Publié sur Blog de Données

Données sur l’emploi du temps : des informations essentielles pour l’égalité des sexes, mais difficiles à collecter

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Photo: © Stephan Gladieu / Banque mondiale

Les données sur l’emploi du temps sont de plus utiles aux politiques de développement. Elles reflètent le nombre d’heures consacrées par les personnes à diverses activités telles que le travail, mais aussi à des tâches non rémunérées comme les travaux domestiques, les soins aux enfants, les loisirs et les soins personnels. Il est désormais admis que le bien-être individuel ne dépend pas seulement des revenus ou de la consommation, mais aussi de la manière dont le temps est utilisé. Par conséquent, ce type de données peut nous permettre de mieux comprendre comment les individus font des choix de gestion du temps, et donc d’améliorer nos connaissances sur le bien-être.

Les données sur l’emploi du temps révèlent ainsi que les hommes et les femmes passent leur temps différemment, en partie à cause des normes sociales et des rôles assignés à chaque sexe. Le temps de travail rémunéré et non rémunéré est inégalement réparti, les femmes assurant généralement une part disproportionnée du travail non rémunéré et consacrant proportionnellement moins de temps que les hommes à des activités rémunérées.

Comment les femmes et les hommes occupent-elles/ils leur temps ?

Dans un article à paraître rédigé avec Mariana Viollaz (Universidad Nacional de La Plata, Argentine), nous examinons les différences entre les sexes en matière d’emploi du temps dans 19 pays de sept régions du monde, toutes catégories de revenu confondues. Notre analyse confirme les conclusions du Rapport 2012 sur le développement dans le monde (a) relatives aux disparités entre les femmes et les hommes en ce qui concerne les activités rémunérées et non rémunérées.

En moyenne, les femmes comme les hommes consacrent la plus grande partie de leur temps à des activités personnelles telles que le sommeil et l’hygiène (environ 11 heures par jour dans les deux cas). Néanmoins, en dehors de cette similarité, des différences très nettes apparaissent.

Chez les femmes, le travail domestique non rémunéré (soin aux enfants et tâches ménagères) est la deuxième activité la plus importante (5,1 heures), suivie des loisirs (4,7 heures). Le travail rémunéré est l’activité à laquelle les femmes consacrent le moins de temps (2,3 heures). Chez les hommes en revanche, les soins personnels sont suivis par les loisirs et l’activité professionnelle (environ 5 heures dans les deux cas). Et c’est au travail domestique non rémunéré que les hommes consacrent le moins de temps (2 heures par jour). Si ces résultats sont intéressants, ils doivent toutefois être interprétés avec prudence compte tenu des limites liées aux données, détaillées ci-dessous.

Emploi du temps et égalité des sexes dans les programmes de développement

Les données sur l’emploi du temps et leur collecte revêtent une importance croissante pour le développement, comme en témoigne la cible 5.4 de l’Objectif de développement durable n° 5, qui fait de la reconnaissance, la réduction et la redistribution du travail domestique non rémunéré une condition pour atteindre l’égalité entre les sexes. L’indicateur 5.4.1 correspondant (compilé par la Division de statistique de l’ONU à partir des données produites par les bureaux nationaux de statistique et récemment ajouté à notre portail de données sur l’égalité des sexes [a]) mesure la proportion du temps consacré aux soins et travaux domestiques non rémunérés, ventilée par sexe.

Sur la base des données de cet indicateur, le graphique ci-dessous montre que les inégalités entre les sexes dans les soins et travaux domestiques non rémunérés sont associées à des taux plus faibles de participation des femmes au marché du travail. À l’exception de quelques pays africains, les femmes qui assument davantage de responsabilités domestiques sont moins susceptibles de participer au marché du travail.

 

La collecte de données sur l’emploi du temps au moyen d’enquêtes indépendantes et représentatives à l’échelle nationale est difficile et coûteuse. Les pays développés conduisent depuis longtemps ce type de consultation, mais c’est une pratique moins courante dans les pays en développement. Par conséquent, les données nécessaires au suivi de l’ODD 5.4 sur le travail domestique non rémunéré sont limitées.

Dans 135 pays, il n’existe pas de données sur la proportion du temps consacré aux soins et travaux domestiques non rémunérés entre 2000 et 2015, ce qui rend invisible la majeure partie de ces activités dans les pays en développement.
 

