance de la population et du nombre d’enfants d’âge scolaire ; dans ces conditions, les décideurs publics peuvent se concentrer essentiellement sur l’amélioration de la qualité de l’éducation. 
 
Deuxième affirmation qui mérite d’être mise en question : le niveau des élèves africains baisse. De fait, le niveau scolaire est désespérément faible dans tous les pays d’Afrique subsaharienne. Mais disposons-nous d’éléments qui montrent de manière irréfutable qu’il est en baisse ?
 
Le graphique ci-dessus représente l’évolution de la moyenne des scores obtenus au SACMEQ (un test d’évaluation des apprentissages régional) en mathématiques chez les élèves de sixième année de 13 pays d’Afrique australe et orientale. Les scores sont comparables d’une évaluation à l’autre, et l’on observe une hausse de la moyenne des notes obtenues entre les deux derniers cycles d’évaluation (2007 et 2013) dans la plupart des pays. À l’exception du Zimbabwe, où les résultats ont stagné. Si l’on peut mettre en évidence une progression des apprentissages, il faut cependant souligner qu’en 2013 les performances d’un tiers en moyenne des élèves dans l’ensemble des pays participants ne dépassaient pas le niveau élémentaire de lecture et de calcul. L’autosatisfaction n’est donc pas de mise : les progrès ne sont pas encore suffisants.
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Moyenne des scores au test SACMEQ en mathématiques chez les élèves de sixième année, pays d’Afrique australe et orientale participants, par groupe de pays, entre 2000 et 2013


Le niveau scolaire a également augmenté au Ghana et en Afrique du Sud, où il partait toutefois de bas. Lors des deux évaluations internationales les plus récentes (2011 et 2015), ces deux pays ont enregistré une hausse de la part des élèves de huitième ou neuvième année qui parviennent à atteindre des scores correspondant au niveau de référence bas en mathématiques. Là encore, on observe donc des signes d’amélioration. Il faut noter néanmoins que ces pays, pourtant en haut du classement régional pour l’accès à l’éducation, n’atteignent que le niveau de référence international bas en ce qui concerne les acquis scolaires, ce qui signifie qu’ils se situent au bas de l’échelle mondiale. 
 
Les pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale ne disposent pas encore d’évaluations des apprentissages comparables dans le temps. Une lacune qui devrait être comblée prochainement grâce à l’évaluation du PASEC prévue en 2019. Même si un certain nombre d’évaluations nationales indiquent une baisse du niveau scolaire, il ne faut pas en tirer des conclusions pour le continent tout entier. Pour pouvoir prendre la mesure des progrès, il est indispensable de disposer de données de meilleure qualité, plus fréquentes et comparables dans le temps. 
 
Penser l’avenir avec une grille de lecture plus juste et nuancée 
 
Dans notre ouvrage, nous nous attachons à mettre en lumière les mesures susceptibles d’améliorer la situation de l’apprentissage en Afrique subsaharienne. Nous mettons notamment l’accent sur la nécessité, dans les petites classes, de dispenser aux enfants des enseignements dans la langue parlée à la maison, ainsi que sur l’importance de la formation, de l’accompagnement et de l’encadrement des enseignants pour structurer les contenus des cours. Nous nous penchons aussi sur les facteurs qui influent sur les apprentissages, en montrant qu’il n’existe pas de formules gagnantes transposables à l’échelle du continent ni même à celle des sous-régions. C’est pourquoi nous recommandons aux décideurs publics de dresser un état des lieux des mesures efficaces dans leur environnement spécifique. Nous proposons par ailleurs plusieurs études de cas sur des mesures qui ont fait leurs preuves (ou pas) dans différents pays (la politique de négociation avec les syndicats enseignants au Kenya, les remèdes au problème des classes surchargées et des redoublements cachés dans les petites classes en Afrique du Sud, ou encore l’exception burundaise dans les résultats aux examens du PASEC). Les pays africains ont beaucoup à apprendre de leurs expériences réciproques. L’objectif de cet ouvrage est de réunir des connaissances issues des quatre coins du continent et d’en tirer des leçons au profit de la région elle-même et du reste du monde. 


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