Dans les collines qui surplombent la commune de Boucan-Carré, les avocats sont transportés à dos d’âne jusqu’au marché local.
Il n’est pas facile d’être agriculteur à Haïti, même si l’agriculture reste le secteur le plus important pour la croissance et la principale source d’emplois du pays. Nous connaissons bien les problèmes : déforestation, relief montagneux, sécheresses fréquentes, ouragans et inondations. Mais ce que j’ai découvert sur place, aux côtés des équipes qui œuvrent sur une initiative menée au sein du ministère haïtien du Commerce en faveur du développement des entreprises et financée par l'Association internationale de développement (IDA), c’est que cette île possède bien plus d’atouts naturels que nous ne le pensions.
Grâce à un financement du Programme pour la compétitivité et l'innovation industrielles ( CIIP), des équipes d’Haïtiens venus de chaque département du pays ont pu rencontrer des exportateurs et des grossistes à l’étranger afin de comprendre comment ils pouvaient accroître la valeur de leurs produits, les commercialiser et les vendre à l’étranger.
L’équipe venue du Sud savait déjà que l’ huile essentielle de vétiver haïtien était très demandé. Mais les équipes du Nord, du Sud-Est et de Grand’Anse ont été surprises par les propos des grandes entreprises de café établies à Seattle, Portland et San Francisco : « Vos montagnes sont une véritable poule aux œufs d’or pour le café », a affirmé Jeff Babcock, qui a fondé Zoka Coffee à Seattle.
Les entreprises de miel de Boston ont fait aux équipes de Nippes et du Nord-Est des commentaires encore plus positifs. Enfin, les entreprises de logistique et les grossistes néerlandais ont assuré aux équipes d’Artibonite et du Centre qu’ils pouvaient absorber autant de mangues et d’avocats qu’Haïti pourrait en produire. « Nous sommes en mesure de recevoir 40 camions de mangues d’Haïti par semaine », a déclaré Shawn Harris, fondateur de Nature's Pride.
Le café haïtien est naturellement d’excellente qualité en raison de conditions environnementales idéales, avec des températures et une qualité du sol optimales à la bonne altitude. Le miel haïtien est riche en goût car les abeilles butinent un mélange de fleurs unique en son genre. Les mangues et les avocats offrent eux aussi un excellent potentiel car la demande explose aux États-Unis et en Europe.
Mais les agriculteurs haïtiens n’ont pas encore réussi à tirer profit de ces avantages. Les producteurs de vétiver ne perçoivent d’une infime part des bénéfices engrangés par les fabricants de parfums, qui l’utilisent pour sa fragrance inimitable. Le café n’est plus produit en grandes quantités, et ne subit généralement pas la transformation qui lui permettrait d’obtenir la prime de qualité, grâce à laquelle il pourrait se vendre 2 à 3 dollars la livre, soit nettement plus que le café équitable ou biologique. Les producteurs de miel n’imaginent pas que le nectar haïtien peut s’exporter comme un produit de qualité. Et, malgré leur proximité avec les États-Unis et leur accès en franchise de droits à ce marché, les producteurs de mangues et d’avocats perdent un pourcentage considérable de leur production au cours du transport.
L’inititiave menée actuellement cherche précisément à changer cette donne. Il s’agit de mettre en place des équipes d’agronomes, d’économistes, d'ingénieurs industriels et de spécialistes du marketing au sein des bureaux départementaux et de dispenser, dans chaque département, des formations sur trois ans aux agriculteurs et aux entrepreneurs d’une filière spécifique. Les équipes viennent de rentrer de leurs voyages d'étude. Désormais, elles comprennent mieux ce qui se trouve à l’extrémité de leur chaîne de valeur, ainsi que les attentes des acheteurs en termes de qualité. En assistant aux réunions qui se sont tenues au retour de ces missions à l’étranger, j’ai entendu les raisons pour lesquelles les agriculteurs et les entrepreneurs ne tiraient pas profit des opportunités existantes. Puis, à la faveur d’une visite rapide chez des agriculteurs à Boucan-Carré, dans le département du Centre, j’ai pris concrètement la mesure de leurs difficultés.
Nous avons rencontré un agent qui tente d’aider les agriculteurs à créer un point de collecte au milieu des collines, dans un endroit dépourvu d’électricité et de routes carrossables. Il nous a expliqué le problème : « L’an dernier, nous avons eu une récolte d’avocats exceptionnelle, bien supérieure à ce que les agriculteurs pouvaient espérer consommer ou vendre sur les marchés locaux. Nous avons donc essayé de conserver les avocats en les mettant dans des tonneaux avec de la glace. Mais ça n’a pas marché et nous avons perdu la quasi-totalité de notre récolte ».
Des femmes remontent la colline après avoir porté des pois au marché local.
Certains avocatiers se trouvent au fond de ravins profonds, et la cueillette des fruits peut se révéler périlleuse. Les exploitations se situent à plusieurs kilomètres à l’intérieur des collines et ne sont plus accessibles après de fortes pluies. Les agriculteurs ou les acheteurs perdent une partie du chargement avant d’arriver à Boucan-Carré, la ville la plus proche, ou à Mirebalais, un grand marché à une heure de route environ de Port-au-Prince. Mais le principal problème, c’est l’impossibilité d’accéder rapidement à des installations de réfrigération, qui permettraient aux agriculteurs et aux acheteurs d’exporter l’excédent vers les États-Unis. L’entreposage dans des frigos alimentés par des panneaux solaires pourrait-il être la solution ? Ou bien simplement un transport plus rapide et plus sûr jusqu’aux installations frigorifiques situées en ville ? Serait-ce rentable ? Quelle part du coût supplémentaire serait à la charge de l’agriculteur ?
Ces problèmes ne sont pas simples à résoudre, sinon, les agriculteurs auraient déjà trouvé la solution. Mais l’équipe du département du Centre est résolue à mettre au point la bonne recette, entre meilleure organisation de la collecte, investissements dans la chaîne du froid, amélioration du conditionnement pour le transport et progrès dans la logistique de transport. Il reste à l’équipe à persuader les agriculteurs qu’ils peuvent y contribuer, à classer les investissements par ordre de priorité, à aider les agriculteurs à se mettre en relation avec les acheteurs et à accéder au crédit, à identifier les lacunes dans les chaînes de valeur, et à faire tout leur possible pour concrétiser les solutions.
Les équipes sont désormais convaincues qu’il existe un marché prêt à se saisir des avantages compétitifs naturels d’Haïti. Car, après tout, pour arriver dans un magasin bio aux Pays-Bas, une mangue venue du Mali, par exemple, doit parcourir deux fois plus de chemin qu’une mangue en provenance d’Haïti pour arriver au magasin Whole Foods à côté de chez vous.
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