Ce 21 février 2020, c’est jour de fête à Koné Béri, au Niger. Les habitants du village se retrouvent pour célébrer le quatorzième anniversaire d’un projet qui, pour certains, s’apparentait à une idée saugrenue : qui en effet aurait pu croire que la vente d’un produit aussi intangible que l’air finirait par porter ses fruits, grâce aux crédits carbone obtenus en échanges de leurs plantations agroforestières ? Aujourd’hui pourtant, les représentants de 26 communautés rurales étaient tous là pour le premier versement jamais effectué au Niger au titre de la réduction des émissions de carbone.
S’étendant sur six régions du pays, ces communautés ont récupéré au total 450 000 dollars en échange des émissions de gaz à effet de serre évitées grâce à la plantation d’acacias du Sénégal. Depuis 14 ans, 7 200 hectares de terrains à l’abandon ont ainsi été reboisés dans le cadre d’un projet d’agroforesterie relevant du programme d’action communautaire (PAC) de la Banque mondiale. Entré dans sa troisième et ultime phase, ce programme est le premier du genre en Afrique de l’Ouest à se concrétiser en revenus.
Une réussite qui fait la fierté de toutes les parties prenantes, à savoir le ministère nigérien de l’Agriculture et de l’Élevage, la dynamique industrie agroalimentaire franco-nigérienne, Achats Service International (ASI), la Banque mondiale et le Fonds biocarbone — sans oublier les communautés participantes, plus de 100 000 hommes et femmes au total, dont la patience et le dévouement ont été une source constante d’inspiration.
Au lancement du projet, en 2006, les villageois étaient incrédules : qui diable pourrait bien les payer pour les gaz à effet de serre qu’ils étaient censés piéger avec leurs arbres ? Et ils avaient de quoi être sceptiques : à l’époque en effet, les marchés de compensation volontaire venaient tout juste de naître et rien ne prouvait qu’ils seraient un jour efficaces… Ce projet pilote a bénéficié du soutien du Fonds biocarbone pour l’achat des crédits carbone jusqu’en 2020.
Projet irréaliste ou pas, les partenaires ont saisi l’occasion pour reconquérir des terres abandonnées et tester de nouvelles méthodes d’agroforesterie afin d’améliorer la production vivrière et augmenter les revenus dans certaines des régions les plus déshéritées du Niger. Grâce au soutien et à la formation sans faille prodigués par le PAC, des groupes communautaires se sont constitués pour transformer ensemble des jeunes plants d’acacias, pas plus hauts que le genou, en arbres matures.
En plus des crédits carbone, ces plantations ont engendré de nombreux autres bénéfices importants. Les arbres ont été sélectionnés pour leurs capacités à restaurer des sols abîmés et parce qu’ils produisent de la gomme arabique, utilisée comme stabilisant dans l’industrie agroalimentaire. Aujourd’hui, les communautés qui la cultivent la vendent à ASI, qui s’occupe de l’exportation. Avec la croissance des arbres, le sol a récupéré toute sa vitalité : les habitants pratiquent désormais des cultures intercalaires, en plantant au milieu des bois du niébé, des arachides et du mil. Les excédents sont vendus sur les marchés locaux. Les animaux n’ont pas été oubliés, avec la culture de fourrage. Toutes ces activités procurent des revenus et des emplois, en particulier pour les femmes et les jeunes, et contribuent à ralentir l’exode rural que connaît actuellement le pays.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces terres autrefois arides et abandonnées abritent désormais un large éventail d’activités rémunératrices durables et ont permis de reconstituer des habitats naturels. Le projet a créé des microclimats qui ont favorisé l’apparition de nouvelles espèces végétales et animales. Une promenade sur le site de Tchida vous plonge au milieu d’une nature foisonnante, parmi des oiseaux qui volent à travers le feuillage et des arbres offrant une ombre bienfaisante contre la chaleur torride. Le contraste avec le milieu environnant, brûlé de soleil et dans un état de détérioration persistante, est saisissant.
Au bout de dix années de soins attentifs, les plantations avaient atteint un volume suffisant pour s’inscrire dans le processus de certification de carbone. En 2017, nous nous sommes lancés dans une campagne intense de mesure du diamètre et de la hauteur des arbres sur les sites du projet, dans tout le pays, calculant le potentiel de piégeage du carbone et faisant valider nos résultats par des tiers. Après deux ans de travail acharné, les Nations Unies ont fini par émettre, en 2019, les premiers crédits carbone liés au projet. Après les avoir récupérés, ASI les vendus au Fonds biocarbone qui a ensuite distribué l’argent aux 26 communautés participantes, au prorata de la taille de leurs plantations.
L’argent gagné sert à de multiples usages : les communautés le réinvestissent pour entretenir et étendre les plantations, acheter du matériel et des intrants agricoles, remettre en état les points d’eau, fournir aux écoles et aux dispensaires locaux les fournitures tant attendues, prêter de l’argent aux femmes et aux jeunes… et la liste est loin d’être terminée. Les investissements du PAC ne font que des gagnants.
Pendant la cérémonie organisée à Koné Béri, les habitants ont rappelé que la Banque mondiale les avait accompagnés de bout en bout, en leur apprenant non seulement à « pêcher du poisson » mais en « leur fournissant aussi le filet et le bateau » ! Le projet prend fin en 2020, mais les groupes communautaires sont désormais bien structurés et continueront à cultiver leurs plantations avec le soutien d’ASI, leur partenaire.
Perdant chaque année au bas mot 100 000 hectares de terres agricoles, le Niger est en première ligne face au changement climatique et à la désertification. Soucieux de renforcer la sécurité alimentaire, le gouvernement cherche à s’appuyer sur des projets comme celui-ci pour restaurer 3,2 millions d’hectares de terres dégradées à l’horizon 2030. Cet objectif ambitieux ne sera pas réalisable sans le soutien massif de partenaires et d’investisseurs. Notre expérience pilote a démontré toute l’importance du temps, de l’engagement et de la mobilisation des communautés pour parvenir, grâce au reboisement, à restaurer durablement des terres dégradées. Désormais, nous savons que c’est possible… et rentable !
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