Au Sénégal, la politique de nutrition est à la croisée des chemins – soit on double nos efforts et on s’attaque aux problèmes fondamentaux ; soit on finira par s’enliser à cause de notre inertie. Ayant opté pour la première option, le gouvernement doit maintenant beaucoup mieux intégrer le rôle indispensable de la femme dans la nutrition.
Pourquoi investir dans la nutrition ? Parce que la malnutrition entrave le développement économique et humain. Parce qu’un enfant sous-alimenté a une plus faible espérance de vie, des capacités cognitives et scolaires réduites et un revenu potentiel de 10 à 17 % plus bas à l'âge adulte.
Près de la moitié des décès d'enfants de moins de 5 ans sont dus à la malnutrition : sur les 34 000 enfants de moins de 5 ans décédés au Sénégal en 2010, plus de 16 000 souffraient d'une forme de malnutrition.
Et ceux qui survivent, accusent souvent un retard dans leur scolarité (en moyenne de 7 mois), sont moins aptes à apprendre et risquent davantage de quitter l'école prématurément.
Derrière ces chiffres, se cache la période cruciale des 1 000 premiers jours de la vie ; c’est-à-dire de la conception jusqu’à l’âge de 24 mois. Au cours des mois suivant la naissance, au fur et à mesure que le nourrisson découvre son environnement, son cerveau établit plus de 1 000 connections (synapses) par seconde (voir images ci-dessous). Or, les carences nutritionnelles freinent la vitesse de ce réseautage de la matière grise et ont des conséquences irréversibles.
Il a été démontré qu’une simple carence en iode (phénomène important à l’est du pays) engendre une baisse permanente du quotient intellectuel (QI) de 10 à 15 points. De même, on constate qu’un faible poids à la naissance, fréquent chez 18 % des nouveau-nés au Sénégal, provoque une baisse de 5 points de QI. Des pratiques sous-optimales d’allaitement, ce qui concerne 66 % des enfants de moins de six mois au Sénégal, grignotent encore 4 points de QI. Les études révèlent également une corrélation entre les retards de croissance (qui affectent un enfant de moins de cinq ans sur cinq) et une baisse de 5 à 11 points de QI. Enfin, l'anémie, le trouble nutritionnel le plus répandu au Sénégal (trois enfants sur cinq) entraîne une baisse de 8 points de QI.
Fig: Retard de croissance au Sénégal et en Afrique sub-saharienneGraphique : Retard de croissance et RNB par capita (méthode Atlas)
Mais depuis 2012, le taux de retard de croissance stagne, ainsi que le montant du financement dédié à la politique de nutrition. Si rien n’est fait, et que l’on ajoute à cela les effets négatifs du changement climatique, qui risqueront de peser sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle, le Sénégal pourrait bien perdre les acquis de ces 15 dernières années.
En outre, les politiques de nutrition ont eu tendance à négliger d’autres facteurs tels que la malnutrition maternelle (22 % des femmes), le faible poids à la naissance (18 % des nouveau-nés), l’anémie ferriprive liée aux carences en fer (60 % chez les enfants de 6 à 59 mois) alors que de nouvelles maladies, liées au surpoids et à l’obésité s’annoncent déjà.
Pour surmonter ces obstacles il faut :
- Doubler nos efforts (et notre soutien financier) afin de généraliser les interventions à l’ensemble du pays ;
- renforcer la résilience des ménages et des communautés aux chocs externes ou climatiques qui ont un impact sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle ;
- s’attaquer au « double fardeau » de la malnutrition qui souvent, engendre à la fois des problèmes de sous-alimentation et de surpoids au sein des mêmes ménages.
Le pays a entamé une nouvelle série de réformes visant à décentraliser la fourniture de services de nutrition au niveau des collectivités locales, afin de favoriser une meilleure interaction avec les organisations de la société civile, les agents de nutrition et autres acteurs directs. Cette initiative est chapeautée par la Cellule de lutte contre la malnutrition (CLM), qui dépend directement du cabinet du Premier ministre. Elle prévoit de financer et suivre différents secteurs liés à la nutrition.
Mais il faudra avant tout placer la femme au cœur de ces efforts. Car au sein du ménage, c’est toujours elle qui joue un rôle central pour la croissance de l’enfant et la sécurité alimentaire. Or, on ne pourra y parvenir sans faire évoluer les normes sociales qui pèsent lourdement sur ses prérogatives et ses tâches, ses opportunités en matière d’éducation, ainsi que son accès aux ressources de production, de consommation et de soins aux enfants.
Si nous voulons interrompre le cycle intergénérationnel de la malnutrition et de la pauvreté, nous devons comprendre que la promotion du statut de la femme dans la société sénégalaise va de pair avec une alimentation équilibrée chez l’enfant.
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