Allez leur expliquer qu’une femme qui travaille n’en est pas moins responsable de son foyer. Allez leur expliquer que rien ne va si vous ne descendez pas dans l’arène, que vous avez tout à vérifier, souvent tout à reprendre : ménage, cuisine, repassage. Vous avez des enfants à débarbouiller, le mari à soigner. La femme qui travaille a des charges doubles aussi écrasantes les unes que les autres, qu’elle essaie de concilier. Comment les concilier ? Là, réside tout un savoir-faire qui différencie les foyers.
Dans son roman primé, Une si longue lettre, Mariama Bâ décrit de manière poignante ce que cela signifiait d'être une femme sénégalaise dans les années 1970. Aujourd'hui, cinquante ans plus tard, de nombreuses femmes au Sénégal, tout comme dans d'autres pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA),[i] continuent de se heurter à des défis similaires. Les données recueillies par l'Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (EHCVM) 2021/22, réalisée dans les huit pays de l'UEMOA, reflètent cette réalité.[ii]
En octobre 2023, le projet Renforcer les statistiques sur le genre (SGS) de la Banque mondiale, une initiative conjointe de son Groupe Genre, de sa Pratique mondiale en matière de pauvreté et d'équité, et de l'Étude sur la mesure des niveaux de vie (LSMS) de son Groupe de données sur le développement a, en collaboration avec la Commission de l'UEMOA, organisé un atelier de renforcement des capacités en matière de statistiques sur le genre à Lomé, au Togo. L'atelier a réuni des participants issus de sept pays de l'espace UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Sénégal et Togo), ainsi que de deux pays non membres de l'UEMOA (Tchad et République du Congo), et a produit 31 indicateurs liés au genre. Ces nouvelles données sur le genre ont servi de base à la production du premier Livret genre régional 2024 de l’UEMOA, qui offre un aperçu des inégalités de genre en matière de démographie, d’éducation, de participation au marché du travail, d’emploi, de rémunération, d’entrepreneuriat, de possession de biens, de prise de décision et de travail des enfants.
Dans ce blog, nous revenons sur quatre points à retenir de ce premier livret genre régional récemment publié par l’UEMOA et qui porte sur le travail, l’emploi et la participation des femmes au marché du travail.
[i] L'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) est composée de huit pays : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.
[ii] L'EHCVM est une enquête harmonisée réalisée dans les huit États membres de l'UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo), avec l'appui financier et technique de la Banque mondiale et de la Commission de l'UEMOA.
1. Les femmes consacrent près de cinq fois plus d’heures que les hommes au travail domestique non rémunéré
La façon dont les femmes et les hommes passent leur temps, en particulier l’équilibre entre travail rémunéré et travail non rémunéré, offre des informations précieuses en matière de développement économique. Les données de l’EHCVM 2021/22 montrent que les femmes âgées de 15 ans et plus des pays de l’UEMOA consacrent près de cinq fois plus d’heures au travail domestique non rémunéré que les hommes.
En moyenne, les femmes consacrent deux heures de leur journée au travail domestique non rémunéré, tandis que pour les hommes, ces tâches ne prennent que 30 minutes — comme l’illustre la figure 1. L’écart entre les sexes est particulièrement important au Burkina Faso, au Niger et au Mali, où les femmes travaillent environ deux heures de plus que les hommes. La majeure partie du temps de travail non rémunéré des femmes est consacrée aux tâches domestiques, notamment les emplettes au marché, la cuisine, la vaisselle, la lessive, la recherche d’eau et de bois (2 heures). Viennent ensuite les activités de soins telles que s’occuper des enfants, des personnes âgées ou malades, et aider les enfants à faire leurs devoirs (0,4 heure). Le fait que les femmes consacrent une part importante de leur temps aux tâches et aux soins domestiques a des conséquences négatives sur leur capacité à s’insérer et à rester sur le marché du travail et à faire progresser leur carrière.
