Vingt ans plus tard, on ne parle toujours pas assez de sexe

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Au cours des vingt dernières années, cette région a considérablement accru le niveau des échanges sur l’épidémie et le degré de sensibilisation. Les pays ont élaboré des stratégies nationales de lutte contre le VIH/sida (a), intégré les programmes de lutte contre l’épidémie à leurs systèmes de santé et sont parvenus à informer et sensibiliser la quasi-totalité du grand public sur les facteurs de risque du VIH.

 

Cependant, on continue à ne pas assez parler de sexe.

 

 

En voici l’explication. Face à la stabilisation de la prévalence du VIH, la région doit à présent concentrer ses efforts sur les populations les plus vulnérables, à savoir les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes,  les travailleurs du sexe, les consommateurs de drogues injectables et les groupes mobiles.

 

Les actions menées auprès de l’ensemble de la population ont été fondamentales pour faire naître une prise de conscience et développer le soutien des programmes publics. Toutefois, alors que la plupart des nouveaux cas d’infection touchent des segments spécifiques de la population, aucune amélioration significative n’est possible si l’on ne réussit pas à adapter les programmes de lutte contre le VIH à ces groupes.

 

Or seule une poignée de projets est actuellement conçue de cette façon. Les actions restent mal adaptées à i) l’identification des populations les plus exposées ; ii) le suivi des comportements à risque, tels que les pratiques sexuelles et la consommation de drogues ; et iii) le dépistage et la connaissance de nouveaux cas d’infection grâce à l’observation de l’incidence du VIH et des schémas comportementaux.

 

En outre, certains tabous culturels, la stigmatisation du virus du sida et surtout l’homophobie empêchent souvent les débats ouverts sur le rôle des pratiques sexuelles et des comportements dans l’épidémie de VIH aux Caraïbes.

 

En raison de la forte stigmatisation de ces groupes, il est difficile d’obtenir le soutien et l’engagement de partenaires pour établir une stratégie durable. Voilà pourquoi ces groupes demeurent exposés aux risques d’infection.

 

Malgré les difficultés rencontrées pour atteindre les populations à risque, la région peut tirer les leçons de certaines expériences encourageantes et s’en inspirer pour instaurer un dialogue politique enfin ouvert sur les questions sexuelles. 

  • Comprendre les schémas comportementaux parmi les populations les plus à risque. Grâce à une approche participative novatrice, la première étude de surveillance comportementale réalisée en République dominicaine a donné d’importants résultats statistiques sur l’état de l’épidémie parmi les groupes les plus exposés au virus du VIH/sida. À la Barbade, une enquête sur le statut sérologique des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes est en cours de réalisation avec la même approche. Enfin, en Amérique centrale, tous les pays ont mis en place un programme de recherche pour la surveillance de deuxième génération du VIH. Ensemble, ces enquêtes et ces programmes de recherche permettent une sensibilisation sur les pratiques sexuelles et comportementales des populations les plus exposées, donc renforcent les connaissances nécessaires pour mieux atteindre ces groupes. 
  • Comprendre les pratiques sexuelles dans le milieu des travailleurs du sexe. Au Brésil, les travailleurs du sexe qui ont participé au Programme national de lutte contre le sida ont déclaré avoir beaucoup plus souvent recours aux préservatifs (qu’il s’agisse de clients ou de partenaires) que ceux qui n’y ont pas participé. Grâce aux actions de prévention réalisées en Jamaïque, 90 % des travailleuses du sexe interrogées dans ce pays déclarent avoir utilisé un préservatif avec leur dernier client. Le pays a même commencé à évaluer le pourcentage de travailleuses du sexe qui déclarent avoir utilisé un préservatif avec leur dernier client régulier. Cette nuance peut paraître insignifiante, mais elle est en réalité capitale, car les préservatifs sont généralement moins utilisés avec les clients réguliers qu’avec les nouveaux clients.
  • Des services de prévention ciblés pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Au Brésil, le Programme national de lutte contre le sida fournit des services de dépistage ciblés pour les homosexuels ou les bisexuels. Au sein de ce groupe, le pourcentage d’individus n’ayant jamais été dépistés est largement supérieur à celui de la population totale. À Saint-Vincent-et-les-Grenadines, une importante étude sur les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes fournit des données utiles pour mettre en place de services adaptés à ce groupe spécifique. Cette étude est une première dans les Caraïbes, une région dominée par une stigmatisation et une discrimination importantes.
  • Adapter les traitements aux populations les plus à risque. À la Barbade, 86 % des personnes séropositives ont accès aux traitements rétroviraux. L’objectif national fixé à 80 % a donc été dépassé et le pays peut faire figure d’exemple en matière d’accès universel aux traitements contre le VIH. Des études comportementales y sont actuellement réalisées au sein de populations clés afin de mieux comprendre les moteurs de l’épidémie et de continuer à garantir l’accès aux services de traitement contre le VIH aux personnes séropositives.
  • Combler la brèche pour atteindre les populations mobiles. En Amérique centrale, une initiative régionale a permis d’atteindre des populations qui effectuent régulièrement des déplacements intérieurs et transfrontaliers, et dont les comportements aggravent les risques d’infection (partenaires sexuels multiples par exemple). Ces populations constituaient une brèche dans les initiatives régionales : en raison de leur nomadisme, aucun pays ne considérait cette population à risque comme une priorité. Grâce à cette initiative régionale, les populations mobiles disposent d’un accès à l’information et à la prévention (préservatifs notamment), ainsi qu’au dépistage du VIH dans les zones frontalières. 
  • Aider les organisations de la société civile à atteindre efficacement les populations les plus vulnérables. La Guyane et certains États des Caraïbes orientales tels que Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie et Saint-Vincent-et-les-Grenadines ont créé des partenariats avec des organisations de la société civile (OSC) pour atteindre les populations les plus à risque. Dès le début de son partenariat avec les OSC, la Guyane a concentré ses efforts sur les groupes les plus exposés : une OSC a créé un nouveau site web qui a permis de donner aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes le sentiment d’appartenir à une communauté. De son côté, Saint-Christophe-et-Niévès s’est associé à l’Alliance caribéenne de lutte contre le VIH/sida, une organisation internationale qui œuvre pour la prévention du sida au sein de groupes exposés aux risques d’infection. Grâce à ces partenariats, le nombre de groupes à risque atteints a doublé. De même, Sainte-Lucie et Saint-Vincent-et-les-Grenadines ont placé les groupes les plus vulnérables au cœur de leurs activités avec les OSC.
     

Dans un contexte de forte stigmatisation, ces expériences laissent entrevoir un avenir prometteur et la possibilité pour l’Amérique latine, les Caraïbes et leurs partenaires de poursuivre leurs efforts pour aider ceux qui en ont le plus besoin. Alors, parlons de sexe, voulez-vous ?

 


Auteurs

Keith Hansen

World Bank Country Director for Kenya, Somalia, Rwanda and Uganda

Carmen Carpio

Senior Health Specialist for the Africa Region at the World Bank

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