Haïti : la lutte contre l’inégalité des sexes passe par la promotion de l’autonomie des jeunes

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Plus de la moitié de la population haïtienne a moins de 25 ans. Face à la fragilité chronique du pays et à ses crises récurrentes, cette jeunesse représente une source de résilience possible (a) et un vecteur de redressement. Mais elle est aussi un facteur d’instabilité sociale accrue, si elle voit ses perspectives d’avenir s’assombrir.

Les chocs causés par le changement climatique et les troubles politiques viennent s’ajouter aux fragilités qui traversaient déjà le pays, comme celles en lien avec les inégalités hommes-femmes (a), un domaine dans lequel Haïti a accumulé un net retard par rapport à des pays comparables.  En prenant en considération la donne politique et sécuritaire d’Haïti, la Banque mondiale a publié un rapport intitulé Le potentiel inexploité d'Haïti : Une évaluation des obstacles à l’égalité de genre. Ce travail apporte un éclairage sur les écarts et freins majeurs nuisant à l’égalité des sexes dans le pays. Il passe également en revue les options politiques à court terme qui contribueraient à réduire ces disparités et à favoriser l’égalité des chances, notamment chez les jeunes.

Le rapport retient trois éléments essentiels autour de la jeunesse haïtienne :

  1. Les besoins particuliers des filles pèsent sur leur assiduité à l’école. Les garçons sont plus susceptibles de verser dans des comportements à risque.

Haïti a accompli de nets progrès en matière de niveau d’instruction des filles et des jeunes femmes. Entre 2012 et 2017, les taux nets de fréquentation scolaire ont augmenté au primaire et au secondaire, en milieu urbain comme en milieu rural, et cette hausse est plus élevée chez les filles. Dans les zones rurales, cependant, les femmes de 15 à 24 ans sont plus susceptibles d’être privées d’éducation que les hommes (6 % des femmes contre 3 % des hommes). Il est également avéré que la fréquentation et la réussite scolaires des filles et des jeunes femmes sont largement déterminées par des facteurs spécifiques à leur condition : menstruation (a), charge des tâches ménagères qui pèsent sur la scolarité ou encore risques de harcèlement sexuel (a) qui limitent la mobilité.

S’il est encourageant de voir plus de filles à l’école, on constate en Haïti comme dans d’autres pays de la région Amérique latine et Caraïbes (a) l'émergence d'une tendance à un plus fort décrochage chez les garçons passé le cycle primaire.  En 2017, le taux net de fréquentation dans le secondaire chez les filles s’élevait à 65 % en milieu urbain, alors qu’il atteignait 59 % chez les garçons, un écart qui n’existait pas en 2012. En zones rurales, cette « disparité inversée » entre les sexes est encore plus marquée. Cet éloignement progressif du système éducatif pendant l’adolescence pourrait conduire à une série de comportements à risque parmi les jeunes hommes.

Taux net de fréquentation scolaire dans le secondaire en Haïti (2012 et 2017)

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Source : Enquête démographique et de santé (EDS) (2012, 2016-17). Le taux net de fréquentation scolaire correspond au nombre d'enfants scolarisés exprimé en pourcentage de la population totale d'enfants en âge d’être scolarisés. Pour le secondaire, cette population est âgée de 12 à 17 ans.

 

  1. La participation des jeunes femmes au marché du travail reste inférieure à celle des hommes, en raison des rôles qui leur sont traditionnellement dévolus.

La faible participation des jeunes femmes au marché du travail est particulièrement préoccupante : beaucoup d’entre elles ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation — ce sont les « NEET » (a) selon l’acronyme décrivant cette situation en anglais —, notamment en milieu urbain. Leur rôle d’aidante et de femme au foyer constitue un frein important à une participation égale à la vie active et à la société.

Pourcentage de jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET) par sexe et lieu de résidence, 2019

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Source : Organisation internationale du travail (OIT), estimations modélisées à partir des données de l’ECVMAS 2012. Note : Est considérée comme jeune toute personne âgée de 15 à 24 ans (inclus).

Plus une femme compte d’enfants dans son foyer, moins elle est susceptible d’entrer dans la vie active, ce qui n’est pas le cas pour les hommes. Dans la population active âgée de 15 à 24 ans, les hommes sont plus susceptibles de travailler toute l’année que les femmes ; en matière de rétribution, la plupart des hommes sont payés en espèces (56 %), tandis que les femmes sont plus susceptibles d’être rémunérées conjointement en espèces et en nature (47 %, contre 33 % pour les hommes).

  1. Une maîtrise insuffisante de leur santé sexuelle et leur exposition aux violences de genre mettent en péril le pouvoir d’action des jeunes femmes.

Bien qu’en baisse, le taux de fécondité des adolescentes (a) en Haïti reste supérieur à la moyenne des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (49,5 contre 40,5 naissances pour 1 000 femmes de 15 à 19 ans).  En milieu urbain, les filles ont moins de chance de tomber enceintes que celles en zones rurales, mais dans les deux cas, les taux demeurent assez élevés. Ce phénomène va de pair avec l’impossibilité pour les femmes de maîtriser leur santé sexuelle.

Taux de fécondité des adolescentes (nombre de naissances vivantes pour 1 000 femmes âgées de 15 à 19 ans), par lieu de résidence

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Sources : EDS (2000, 2005-6, 2012, 2016-17).

Les violences de genre (a) revêtent de nombreuses formes en Haïti et entravent la pleine participation des femmes à la société. Ces dernières en sont davantage victimes que les hommes, dans leur foyer, au sein de leur communauté et sur leur lieu de travail. Sur la période 2010-2017, les signalements de violence émotionnelle et physique ont augmenté dans presque toutes les tranches d’âge, alors que les signalements de violence sexuelle reculaient dans le même temps, à l’exception des femmes âgées de 15 à 19 ans.

La voie à suivre

Pour récolter les fruits du dividende démographique que représente la jeunesse haïtienne, il est indispensable d'atténuer les contraintes auxquelles elle se heurte en matière de capital humain, de perspectives productives et de moyens d’action.  Les jeunes scolarisés exposés au décrochage scolaire (a) et les jeunes non scolarisés ont besoin de programmes ciblés. L’acquisition de compétences cognitives et socio-affectives et d’un bagage technique prisé reste indispensable pour l’employabilité des jeunes femmes au sortir de l'école (a), tout comme la promotion de modèles féminins et l’accès à l’information. À court terme, le pays peut renforcer la lutte et la prévention contre les violences de genre en étoffant l’offre de services par l’intermédiaire d’entités déjà en place et de références communautaires (a). Il est possible, à l’échelon de la communauté, de combattre efficacement les rôles assignés aux hommes et aux femmes, les mentalités et les idéaux de masculinité.

Le rapport analyse en profondeur les domaines où des mesures sont susceptibles d'être mises en œuvre au regard du contexte actuel et à court terme. Nous vous invitons à prendre connaissance de ce travail.


Auteurs

Carlos Rodríguez Castelán

Économiste principal au sein du pôle mondial d'expertise sur la pauvreté et l'équité

Gustavo Canavire-Bacarreza

Économiste senior, pôle Pauvreté et équité, Banque mondiale

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