Investir davantage dans le capital humain, c’est-à-dire dans les populations, est un facteur critique du développement. Dire cela ressemble à un vieux cliché, mais cela cache parfois un désastre. Pourquoi ? Parce que, bien que ce soit une évidence, ce n’est guère une priorité pour de nombreux pouvoirs publics et les institutions nationales engagées dans ce processus.
Si vous êtes malade sans en connaître la cause, c’est fâcheux. Mais si vous connaissez la cause et que vous ne faites rien, c’est un désastre. C’est pourtant ce qui se produit en matière d’éducation dans les pays en développement : nous savons que nous sommes malades, mais nous ne faisons pas grand-chose pour soigner le mal.
C’est vrai, de plus en plus d’enfants sont scolarisés et c’est une bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle, c’est que trop souvent ils n’apprennent rien ou trop peu. Les données les plus récentes sur la question montrent que la moitié des élèves du primaire des pays en développement ne sait pas lire ou écrire une phrase simple ni faire une soustraction à deux chiffres. C’est la raison pour laquelle, à la Banque mondiale, nous affirmons que nous sommes faces à une crise mondiale de l’apprentissage.
C’est une mauvaise nouvelle, mais tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Pour un ministre de l’Éducation d’un pays d’Europe occidentale, il est inquiétant de savoir que 20 % des élèves du primaire n’atteignent pas le seuil minimal de compétences en mathématiques. Pour son homologue d’un pays d’Amérique latine où cette proportion s’élève à 60 %, c’est un problème très grave. Mais le ministre de l’Éducation d’un pays d’Afrique subsaharienne fait face à des difficultés bien plus insurmontables, car près de 90 % des enfants scolarisés n’apprennent rien.
D’accord, mais au moins nous connaissons les causes de la maladie, non ? En fait, pas toujours et pas totalement. Seuls deux tiers des pays disposent de données fiables sur les apprentissages en mathématiques et les capacités de lecture. Pour le troisième tiers, il n’existe pratiquement aucune donnée. L’Inde par exemple ne participe pas aux évaluations internationales et ne dispose que de données nationales éparses. En outre, l’apprentissage ne concerne pas seulement la lecture, l’écriture et le calcul. Les sciences, l’histoire, la géographie sont aussi importantes, de même que le développement de compétences indispensables dans la vie quotidienne, telles que la pensée critique, la créativité, la persévérance et la confiance en soi. Dans ces domaines, nous ne connaissons pas les résultats de l’apprentissage.
D’accord, mais au moins tous les enfants vont à l’école, non ? En fait, pas vraiment. À l’échelle mondiale, plus de 260 millions d’enfants de 6 à 17 ans ne sont scolarisés ni dans le primaire ni dans le secondaire. Le taux d’inscription à l’école secondaire frôle les 70 %, mais le nombre d’abandons est important, en particulier parmi les filles (a). Par ailleurs, seuls 50 % des enfants d’âge préscolaire bénéficient d’une éducation pour la petite enfance (a), et ce pourcentage n’atteint pas 20 % dans les pays à faible revenu. Nous sommes donc face à une crise des apprentissages qui touche à la qualité de l’éducation, mais nous n’avons toujours pas résolu le problème « quantitatif », car l’accès à l’éducation est loin d’être universel.
Mais alors, que pouvons-nous faire pour résoudre cette crise ? Cela peut paraître étonnant, mais de grands progrès pourraient être accomplis si chaque membre du système éducatif faisait tout simplement son travail. C’est aussi simple que cela : il faut que chacun soit pleinement conscient que son travail a un impact direct et important sur ce que les élèves apprennent ou non. L’apprentissage des élèves doit être la finalité de leur travail.
Il appartient aux spécialistes de la pédagogie d’élaborer des programmes définissant précisément les compétences que les élèves doivent acquérir tout au long de leur parcours scolaire. Ces programmes doivent constituer un guide adapté et utile pour les enseignants (et non pas un pavé indigeste que personne ne lit, comme il en existe encore dans certains pays d’Amérique latine). Les gestionnaires doivent veiller à ce que les moyens nécessaires à un apprentissage efficace soient disponibles quand il le faut et dans toutes les écoles, qu’il s’agisse des manuels scolaires, des plans de cours, des tableaux noirs ou encore des tablettes et des programmes informatiques qui aident les élèves à apprendre à leur propre rythme.