2. Près de la moitié de toutes les femmes employées dans l’espace UEMOA travaillent à temps partiel, avec d’importantes disparités entre les pays
Dans l’ensemble des pays de l’UEMOA, les données de l’EHCVM 2021/2022 montrent que les femmes sont moins susceptibles que les hommes de participer à la population active (41 % contre 66 % respectivement) et d’avoir un emploi (40% contre 65 % respectivement). En revanche, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à travailler à temps partiel.
Les données de l’EHCVM 2021/2022 révèlent que 45 % des femmes actives dans les pays de l’UEMOA travaillent à temps partiel, contre 22 % des hommes actifs. Cette disparité est particulièrement frappante au Niger, où 73 % des femmes actives travaillent à temps partiel contre 26 % des hommes. À l’inverse, la situation dans des pays comme le Bénin et le Togo montre que cet écart peut être plus réduit — voir Figure 2. Cette variation des écarts de travail à temps partiel entre les femmes et les hommes dans les pays de l’UEMOA indique que les politiques locales, les normes sociales et les conditions économiques pourraient jouer un rôle décisif dans l’orientation des trajectoires d’emploi des femmes.
3. L’écart salarial entre les sexes favorise les hommes par rapport aux femmes, mais les variations entre les pays sont importantes
Dans l’espace UEMOA, l’écart de rémunération horaire moyen[i] entre les hommes et les femmes s’élève à 15 points de pourcentage, ce qui signifie que les femmes ne perçoivent que 85 % de ce que gagnent les hommes. En d’autres termes, pour 1 000 francs CFA gagnés par les hommes, les femmes de l’espace UEMOA ne reçoivent que 853 francs CFA.
Cet écart varie considérablement d’un pays à l’autre, certains affichant des disparités plus importantes. Le Bénin et le Togo présentent les écarts salariaux les plus importants entre les hommes et les femmes, s’élevant à 34 et à 30 points de pourcentage, respectivement. À l’opposé, la Côte d’Ivoire affiche l’écart salarial le plus faible de la région, avec 7 points de pourcentage. Le Niger est le seul pays qui se démarque de la tendance régionale avec un écart de rémunération horaire de 11 points de pourcentage favorable aux femmes.
[i] Veuillez noter que l’écart salarial entre les hommes et les femmes ne tient pas compte des facteurs susceptibles d’avoir une incidence sur le salaire, notamment la qualification, l’expérience, le secteur d’emploi, etc.
4. Les femmes sont sous-représentées dans les postes de direction
Dans les pays de l’espace UEMOA, pour 10 postes de direction, seuls environ 2 sont occupés par des femmes.
Les disparités vont au-delà des frontières géographiques et sont visibles dans tous les secteurs de l’emploi. Les femmes sont plus susceptibles d’occuper des postes de direction dans le secteur privé (avec une proportion de 24 %) que dans le secteur public (18 %) — figure 5. Toutefois, quelques scénarios positifs se dégagent des données : la proportion de femmes occupant des postes de direction en Guinée-Bissau et au Burkina Faso dépasse la moyenne régionale, s’élevant à 32 % et à 26 % respectivement.
Perspectives
Les résultats ci-dessus sont contenus dans le premier livret genre régional de l’UEMOA, qui compile une série de statistiques régionales harmonisées rendant compte des défis quotidiens dans la vie des femmes, fournissant des points de référence pour des comparaisons régionales et mettant en évidence des pistes d’interventions ciblées sur le genre. Dans le cadre de ses efforts continus pour améliorer la qualité et la disponibilité des données sur le genre, le projet SGS poursuivra son partenariat avec la Commission de l’UEMOA à travers le projet de renforcement des capacités statistiques régionales en cours, soutenu par la Banque mondiale, et l’assistance technique pour le troisième cycle de l’enquête EHCVM à venir.
À terme, en exploitant le potentiel des données sur le genre, les pays seront capables d’élaborer des politiques qui améliorent et transforment véritablement la vie des femmes et des filles, ouvrant ainsi la voie à un avenir plus équitable et plus prospère pour tous.
L’équipe SGS exprime sa gratitude à Prospère R. Backiny-Yetna, Abdoullahi Beidou et Aissatou Ouedraogo pour leurs précieuses contributions et leur soutien à l’élaboration du livret genre régional de l’UEMOA.
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