Toutes les études récentes consacrées à l’Asie et à l’Afrique subsaharienne, démontrent clairement que les écarts de productivité entre les hommes et les femmes demeurent importants. La situation des agricultrices est bien moins bonne que celles des agriculteurs. C’est d’autant plus préoccupant que, dans la plupart des pays en développement, les femmes travaillent tout autant, voire plus, que les hommes dans l’agriculture. Bien que les facteurs à l’origine de ce phénomène, divergent selon les pays, le rapport que nous avons publié en 2014, au sein du Laboratoire d’innovation de la Banque mondiale pour l’égalité des sexes en Afrique, montre que les agricultrices africaines souffrent principalement de problèmes d’accès à la main-d’œuvre. Intitulé Levelling the Field (a), ce rapport a analysé le cas de six pays Africains.
Nous nous sommes notamment rendus au nord de la Côte d’Ivoire, où, dans la perspective d’une évaluation d’impact portant sur la distribution de matériel de labour aux producteurs de coton, nous avons cherché à déterminer ce qui entrave la productivité des agricultrices dans cette région, à en comprendre la cause, et à envisager des solutions. Nous avons constitué des groupes de discussion avec les producteurs de coton, interrogé des acteurs de la filière et analysé les données quantitatives existantes afin de compléter nos résultats qualitatifs et de confirmer les tendances régionales et nationales observées.
Notre conclusion est sans surprise : les femmes emploient moins de main-d’œuvre que les hommes. Cet écart est de 11 % dans l’ensemble de la Côte d’Ivoire (en comparant des ménages de même taille et avec une surface de parcelles similaire), et il atteint même 35 % dans le bassin cotonnier des régions du nord du pays. Lire notre dernière étude Du temps et de l’argent : une étude des problèmes de main-d’œuvre rencontrés par les productrices de coton en Côte d’Ivoire.
Quelles en sont les raisons ? Le temps et l’argent. Si l’insuffisance des liquidités dont disposent les productrices a été mise en évidence dans des travaux antérieurs, les contraintes de temps apparaissent également comme l’une des principales explications des écarts entre les sexes. Elles ont notamment pour effet — comme nous le montrons — de limiter la participation des femmes aux réseaux d’échange de travail qui pourraient les aider à remédier à leur contrainte de liquidités.
Comme toujours, les normes de genre sont à l’origine du problème. Ainsi, parce qu’ils considèrent que l’homme doit subvenir aux besoins du foyer, les ménages privilégient les besoins des producteurs, plutôt que ceux des productrices, en ce qui concerne les intrants agricoles. En outre, le coton devant être planté et récolté sur de courtes périodes très précises, ils n’ont parfois pas le temps de s’occuper de celui cultivé par les femmes, ou ils le font tardivement, au détriment de la qualité, et donc du prix de vente obtenu par les productrices.
Comment améliorer la situation ? Les autorités pourraient tout simplement procéder à des transferts monétaires, une pratique de plus en plus courante dans nombre de pays en développement. Mais, parallèlement, il faut prêter attention aux effets inattendus des transferts destinés à faciliter les embauches par les productrices. Par exemple, étant donnée la rigidité du marché du travail dans les villages, les hommes risquent de manquer de main-d’œuvre et, par conséquent, de faire appel à leur épouse ou à leurs enfants pour compenser.
En outre, afin que le financement de la main-d’œuvre ait des effets durables, il est nécessaire d’associer les époux, et, plus généralement, les hommes, aux efforts destinés à accroître la productivité des femmes. C’est précisément la démarche que nous avons expérimentée l’été dernier avec un programme de vulgarisation agricole axé sur les couples et entrepris dans le cadre de la composante hévéa du Projet d’appui au secteur agricole en Côte d’Ivoire. Nous avons repensé le programme existant pour proposer une formation conjointe, sensibiliser à la question de la parité entre les sexes et aider les couples à planifier leurs activités sur l’ensemble du cycle de culture, depuis la répartition des besoins de main-d’œuvre pour la plantation, jusqu’au partage du revenu agricole.
Ce programme constitue un exemple parmi beaucoup d’autres. Le Laboratoire d’innovation pour l’égalité des sexes en Afrique travaille dans plusieurs domaines pour optimiser l’accès des femmes à la main-d’œuvre, et pour lutter contre les disparités entre hommes et femmes dans l’agriculture (si vous vous intéressez, vous aussi, à ce sujet, vous pouvez répondre à notre nouvel appel à propositions et prendre ainsi part à nos travaux).
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