Publié sur Blog de Données

L'inégalité spatiale dans les pays arabes : 5 étapes essentielles pour l'intégration régionale (MENA)

Note de l'éditeur : cet article a été publié initialement en anglais sur le blog de la Brookings Institution, Future Development.

Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, le destin des populations dépend plus de leur lieu de naissance que dans toute autre région du monde . Cette situation est à juste titre jugée problématique par les gouvernements de la région, qui ont pris de multiples mesures pour tenter de répondre aux besoins des populations des zones retardataires, où d’importants investissements ont été effectués. Pour créer des emplois dans les zones les plus pauvres, les responsables politiques ont par exemple essayé d’y imposer l’implantation de nouvelles installations de production. Et pour répondre à la demande de logements et d’équipements satisfaisants dans les quartiers urbains pauvres, d’importantes sommes ont été investies dans d’énormes projets immobiliers.

Malgré cela, les disparités spatiales continuent de croître, ou se réduisent plus lentement que prévu compte tenu du volume des investissements affectés à ces zones. Pourquoi ? Parce que les causes de l’exclusion spatiale ne sont pas géographiques et physiques, mais plutôt économiques et institutionnelles.

Graphique 1 : À quelques exceptions près, comme la Jordanie, l'inégalité spatiale est plus importante dans la région MENA

 À quelques exceptions près, comme la Jordanie, l'inégalité spatiale est plus importante dans la région MENA

POURQUOI LA RÉGION MENA EST-ELLE SI FRAGMENTÉE ?

Pourquoi la convergence territoriale est-elle si difficile ? Un nouveau rapport de la Banque mondiale avance quatre raisons.

  1. La plupart des zones retardataires de la région MENA n’ont pas su pleinement tirer parti de leurs ressources, car l’environnement économique et les infrastructures de leurs villes et agglomérations entravent la création et la croissance de nouvelles entreprises. De fait, en dehors des capitales, les petites villes n’ont jamais les pouvoirs nécessaires pour collecter leurs propres recettes et gérer la prestation de services locaux.
  2. La majorité des habitants des zones retardataires sont « cloués sur place », incapables de profiter pleinement des emplois qu’offrent les économies urbaines plus dynamiques. L’immobilité des populations est sans doute largement imputable aux systèmes éducatifs qui délivrent des diplômes.
  3. Dans les zones avancées, des réglementations rigides et dépassées faussent les marchés fonciers et entravent le développement. En Tunisie, par exemple, la réglementation interdit les immeubles résidentiels de plus de trois étages, tandis qu’en Jordanie la réglementation impose une taille de lot minimale de 100 mètres carrés, limitant ainsi l’offre de logements formels abordables.
  4. Les gouvernements de la région MENA ont érigé de redoutables obstacles au commerce et à la migration. Les principaux obstacles sont les limites en matière d’information et les contraintes qui entravent les voyages et le commerce (difficultés d’obtention de visas, insuffisance des infrastructures, problèmes logistiques).

Graphique 2 : La situation est ardue pour les entreprises en dehors des capitales de la région MENA

situation pour les entreprises en périphérie dans la région MENA

Remarquez que si elles entraînent des inégalités spatiales en termes d'accès aux opportunités, les raisons de la fragmentation ne sont pas elles-mêmes spatiales.

CONCEVOIR UN MÉCANISME DE CONVERGENCE

L’accélération de l’intégration et de la convergence passe par la résolution de ces problèmes. Les gouvernements de la région peuvent rapidement et efficacement réduire les disparités territoriales grâce à cinq mesures :

