En seulement six semaines, des élèves de l'enseignement secondaire de l'État d'Edo, au Nigeria, participant à un programme périscolaire combinant tutorat par l'IA et accompagnement par des enseignants, ont enregistré des progrès d'apprentissage de 0,31 écart type, soit l'équivalent d'environ 1,5 à 2 ans de scolarité classique. Derrière ces résultats se cache une intervention soigneusement conçue qui a placé les enseignants et les élèves au centre, en exploitant la promesse de l'IA générative tout en tirant les leçons essentielles des initiatives EdTech passées, notamment pendant la pandémie de COVID-19.
En tant que Spécialiste de l'éducation et Co-responsable de l'équipe EdTech de la Banque mondiale, j'ai consacré ces dernières années à piloter des programmes éducatifs responsables basés sur l'IA au Nigeria, au Pérou, au Brésil et au-delà. Mon expérience a montré que la clé du succès ne réside pas dans la technologie elle-même, mais dans une approche globale de la conception des programmes : une approche qui part du problème éducatif, prend en compte le contexte local et accorde toujours la priorité à l'humain.
Dans ce billet, je partage cinq enseignements pratiques pour aider les décideurs politiques et les responsables du secteur de l'éducation à définir des voies d'intégration plus responsables et efficaces de l'IA générative dans l'éducation. Ces leçons offrent un cadre pour façonner la « révolution de l'IA » afin de mieux répondre à la crise mondiale de l'apprentissage.
1. Commencer par le problème éducatif, et non par l'outil d'IA
Avant d'envisager les outils d'IA comme une solution potentielle, nous devons définir clairement le défi éducatif que nous cherchons à relever. S'agit-il d'améliorer la qualité de l'enseignement, de fournir un soutien ciblé aux élèves en difficulté en mathématiques ou de renforcer la littératie numérique ? Le simple fait d'intégrer l'IA ne garantit ni son utilisation ni son impact.
Cette démarche s'aligne sur le principe de la Banque mondiale « Ask Why » (Demander pourquoi) : les politiques et les projets EdTech doivent reposer sur une vision claire du changement éducatif. La technologie doit être un moyen pour atteindre une fin, et non la fin en soi. Cela permet de s'assurer que nous n'adoptons pas la technologie pour elle-même, mais comme un outil ciblé pour résoudre un problème spécifique.
2. Mettre l'accent sur la finalité du programme : élaborer une solide théorie du changement
La conception efficace d'un programme doit commencer par une théorie du changement claire, qui décrit comment une intervention est censée produire les changements souhaités, en exposant les liens de causalité et les hypothèses sous-jacentes. En d'autres termes, elle clarifie le lien entre les activités, les produits, les résultats et les objectifs finaux. Par exemple, la formation des enseignants (activité) peut conduire à de nouvelles pratiques pédagogiques (produit), qui à leur tour améliorent l'engagement des élèves (résultat) et entraînent des progrès d'apprentissage (impact).
Disposer d'une théorie du changement solide permettra non seulement de soutenir une vision claire de la manière dont l'outil d'IA peut appuyer la finalité du programme, mais aussi de mettre en évidence les activités et les produits clés nécessaires à sa réalisation (par exemple, la formation des enseignants, des lignes directrices sur la littératie en IA, des groupes de discussion avec les élèves ou les parents, etc.) et d'établir des indicateurs pour mesurer l'utilisation, les progrès et l'engagement.
De plus, une théorie du changement bien articulée fournit la base pour l'évaluation d'impact, contribuant ainsi à constituer une base de données probantes sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas lors de l'intégration de l'IA dans l'éducation.
3. Le contexte est essentiel : concevoir en fonction des besoins locaux
Le succès de l'intégration de l'IA dépend de la compréhension du contexte local. Des facteurs tels que la connectivité, l'électricité et la disponibilité des appareils doivent orienter le choix des outils et des contenus. Par exemple, dans les zones où les appareils tels que les ordinateurs portables ou de bureau sont limités ou le Wi-Fi intermittent, l'utilisation de téléphones portables peut être une option plus appropriée, comme l'a montré une initiative au Ghana.
Le contexte doit également guider la sélection des contenus et des outils. Par exemple, les supports de formation pour les enseignants et les élèves au Nigeria et au Pérou ont été adaptés à leurs cultures et réalités locales respectives, évitant ainsi une approche « taille unique » et garantissant leur pertinence et leur accessibilité.