Les enseignants doivent, avant toute chose, être présents en classe. Et ce n’est pas le cas dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne tels que la Tanzanie, où 40 % des enseignants sont régulièrement absents. Même constat dans la province du Sindh, au Pakistan, où des enseignants qui travaillaient à Dubaï ou ailleurs percevaient encore récemment un salaire quand ils revenaient au pays (la mise en œuvre d’un système de suivi des écoles a permis de résoudre ce problème). Lorsqu’ils sont présents, les enseignants doivent prendre conscience que leur travail ne consiste pas à enseigner de manière passive, mais bien à veiller activement à ce que chaque élève acquière des connaissances, à l’instar de ce qui se pratique avec succès dans certains systèmes éducatifs d’Asie de l’Est (a). Enfin, pour que le prodige de l’apprentissage s’accomplisse, il faut que les enseignants soient recrutés selon leurs mérites (comme en Finlande ou à Singapour) et qu’ils bénéficient de formation continue, de conseils et d’évaluations de leurs performances tout au long de leur carrière. Quant aux directeurs d’école, ils doivent être sélectionnés et formés pour être capables de diriger une institution complexe. Il faut aussi qu’ils possèdent des compétences pédagogiques et institutionnelles afin d’orienter et de motiver leurs équipes enseignantes pour atteindre un seul but : garantir la réalité des apprentissages de chaque élève.
Placer les apprentissages au cœur du système a plusieurs conséquences. D’abord, les enseignants doivent être recrutés et promus sur le seul critère de l’efficacité de leur travail et de l’apprentissage des élèves (une évidence qui n’est pourtant pas une réalité dans des systèmes éducatifs où les promotions sont automatiques). Ensuite, les directeurs d’école doivent être évalués selon leur capacité à diriger efficacement leur institution (autre évidence qui est loin d’être une réalité quand ils sont nommés pour des raisons politiques et, donc, inamovibles). Enfin, sachant que dans tous les pays, le « service » de l’éducation doit être fourni quotidiennement dans des milliers d’écoles, par des dizaines de milliers d’enseignants et au profit de millions d’élèves — comme dans un grand groupe avec des milliers de succursales — une administration hautement qualifiée doit être mise en place pour gérer le système éducatif.
De grands progrès peuvent être accomplis si chaque membre du système éducatif fait son travail et si chacun a conscience que son travail doit être exclusivement dédié à l’acquisition par les élèves des compétences nécessaires pour leur assurer une vie productive et épanouissante. Est-ce que c’est possible ? Absolument. De nombreux pays ont réussi, quand la décision politique a été prise d’allouer les moyens financiers, institutionnels et humains à l’apprentissage, avec patience et persévérance.
En fin de compte, tout est question de volonté politique, comme me l’a expliqué il y a quelques semaines le maire de Sobral. Cette petite commune pauvre de l’État du Ceará, au nord-est du Brésil, est passée en quelques années du bas du classement national à la première place en matière d’acquis scolaires : « Il y a 15 ans, nous avons pris la décision politique de laisser la politique en dehors de l’éducation. Et aujourd’hui, tous les acteurs du système éducatif sont là pour garantir l’apprentissage des élèves, ce qui signifie qu’ils font tout simplement leur travail. »
Si vous êtes malade sans en connaître la cause, c’est fâcheux. Mais si vous connaissez la cause et que vous ne faites rien, c’est un désastre. C’est pourtant ce qui se produit en matière d’éducation dans les pays en développement : nous savons que nous sommes malades, mais nous ne faisons pas grand-chose pour soigner le mal.
C’est vrai, de plus en plus d’enfants sont scolarisés et c’est une bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle, c’est que trop souvent ils n’apprennent rien ou trop peu. Les données les plus récentes sur la question montrent que la moitié des élèves du primaire des pays en développement ne sait pas lire ou écrire une phrase simple ni faire une soustraction à deux chiffres. C’est la raison pour laquelle, à la Banque mondiale, nous affirmons que nous sommes faces à une crise mondiale de l’apprentissage.
C’est une mauvaise nouvelle, mais tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Pour un ministre de l’Éducation d’un pays d’Europe occidentale, il est inquiétant de savoir que 20 % des élèves du primaire n’atteignent pas le seuil minimal de compétences en mathématiques. Pour son homologue d’un pays d’Amérique latine où cette proportion s’élève à 60 %, c’est un problème très grave. Mais le ministre de l’Éducation d’un pays d’Afrique subsaharienne fait face à des difficultés bien plus insurmontables, car près de 90 % des enfants scolarisés n’apprennent rien.
D’accord, mais au moins nous connaissons les causes de la maladie, non ? En fait, pas toujours et pas totalement. Seuls deux tiers des pays disposent de données fiables sur les apprentissages en mathématiques et les capacités de lecture. Pour le troisième tiers, il n’existe pratiquement aucune donnée. L’Inde par exemple ne participe pas aux évaluations internationales et ne dispose que de données nationales éparses. En outre, l’apprentissage ne concerne pas seulement la lecture, l’écriture et le calcul. Les sciences, l’histoire, la géographie sont aussi importantes, de même que le développement de compétences indispensables dans la vie quotidienne, telles que la pensée critique, la créativité, la persévérance et la confiance en soi. Dans ces domaines, nous ne connaissons pas les résultats de l’apprentissage.
