Comment se projeter dans un métier sans modèle à suivre ? C’est tout l’enjeu de la sous-représentation des femmes dans les filières STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques), que l’on impute de plus en plus à l’absence de « modèles féminins ». Mais l’émergence d’une nouvelle génération de femmes capables de donner l’exemple dans les filières technologiques laisse espérer que cette visibilité grandissante contribuera à battre en brèche des préjugés sexistes qui dissuadent souvent les jeunes femmes de s’engager dans des métiers d’avenir.
Le récent Sommet africain sur la place des femmes et des filles dans la technologie (a), organisé à Accra par la Web Foundation et qui a réuni plus de 250 femmes — militantes, dirigeantes, actrices du numérique et autres innovatrices — en est l’éclatante démonstration. Il s’agissait d’étudier et de promouvoir des solutions pour faciliter l’accès des femmes à la technologie, aux compétences et à l’entrepreneuriat numériques ainsi qu’à la sécurité des données.
Toutes ces spécialistes de la technologie inventent des programmes novateurs pour donner aux femmes les outils qui leur permettront de jouer un rôle tangible dans la transformation numérique de l’Afrique. Sources d’inspiration pour les autres, elles créent ainsi un cercle vertueux.
Une idée simple présidait à cet événement : prouver que l’influence des modèles féminins pour faire reculer les inégalités hommes-femmes n’est pas uniquement une belle théorie. Des travaux de recherche ont en effet montré (a) que la présence de modèles auxquels s’identifier améliore l’efficacité personnelle des femmes, leurs aspirations et leur envie de s’engager dans les filières STIM.
Dans un ouvrage (a) récent consacré aux solutions pour accroître le nombre de femmes participant à des formations intensives de codage, le Groupe de la Banque mondiale a constaté l’importance des modèles féminins pour contrecarrer les stéréotypes masculins sur la technologie mais aussi recruter et fidéliser plus de femmes dans ce secteur.
C’est en cela que ce groupe de femmes inspirantes, qui se mobilisent pour embaucher et former la prochaine génération de femmes technologues, constitue une telle bouffée d’oxygène.
Dans le nord du Nigéria, Sarah Osikhuemhe s’efforce, avec Abo Coders (a), d’aider des jeunes femmes à accéder à des moyens de subsistance durables en acquérant des compétences techniques perfectionnées. La plupart d’entre elles n’ont jamais vu un ordinateur de leur vie. Six mois plus tard, elles maîtrisent le développement de sites web, l’administration de réseaux et la conception graphique. Mais le plus dur reste à faire : leur trouver un emploi sur place.
À la tête de Developers in Vogue (a) au Ghana, Ivy Barley permet à des femmes d’acquérir, sur site ou à distance, des compétences en codage, de bénéficier d’un accompagnement individuel et de trouver des emplois adaptés. La formation intensive est gratuite et flexible. Ivy a également pensé aux femmes du secteur informel, qu’elle forme à l’informatique pour améliorer leur chiffre d’affaires et leur productivité.
Ces innovatrices sont par ailleurs capables d’adapter la conception de leurs programmes aux besoins des femmes. Lorsque Tadzoka Pswarayi, fondatrice d’Impact Hub Harare (a), a proposé d’accueillir les enfants des stagiaires pendant la formation, qu’elle occupe avec des travaux manuels et de la peinture, les taux d’inscription de femmes ont quasiment atteint les 50 %.
Le sommet a également insisté sur la nécessité d’améliorer la visibilité des jeunes femmes dans les filières technologiques, étape incontournable pour garantir une meilleure représentativité dans les décisions politiques, soutenir des solutions innovantes à des problèmes complexes et susciter l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants.
Mais la visibilité est une arme à double tranchant, en ceci qu’elle augmente le risque de cyberharcèlement et de violences. L’organisation Article 19 (a) et la branche kényane de l’Association internationale des femmes de radio et de télévision ont organisé un atelier sur les violences sexistes véhiculées à la faveur de la technologie (a) — qu’il s’agisse de harcèlement moral et sexuel, d’intimidation ou de discours haineux sur Internet ou via les réseaux sociaux destinés à blesser l’autre en dénigrant son orientation sexuelle ou son sexe. Ces organisations ont axé leurs actions sur ces problèmes depuis les violences qui ont émaillé les élections de 2017 et qui visaient les femmes en vue.
Bien conscients des risques découlant de cette visibilité accrue, les participants à la conférence ont néanmoins affirmé leur confiance dans le rôle positif d’une meilleure représentation des femmes pour l’avenir des filières technologiques en Afrique. Un optimisme qui ne doit pas faire oublier l’ampleur des défis à relever : ainsi, les modèles féminins n’auront d’impact véritable que lorsque les femmes pourront accéder à des moyens technologiques bon marché, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui et explique les inégalités persistantes, et parfois grandissantes, entre les sexes. Plus de 2 milliards de personnes (a) vivent dans des pays où l’accès à Internet reste hors de leur portée, sachant qu’en Afrique, la part des femmes utilisant Internet est inférieure de 25 % (a) à celle des hommes et que l’écart se creuse.
« Dans le monde merveilleux de la technologie, où tout tourne autour de l’esprit d’entreprise et de l’innovation et où l’engouement pour une idée ne dure qu’un temps (la blockchain cette année alors que l’an dernier, on n’en avait que pour l’open data…), il faut être attentif aux facteurs sous-jacents », met en garde Nanjira Sambuli, administratrice principale à la Web Foundation. « Le point de départ, c’est un accès à un prix abordable. Si les gens n’ont pas les moyens d’acheter les appareils pour se connecter et pour financer leur temps de connexion, ce n’est même pas la peine de leur faire miroiter le reste. »
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