Des bandes rocheuses d’à peine quelques mètres de large à marée haute. Voilà tout ce qui reste de certaines des plages les plus courues de la station balnéaire de Saly, au Sénégal. Au fil des ans, l’océan Atlantique grignote un peu plus la côte, au grand désarroi des gens du cru et des touristes. Actuellement, un quart du littoral sénégalais présente un risque élevé d’érosion — un chiffre qui pourrait atteindre 75 % d’ici 2080 si la hausse du niveau de la mer se poursuit. Victime du changement climatique, le tourisme sénégalais a été mis à mal alors qu’il fait partie des axes prioritaires d’action du Plan Sénégal émergent, la stratégie de croissance et de développement à long terme du pays.
L’intégrité du littoral joue, sans exagération, une importance vitale dans l’économie sénégalaise et qui est appelée à se renforcer. S’étendant sur plus de 531 km de long, les côtes du pays abritent 60 % de la population, soit environ 7,8 millions des quelque 13,5 millions d’habitants, et contribuent à hauteur de 68 % au PIB du pays. Selon les estimations actuelles, l’urbanisation du littoral aura augmenté d’un tiers entre 1990 et 2080. Au-delà de ses répercussions économiques, la fragilité des côtes soulève de réels risques d’appauvrissement, les conséquences négatives des chocs écologiques ayant tendance à peser plus lourd sur les pauvres. Dans un pays où pratiquement 50 % des habitants sont pauvres, la résilience face aux catastrophes naturelles et au changement climatique est cruciale.
L’érosion des côtes sénégalaises remonte au début des années 1980 — même si, à l’époque, personne n’a pris ce problème vraiment au sérieux. Principalement dû à la hausse du niveau de la mer, le phénomène est aggravé par les activités humaines et, notamment, les constructions sur le littoral. En entravant la rétention et l’absorption naturelles des eaux de pluie, l’extraction du sable et l’urbanisation du front de mer ont multiplié les risques d’inondation et mettent en péril l’habitat, les infrastructures et le tourisme. Dans une économie fortement dépendante des services, le tourisme occupe une place essentielle. Il fait d’ailleurs partie des principaux moteurs de la croissance sénégalaise identifiés par les autorités et est un important pourvoyeur d’emplois sur la côte en dehors de Dakar.
La disparition des plages est le problème numéro 1 pour un secteur déjà pénalisé par la lourdeur de la fiscalité, l’absence d’investissements publics et une gestion d’ensemble peu efficace. Le cas de Saly Portudal, haut lieu du tourisme balnéaire du pays, est emblématique à cet égard. Forte de ses 15 hôtels et ses 23 complexes résidentiels pour vacanciers, l’économie locale dépend exclusivement des activités de plage. Mais avec l’érosion du littoral, 30 % des hébergements n’ont plus accès à des plages dignes de ce nom.
La baisse de l’activité touristique fragilise certes l’économie locale, mais elle rejaillit aussi négativement sur l’économie tout entière. En supposant une forte corrélation entre vulnérabilités de la population et vulnérabilités du littoral, y compris les risques humains, matériels et économiques, la valeur actuelle nette de l’érosion du littoral et de la submersion marine au Sénégal est estimée à 344 milliards de francs CFA (688 millions de dollars). Les autres coûts potentiels, comme la perte tragique de vies humaines ou la destruction de sites du patrimoine culturel et des écosystèmes, sont difficiles à quantifier.
Aucune politique cohérente de lutte contre l’érosion du littoral n’a été adoptée et si les mesures prises isolément sont parvenues localement à endiguer le phénomène, elles l’ont aggravé ailleurs. Vu le caractère éminemment prioritaire du tourisme dans la stratégie nationale de développement du Sénégal, cette question mérite que l’on s’y attèle de toute urgence.
Aujourd’hui, 63 % des Sénégalais ont conscience des effets négatifs de la dégradation de l’environnement, de sorte que les mesures décidées par le gouvernement devraient avoir le soutien de la population. Ici comme dans bien d’autres domaines, les politiques doivent, pour être efficaces, pouvoir s’appuyer sur des données fiables. Un cadre d’intervention doit être introduit, pour hiérarchiser et coordonner les réponses, parallèlement à la conception du plan de gestion des zones côtières, à affiner dans le temps. L’aménagement urbain, la réforme institutionnelle, une meilleure concertation entre institutions et le renforcement des connaissances techniques des agences gouvernementales font partie des dispositions complémentaires.
Enfin, le pays ne pourra faire l’économie de réformes législatives et réglementaires afin de poser des bases légales cohérentes pour la gestion du littoral, avec entre autres la Loi littoral, le Programme national de prévention de l’érosion des côtes et le Plan national d’action contre le changement climatique. Surtout, il faudra faire évoluer les mentalités des décideurs et de l’opinion publique face aux menaces que constituent l’érosion du littoral et le changement climatique — un pari loin d’être gagné. Et pourtant, le temps presse.
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