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Burkina Faso : le rôle clé de l’Open Data dans les premières élections depuis l’insurrection

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La publication, en temps réel, des résultats du scrutin présidentiel au Burkina Faso a favorisé la confiance des électeurs dans le processus électoral.
 

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Un vendeur de journaux à Ouagadougou, après l’élection de Roch Marc Kaboré à la tête du pays, le 3 décembre 2015. Crédit : Issouf Sanogo/AFP/Getty Images

La tenue d’élections démocratiques dans les États en transition n’est jamais simple. Faute d’expérience sur laquelle s’appuyer mais aussi par manque de moyens et de transparence, il arrive souvent que des rumeurs, des tensions et des troubles éclipsent le processus et jettent un doute sur la fiabilité des résultats.

Dès le lendemain du scrutin, soit le lundi 30 novembre à midi, les burkinabés ont pu avoir une idée assez précise du nom du successeur de Blaise Compaoré, homme fort du régime renversé en 2014.
Une situation radicalement différente des consultations précédentes : pour la première fois, le décompte des bulletins est accessible en temps réel. Le site officiel des élections a publié au fur et à mesure les scores des candidats, district par district, donnant pour chaque province le nom de celui qui faisait la course en tête.

Rien n’est plus important que la confiance durant les élections. La période entre la fermeture des bureaux de vote et l’annonce des résultats définitifs est particulièrement critique, surtout dans les États en transition. Dans d’autres cas observés récemment sur le continent, ce laps de temps a duré jusqu’à quatre jours, un délai propice à la circulation de rumeurs et la propagation du doute.

Au Burkina Faso, les résultats de 21 districts ont été publiés dans les heures suivant la fermeture des bureaux, grâce à une application web accessible sur smartphone et gérée par la plateforme Open Data du Burkina Faso (Bodi) Cette dernière émane d’une autorité gouvernementale chargée de promouvoir les technologies de l’information.

Les responsables de Bodi étaient familiers de l’ouverture de données provenant de l’administration publique burkinabè. Avec le soutien de mon équipe de l’Open Data Institute (ODI) (a) et dans le cadre du réseau Open Data for Development, ils se sont associés à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) pour concevoir la plateforme de publication de données ainsi qu’un processus de contrôle à plusieurs étapes. Prenant leurs quartiers à la Ceni, ils ont travaillé toute la nuit avec d’autres observateurs pour publier, après vérification, les données remontant des bureaux régionaux de décompte.

Les informations étaient également mises à disposition sur un webdoc sous licence libre (consulter le guide (a) que j’ai préparé à cet effet), au cas où le site cesserait d’être accessible, comme cela arrive régulièrement. Tout ce dispositif a permis de vérifier rapidement les premiers résultats et de les comparer à un décompte effectué en parallèle par la Codel (une alliance d’organisations de la société civile) et, ce faisant, de renforcer la confiance vis-à-vis du processus. Les médias nationaux et autres ont, tout au long de la journée, repris les éléments publiés sur le site.

Les résultats électoraux sont des données délicates à diffuser, pour des raisons techniques, politiques et institutionnelles. Quand j’ai rencontré les membres de la Ceni en juillet pour évoquer l’idée de Bodi, ils en ont tout de suite perçu l’intérêt. Des obstacles restaient toutefois à surmonter.  

Des difficultés techniques liées à la transmission en temps réel, ont été résolues, car la plate-forme ne devait pas déstabiliser les systèmes conçus pour résister aux tentatives de fraude. D’un point de vue politique, il faut être sûr de publier des données vérifiées, mission qui incombe à une commission électorale indépendante. Enfin, d’un point de vue institutionnel, il faut tenir compte de la réticence, justifiée, à adopter de nouvelles pratiques et à modifier des systèmes et des processus ayant vocation à préserver l’équilibre des pouvoirs.

C’est là où les concepts, outils et cadres liés à l’Open Data — des données « ouvertes », c’est-à-dire accessibles, exploitables et partageables par tous — prennent tout leur sens, permettant la publication en temps réel des résultats. L’engagement préalable du pays et l’introduction depuis deux ans du libre accès aux données publiques, soutenue par l’ODI et la Banque mondiale, ont servi de toile de fond à la concrétisation de ce projet.

Rien n’aurait été possible sans l’engagement de la Ceni en faveur de la transparence et de l’ouverture, une attitude qui lui a valu les félicitations appuyées de la mission d’observation de l’Union européenne.

C’est là un résultat remarquable au vu des embûches entourant ce scrutin vital, quelques semaines seulement après une tentative de coup d’État qui aurait pu tout compromettre. En parvenant à leurs fins, malgré la complexité du contexte et le manque de ressources, la Ceni et l’équipe de la Bodi ont démontré la faisabilité et l’intérêt crucial de la publication de résultats en temps réel, et donné une leçon dont pourraient s’inspirer d’autres commissions électorales.

La communauté internationale devrait prendre cette question à cœur. Les commissions électorales et tous ceux qui les soutiennent devraient se servir des outils et des cadres propres à l’Open Data pour banaliser la publication en temps réel des résultats électoraux et renforcer ainsi la confiance des citoyens vis-à-vis de la démocratie.

Texte publié pour la première fois sur le blog du Guardian consacré aux données, le 4 décembre 2015.


Auteurs

Liz Carolan

Responsable pour le développement international, Open Data Institute

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