 


En outre, l’indicateur en lui-même pose aussi problème, car il combine le temps consacré aux tâches ménagères et aux soins domestiques, qui sont des activités de nature très différente. Malheureusement, compte tenu des méthodes et outils utilisés pour collecter les données, cette combinaison est probablement le meilleur moyen de suivre les avancées à l’échelle mondiale.

Limites et difficultés liées aux données sur l’emploi du temps

La qualité et la comparabilité des données d’un pays à l’autre posent aussi problème. En effet, les outils de collecte, plans d’échantillonnage et classifications des activités sont très hétérogènes. En ce qui concerne la collecte des données, les enquêtes ont recours à deux méthodes principales : des agendas où les personnes notent les activités qu’elles effectuent sur une période donnée, ou des séries de questions auxquelles les personnes doivent répondre en indiquant le temps qu’elles consacrent à des activités spécifiques. Par ailleurs, la couverture de la population étudiée est très variable. Certaines enquêtes ne sont réalisées qu’en milieu urbain, comme au Panama, tandis que d’autres, par exemple en Cisjordanie et à Gaza, vont même jusqu’à prendre en compte les populations de réfugiés. Les groupes d’âge varient aussi : l’âge minimum des répondants va de 5 ans (Tanzanie) à 15 ans (Chine, Turquie), 18 ans (Argentine), voire 20 ans (Autriche, Espagne). Quant à l’âge maximum, il est fixé à 64 ans en Afrique du Sud par exemple, et atteint 80 ans en Arménie. Enfin, de nombreuses enquêtes ne tiennent pas compte des variations saisonnières dans l’emploi du temps et limitent la collecte de données à un ou deux mois.

Outre toutes ces difficultés, les données disponibles ne permettent pas encore de mesurer correctement certains types de tâches, en particulier celles qui sont essentielles pour comprendre les disparités entre hommes et femmes. Par exemple, ces données sont en général codées de manière à enregistrer une activité à la fois. Si, dans quelques pays en développement, les enquêtes sont conçues pour rendre compte d’activités simultanées — comme cuisiner en écoutant la radio —, dans la plupart des pays, seules sont systématiquement enregistrées les activités « principales », tandis que les tâches « secondaires » sont le plus souvent omises par les répondants.

Le temps consacré aux enfants est particulièrement susceptible d’omission, car les personnes accomplissent souvent d’autres tâches en s’occupant des enfants, comme quand elles regardent la télévision avec eux. Il en résulte une représentation faussée des contraintes de temps associées à la parentalité, qui varie considérablement d’un ménage et d’un pays à l’autre. Par conséquent, dans la mesure du possible, la quantification des soins domestiques devrait prendre en compte à la fois les activités principales et secondaires.

De nouvelles méthodes pour aller de l’avant

Compte tenu de l’importance des données sur l’emploi du temps, comment pouvons-nous rendre leur collecte plus facile et moins coûteuse ? L’adaptation des méthodes traditionnelles et le recours aux nouvelles technologies offrent des pistes prometteuses. Par exemple, l’indice d’autonomisation des femmes dans l’agriculture (a) a testé, dans le cadre d’une enquête plus vaste, un module d’emploi du temps « allégé » qui offre la possibilité de rendre compte d’activités simultanées. Et au Royaume-Uni, une récente enquête (a) utilisant un agenda en ligne et une application mobile a permis de recueillir des données sur l’emploi du temps des adolescents. Enfin aux États-Unis, dans le cadre d’une étude marketing (a), les répondants ont été munis d’un smartphone spécial pendant 10 jours afin de répondre à un questionnaire autoadministré. Toutes les heures, ils étaient invités à répondre à un court sondage comprenant des questions sur leur activité en temps réel, y compris la durée, le lieu et leur état d’esprit.

Il s’agit là du premier de deux billets sur l’égalité des sexes et l’emploi du temps. Le second détaillera la méthode que nous avons adoptée pour harmoniser les données d’un pays à l’autre et présentera les résultats de l’article sur l’emploi du temps mentionné au début de ce billet.


Auteurs

Eliana Rubiano-Matulevich

Économiste au sein de la cellule Genre et égalité des sexes de la Banque mondiale

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