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Impact de COVID-19 sur la pauvreté et les inégalités : ce que révèlent les enquêtes téléphoniques

People wearing mask and selling vegetables on street market, daily struggle life of street vendor during covid pandemic at Kathmandu.
Photo: gorkhe1980/Shutterstock

Alors que nous allons bientôt entrer dans la troisième année de la crise de COVID, nous affinons notre analyse de l’impact de la pandémie sur la pauvreté et les inégalités dans le monde. La pandémie a induit de nombreux changements, en particulier dans la manière dont nous collectons les données. La conduite d’enquêtes auprès des ménages, qui constituait avant la pandémie notre principale méthode de recueil de données, s’est avérée soudainement impossible dans la plupart des pays en développement en raison des règles de distanciation physique. Les enquêtes téléphoniques à haute fréquence (a), réalisées par la Banque mondiale en liaison avec les instituts nationaux de statistique, ont pallié ce problème. Celles-ci sont plus légères que les enquêtes régulières sur les ménages en termes de format et de portée, mais elles dressent un tableau qui nous permet d’analyser les changements dans le bien-être des ménages lorsque d’autres sources de données ne sont pas disponibles.

Le dernier rapport sur les Perspectives économiques mondiales — et plus précisément le chapitre 4, dont on peut consulter les points clés ici (a) et les graphiques (a) — ainsi qu’un document de travail connexe (a) se fondent sur ces enquêtes à haute fréquence pour estimer l’impact de COVID-19 sur la pauvreté et les inégalités dans 34 pays situés dans cinq régions du monde[1]. Le présent billet propose une synthèse de ces estimations.

Les enquêtes téléphoniques permettent de déterminer la proportion de ménages dont le revenu a baissé, augmenté ou n’a pas changé depuis le début de la pandémie, mais elles ne permettent pas de connaître leur position dans l’échelle de distribution des revenus. Cependant, outre les données de la dernière enquête sur les ménages réalisée dans un pays donné, nous pouvons aussi utiliser les informations sur les caractéristiques des familles (démographie, niveau d’éducation et lieu de résidence rural/urbain) collectées lors des enquêtes téléphoniques pour tenter de déterminer la probabilité qu’un ménage ait subi une perte de revenu en 2020. Cela nous aide à comprendre si le segment supérieur ou inférieur de l'échelle économique était plus susceptible de perdre des revenus pendant l’année considérée.

Nous avons comparé les pertes pour deux groupes : les 40 % les plus pauvres et les 60 % les plus riches dans chaque pays. La figure 1 montre la différence de probabilité de perte de revenus entre les deux groupes pour les zones rurales et urbaines, et à l’échelle nationale.

Une estimation positive suggère que les deux quintiles inférieurs étaient plus susceptibles de perdre des revenus que les trois quintiles supérieurs. Pour les ménages ruraux, les pertes étaient variables : dans 12 pays, le segment des 60 % les plus riches risquait davantage de perdre des revenus, alors que dans 20 pays, cette probabilité était plus élevée pour les 40 % les plus pauvres. En ce qui concerne les ménages urbains, les pertes étaient en général plus importantes pour les 40 % inférieurs, 29 pays sur 34 ayant rapporté des pertes plus importantes pour les deux quintiles inférieurs que pour les trois quintiles supérieurs. L’analyse révèle que la pandémie a été particulièrement dure pour les ménages pauvres des villes et qu’elle a pu creuser les inégalités dans les zones urbaines. 

Figure 1 : Part des ménages ayant perdu des revenus en 2020, 40 % les plus pauvres moins les 60 % les plus riches

Part des ménages ayant perdu des revenus en 2020, 40 % les plus pauvres moins les 60 % les plus riches

Source : Narayan et al. (2022). Pour plus de détails, voir Mahler et al. (à paraître).

Les enquêtes téléphoniques ne permettent pas de déterminer l’ampleur de ces pertes de revenus, mais en répartissant la croissance sectorielle du PIB des pays entre les ménages urbains et ruraux — à l’aide des informations de la figure 1 et de certaines autres hypothèses présentées dans le document de travail —, nous pouvons mesurer la pauvreté et les inégalités en 2020.

Nous constatons que l’extrême pauvreté a augmenté en 2020 pour tous les pays (figure 2). Les évolutions attendues de l’extrême pauvreté sans COVID-19 sont présentées dans la partie gauche du graphique et les modifications dues à la pandémie figurent dans la partie centrale. La partie droite montre l’effet net de la pandémie, soit la somme de ceux qui seraient sortis de l’extrême pauvreté en 2020 si la pandémie n’avait pas eu lieu et ceux qui sont devenus extrêmement pauvres en 2020 par rapport à 2019. En moyenne, l’extrême pauvreté induite par COVID-19 devrait augmenter de 0,9 point de pourcentage dans les 34 pays, et de 1,3 point de pourcentage si nous ne considérons que les pays d’Afrique subsaharienne.