4. La technologie au service de l'humain
L'éducation est fondamentalement une question de liens humains. L'utilisation de l'IA générative doit être au service des enseignants et des élèves, en répondant à leurs besoins et en se concentrant sur l'amélioration des pratiques d'apprentissage et d'enseignement. Cela implique d'associer les parties prenantes (enseignants, élèves, parents et chefs d'établissement) à la co-conception des programmes. Cela exige également une formation complète à la littératie en IA, en donnant la priorité aux besoins des apprenants, en répondant à leurs préoccupations, notamment concernant les limites de l'outil, et en favorisant des communautés de pratique efficaces et inclusives, entre autres considérations.
L'année dernière, à Lima, au Pérou, nous avons organisé des groupes de discussion dans des écoles publiques pour comprendre l'utilisation actuelle de l'IA par les enseignants et la manière dont ils envisageaient qu'elle puisse les aider dans leur travail quotidien. Ce processus collaboratif nous a amenés à sélectionner des enseignants innovants qui ont co-conçu avec nous des supports de formation et identifié des cas d'usage où l'IA pourrait améliorer leurs pratiques pédagogiques.
Cette approche centrée sur l'humain garantit que la technologie renforce l'élément humain dans l'éducation plutôt que de le remplacer.
5. S'assurer que le produit est adapté à la finalité et au contexte
Enfin, tout outil ou solution d'IA doit être adapté au contexte et à la finalité spécifiques. Cela implique une évaluation minutieuse de ses caractéristiques, notamment :
- Sécurité et confidentialité : le produit dispose-t-il de politiques solides pour protéger les données des utilisateurs ?
- Pertinence culturelle et linguistique : l'outil est-il disponible dans les langues locales, sensible aux normes et conçu pour éviter les biais et les stéréotypes ?
- Adaptabilité : la solution peut-elle être adaptée aux besoins spécifiques de l'environnement éducatif et des divers apprenants ?
- Optimisation pour l'apprentissage : l'outil est-il aligné sur les principes de la science de l'apprentissage et a-t-il été évalué auprès des utilisateurs cibles ?
- Accessibilité : existe-t-il des options hors ligne et un soutien pour les apprenants en situation de handicap ?
Ce cadre des « 5 P » – Problem, Purpose, Place, People et Product (Problème, Finalité, Lieu, Personnes et Produit) – offre une méthode structurée pour aborder la conception et la mise en œuvre des programmes d'IA dans l'éducation.
Un cadre pratique pour l'intégration responsable de l'IA
Pour guider la conception de programmes, considérez ces questions clés à chaque étape :
- Problème : Quel est le problème éducatif ciblé ? Les technologies de l'éducation seraient-elles utiles ? De quelle manière ? Si oui, l'IA générative pourrait-elle jouer un rôle ?
- Finalité : Quel est l'objectif principal du programme ? Existe-t-il des données probantes sur des cas d'usage antérieurs ? L'IA générative fonctionnerait-elle en arrière-plan ou serait-elle directement accessible à l'utilisateur ? Pouvez-vous illustrer comment l'IA s'articule dans votre théorie du changement ?
- Lieu (Contexte) : Quelles sont les conditions de connectivité et d'électricité ? Quels types d'appareils sont disponibles ? Les outils d'IA peuvent-ils être adaptés au contexte ?
- Personnes : Qui devrait être impliqué dans la co-conception ? Quelles sont leurs opinions sur l'IA dans l'éducation ? Ont-ils déjà utilisé des outils d'IA ou reçu une formation à la littératie en IA ?
- Produit : La solution est-elle adaptée à la finalité et au contexte ? Des politiques de sécurité et de confidentialité sont-elles en place ? Est-elle adaptée à la langue et à la culture locales ?
Conclusion
Le débat sur l'IA dans l'éducation est souvent polarisé, mais une intégration responsable exige nuance et leadership. Les responsables du secteur de l'éducation doivent s'engager non seulement en faveur d'une utilisation responsable, mais aussi d'une conception et d'une mise en œuvre responsables des programmes d'IA. La révolution de l'IA dans l'éducation n'est pas un phénomène à subir ; c'est une occasion de façonner activement des solutions qui s'attaquent à la crise mondiale de l'apprentissage.
En nous concentrant sur des problèmes clairs, en définissant une finalité et des objectifs, en concevant pour le contexte local et en plaçant l'humain au centre, nous pouvons construire un cadre pour une intégration responsable de l'IA qui soit véritablement au service des élèves et des enseignants. Je vous invite à partager vos expériences et à vous joindre à la conversation alors que nous travaillons ensemble à exploiter le potentiel de l'IA pour l'éducation.
Ce billet a été initialement publié sur le blog « Voices » de la Blavatnik School of Government de l'Université d'Oxford.
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