  1. Renforcer la coordination et les complémentarités entre les initiatives. Les stratégies de développement ont plus de chances de réussir si elles sont multidimensionnelles et visent notamment l’accès à l’énergie, aux transports, à la terre et aux marchés – en un même lieu, séquentiellement ou simultanément. À cette fin, il est important d’ancrer les investissements dans les villes et leurs environs. Des réformes complémentaires qui permettent de fixer les prix à un niveau approprié – pour l’énergie et la terre – peuvent fortement favoriser la création d’emplois dans les régions retardataires. Mais les gouvernements n’ont pas besoin d’augmenter leurs investissements pour améliorer leurs résultats, car la coordination spatiale entraînera des économies à moyen et long terme.
  2. Redistribuer les rôles et les responsabilités entre les différents niveaux de gouvernement. Les citoyens des différentes régions des pays ont des besoins divers, et les conditions locales exigent des modèles de prestation de services souples. Le transfert aux collectivités locales des responsabilités en matière de génération de recettes locales et de prestation de services locaux permet de les renforcer et de les responsabiliser.
  3. Favoriser la mobilité des personnes entre les zones retardataires et avancées. En moyenne, les habitants de la région MENA sont deux fois moins mobiles à l’intérieur de leur pays que ceux d’autres régions du monde. Nos études montrent que le niveau de vie des personnes qui s’installent dans les grandes villes peut augmenter de 37 % en moyenne dans la région. Les femmes sont plus susceptibles de se déplacer et de trouver un emploi en zone urbaine, mais elles ont besoin de soutien pour ce faire. Les systèmes éducatifs de la région doivent être réorientés vers l’acquisition de compétences recherchées sur le marché.
  4. Construire des villes denses et connectées. Les villes bien gérées offrent un large éventail d’emplois, pour les femmes comme pour les hommes. Il est donc essentiel d’améliorer l’efficacité des marchés fonciers urbains, dans une perspective de concentration et de spécialisation – deux dynamiques qui favorisent la création d’emplois et la prospérité économique. Que ce soit dans les grandes villes ou dans les petites villes (secondaires), la concentration et la spécialisation doivent pouvoir bénéficier des avantages liés à la forte densité de l’activité économique. À cette fin, le tissu urbain doit être spatialement connecté, démographiquement dense et axé sur les transports, plutôt que d’être étiré, ce qui perpétue la dispersion des personnes et des emplois. Les planificateurs et les organes de réglementation peuvent inciter les entreprises à investir dans les villes en réduisant les obstacles tels que les règlements de zonage, les entraves à l’acquisition et à la construction de biens immobiliers (coûts, limites de hauteur et de densité), les difficultés liées à l’immatriculation des entreprises locales et à la délivrance de permis, les limites en matière d’information et les obstacles au développement des réseaux d’entreprises locaux.
  5. Améliorer l’accès au marché aux niveaux national et régional. Les villes de la région MENA faisaient autrefois partie d’importants réseaux commerciaux internationaux. Bon nombre d’entre elles sont aujourd’hui de grandes agglomérations. Mais les gouvernements de la région ont trouvé le moyen de réduire l’étendue de ces réseaux, du niveau mondial au niveau local. Ces réseaux doivent, au minimum, avoir des dimensions nationales et régionales. À cette fin, les liens entre les frontières nationales devraient être améliorés – en réduisant les tarifs douaniers, en améliorant la logistique, en facilitant les échanges et en instaurant des protocoles de migration. Ces efforts permettront de développer les économies et fourniront des ressources indispensables qui devront être redistribuées aux zones retardataires.

Graphique 3 : Seul 14 % des habitants de la région MENA ont quitté leur lieu de naissance, contre 28 % dans les autres pays 

Autrement dit, les gouvernements de la région MENA doivent commencer à mettre en place un mécanisme moderne de convergence. Les pièces maîtresses de ce mécanisme sont les institutions qui facilitent l’intégration, et les infrastructures qui favorisent les échanges. La région MENA n’est plus pauvre : l’année dernière, son PIB par habitant s’élevait à près de 7 000 dollars, ce qui la plaçait aisément parmi les régions à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Sa population devrait avoir accès à des services de qualité dans les domaines essentiels tels que l’éducation, la santé, l’assainissement et la sécurité publique. Des projets d’infrastructure bien choisis – routes, chemins de fer, ports et moyens de communication – peuvent permettre à ses entrepreneurs d’accéder aux importants marchés de la région (le PIB régional s’élève à 3 000 milliards de dollars) et aux marchés voisins encore plus importants, au nord et à l’est de la région MENA. Des interventions spatialement ciblées pourraient également être nécessaires, mais elles ne sont pas essentielles.

La plus grande erreur que les gouvernements ont peut-être commise est de considérer ces interventions – des programmes visant à déplacer l’activité économique vers les régions retardataires tout en favorisant les capitales – comme la clé de voûte de ce mécanisme. Il est temps de mettre un terme à ces mesures stériles, qui exacerbent la fragmentation dans la région et accélèrent les efforts d’intégration.

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> Télécharger le rapport : Convergence : Vers l’intégration des territoires retardataires et avancés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (en anglais)


Auteurs

Somik Lall

Conseiller principal auprès de l’économiste en chef du Groupe de la Banque mondiale

Ayah Mahgoub

Urban Economist, Social, Urban, Rural and Resilience Global Practice, World Bank

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