Figure 2 : Évolutions de l’extrême pauvreté induites par COVID-19

Évolutions de l?extrême pauvreté induites par la COVID-19

Source : Narayan et al. (2022). Pour plus de détails, voir Mahler et al. (à paraître).

Si la pauvreté a fortement augmenté dans la plupart des pays, les estimations montrent que les changements dans la répartition des revenus ou de la consommation entre les ménages ont été limités, ce qui s’explique par plusieurs raisons. Dans certains pays, presque tous les ménages ont subi des chocs de revenus négatifs, quelle que soit leur position initiale dans la distribution des revenus. Dans d’autres économies, les ménages les plus durement touchés — les pauvres en milieu urbain — ne se situent pas au bas de la distribution nationale. En revanche, dans les pays à faible revenu, les plus pauvres vivent en général dans les zones rurales et travaillent dans l’agriculture, le secteur le plus épargné par la pandémie. Dans d’autres pays encore, le soutien aux revenus apporté par le gouvernement a atténué la baisse des revenus des plus pauvres.

La figure 3 indique l’évolution des inégalités en 2020 par rapport à 2019. La partie gauche présente l’évolution de l’indice de Gini, et celle de droite l’évolution du ratio entre le quintile supérieur et le quintile inférieur des revenus. Nous observons que 27 des 34 pays ont enregistré une progression des inégalités, mesurée par l’indice de Gini. L’augmentation moyenne était faible, légèrement inférieure à 1 %. De même, 30 des 34 pays ont connu une hausse du ratio entre quintiles de revenu supérieurs et inférieurs. Pour ces 30 pays, le quintile supérieur (comparé au quintile inférieur) disposait en moyenne de 2,2 % de revenus supplémentaires en 2020 par rapport à 2019. 

Figure 3 : Changements dans la distribution des revenus induits par COVID-19

Changements dans la distribution des revenus induits par la COVID-19

Source : Narayan et al. (2022). Pour plus de détails, voir Mahler et al. (à paraître).

D’après ces simulations, les répercussions immédiates de la pandémie sur les inégalités de revenus au sein des pays seront probablement limitées. Cependant, elles seront sans doute aggravées par des facteurs qui posent des risques à plus long terme pour les inégalités et la mobilité sociale, en creusant les inégalités de chances préexistantes. En effet, sachant que les groupes défavorisés subissent des chocs plus importants et plus durables, ils sont également plus enclins à adopter des mécanismes d’adaptation qui compromettent leurs perspectives économiques et leur capacité à résister aux chocs futurs, par exemple en puisant dans leur épargne et en vendant des actifs.

Le redressement lent et hétérogène de l’emploi (a) dans de nombreux pays en développement fait planer le spectre d’inégalités croissantes sur les marchés du travail. Un très grand nombre d’enfants des familles les plus pauvres n’ont pratiquement pas eu accès à l’éducation pendant les fermetures d’écoles dans les pays en développement, ce qui entraîne des disparités en matière d’apprentissage qui risquent de limiter encore plus la mobilité intergénérationnelle. Pour éviter que ces tendances inégalitaires s’installent, les interventions politiques doivent cibler les ménages vulnérables, les enfants et les travailleurs défavorisés, mais aussi promouvoir une croissance économique qui favorise une reprise vigoureuse de l’emploi et des revenus.

Nous adressons nos plus vifs remerciements au gouvernement britannique pour son soutien financier dans le cadre du programme de recherche « Data and Evidence for Tackling Extreme Poverty » (DEEP). Ces travaux ont également été soutenus par un fonds fiduciaire de la Banque mondiale et de la République de Corée, par l’intermédiaire de l’École de politique et de gestion publiques de l’Institut coréen de développement (KDIS), au titre du partenariat de l’École KDI pour la création et le partage des connaissances.

Revivez une discussion (en anglais), sur la hausse des inégalités pendant la pandémie, avec Mari Pangestu, directrice générale de la Banque mondiale, et des personnalités de premier plan.


[1] Outre les enquêtes téléphoniques, Mahler et al. (à paraître) utilisent diverses sources de données pour étudier les changements dans la distribution des revenus dans 218 économies.


Auteurs

Nishant Yonzan

Economist, Development Data Group, World Bank

Alexandru Cojocaru

Économiste principal, Banque mondiale

Christoph Lakner

Économiste senior, Groupe de gestion des données sur le développement, Banque mondiale

Daniel Gerszon Mahler

Économiste senior, Groupe de gestion des données sur le développement, Banque mondiale

Ambar Narayan

Économiste principal, pôle Pauvreté et équité, Banque mondiale

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