D’accord, mais au moins tous les enfants vont à l’école, non ? En fait, pas vraiment. À l’échelle mondiale, plus de 260 millions d’enfants de 6 à 17 ans ne sont scolarisés ni dans le primaire ni dans le secondaire. Le taux d’inscription à l’école secondaire frôle les 70 %, mais le nombre d’abandons est important, en particulier parmi les filles (a). Par ailleurs, seuls 50 % des enfants d’âge préscolaire bénéficient d’une éducation pour la petite enfance (a), et ce pourcentage n’atteint pas 20 % dans les pays à faible revenu. Nous sommes donc face à une crise des apprentissages qui touche à la qualité de l’éducation, mais nous n’avons toujours pas résolu le problème « quantitatif », car l’accès à l’éducation est loin d’être universel.
Mais alors, que pouvons-nous faire pour résoudre cette crise ? Cela peut paraître étonnant, mais de grands progrès pourraient être accomplis si chaque membre du système éducatif faisait tout simplement son travail. C’est aussi simple que cela : il faut que chacun soit pleinement conscient que son travail a un impact direct et important sur ce que les élèves apprennent ou non. L’apprentissage des élèves doit être la finalité de leur travail.
Il appartient aux spécialistes de la pédagogie d’élaborer des programmes définissant précisément les compétences que les élèves doivent acquérir tout au long de leur parcours scolaire. Ces programmes doivent constituer un guide adapté et utile pour les enseignants (et non pas un pavé indigeste que personne ne lit, comme il en existe encore dans certains pays d’Amérique latine). Les gestionnaires doivent veiller à ce que les moyens nécessaires à un apprentissage efficace soient disponibles quand il le faut et dans toutes les écoles, qu’il s’agisse des manuels scolaires, des plans de cours, des tableaux noirs ou encore des tablettes et des programmes informatiques qui aident les élèves à apprendre à leur propre rythme.
Les enseignants doivent, avant toute chose, être présents en classe. Et ce n’est pas le cas dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne tels que la Tanzanie, où 40 % des enseignants sont régulièrement absents. Même constat dans la province du Sindh, au Pakistan, où des enseignants qui travaillaient à Dubaï ou ailleurs percevaient encore récemment un salaire quand ils revenaient au pays (la mise en œuvre d’un système de suivi des écoles a permis de résoudre ce problème). Lorsqu’ils sont présents, les enseignants doivent prendre conscience que leur travail ne consiste pas à enseigner de manière passive, mais bien à veiller activement à ce que chaque élève acquière des connaissances, à l’instar de ce qui se pratique avec succès dans certains systèmes éducatifs d’Asie de l’Est (a). Enfin, pour que le prodige de l’apprentissage s’accomplisse, il faut que les enseignants soient recrutés selon leurs mérites (comme en Finlande ou à Singapour) et qu’ils bénéficient de formation continue, de conseils et d’évaluations de leurs performances tout au long de leur carrière. Quant aux directeurs d’école, ils doivent être sélectionnés et formés pour être capables de diriger une institution complexe. Il faut aussi qu’ils possèdent des compétences pédagogiques et institutionnelles afin d’orienter et de motiver leurs équipes enseignantes pour atteindre un seul but : garantir la réalité des apprentissages de chaque élève.
Placer les apprentissages au cœur du système a plusieurs conséquences. D’abord, les enseignants doivent être recrutés et promus sur le seul critère de l’efficacité de leur travail et de l’apprentissage des élèves (une évidence qui n’est pourtant pas une réalité dans des systèmes éducatifs où les promotions sont automatiques). Ensuite, les directeurs d’école doivent être évalués selon leur capacité à diriger efficacement leur institution (autre évidence qui est loin d’être une réalité quand ils sont nommés pour des raisons politiques et, donc, inamovibles). Enfin, sachant que dans tous les pays, le « service » de l’éducation doit être fourni quotidiennement dans des milliers d’écoles, par des dizaines de milliers d’enseignants et au profit de millions d’élèves — comme dans un grand groupe avec des milliers de succursales — une administration hautement qualifiée doit être mise en place pour gérer le système éducatif.
De grands progrès peuvent être accomplis si chaque membre du système éducatif fait son travail et si chacun a conscience que son travail doit être exclusivement dédié à l’acquisition par les élèves des compétences nécessaires pour leur assurer une vie productive et épanouissante. Est-ce que c’est possible ? Absolument. De nombreux pays ont réussi, quand la décision politique a été prise d’allouer les moyens financiers, institutionnels et humains à l’apprentissage, avec patience et persévérance.
En fin de compte, tout est question de volonté politique, comme me l’a expliqué il y a quelques semaines le maire de Sobral. Cette petite commune pauvre de l’État du Ceará, au nord-est du Brésil, est passée en quelques années du bas du classement national à la première place en matière d’acquis scolaires : « Il y a 15 ans, nous avons pris la décision politique de laisser la politique en dehors de l’éducation. Et aujourd’hui, tous les acteurs du système éducatif sont là pour garantir l’apprentissage des élèves, ce qui signifie qu’ils font tout simplement leur travail. »
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