Publié sur Blog de Données

Une nouvelle révolution agricole pour tous : combler le fossé des données

Photo of a gardener controlling plants using a tablet in  a greenhouse Photo of a gardener controlling plants using a tablet in a greenhouse

La numérisation de l'agriculture promet des rendements améliorés, une réduction des pertes et des gaspillages alimentaires, et une rétribution plus équitable des producteurs (a). Voilà une nouvelle potentiellement excellente pour les 570 millions de petits exploitants de la planète, dont les récoltes représentent environ un tiers de la production alimentaire mondiale, mais qui représentent eux-mêmes une part importante de la population mondiale vivant dans la pauvreté (moins de 2,15 dollars par jour). Or le développement agricole est l'une des formes de croissance les plus à même de réduire la pauvreté, sachant qu’il permet d’augmenter les revenus des plus pauvres deux à quatre fois plus efficacement (a) que les autres secteurs.

Alors que nous entrons dans une ère d'omniprésence des données, il ne faudrait cependant pas voir dans la technologie une panacée pour l'agriculture et en particulier pour les petits exploitants. Car si les sources fondamentales de statistiques sur le développement — recensements, enquêtes, registres d'état civil et systèmes administratifs — ainsi que les infrastructures technologiques nécessaires ne sont pas mises à profit pour tous, la révolution numérique ne pourra qu'approfondir la fracture entre riches et pauvres.

La « datafication » (inéquitable) de l'agriculture

Les données ont l'immense pouvoir de transformer la façon dont les agriculteurs du monde entier nourrissent plus de 8 milliards de consommateurs. En effet, les applications mobiles peuvent changer du tout au tout les économies d'échelle traditionnelles en réduisant substantiellement les coûts de transaction des producteurs ainsi que les contraintes dues à la taille de leurs exploitations, et en leur permettant de pénétrer de nouveaux marchés. De même, la fintech bouleverse le système de prêt sur hypothèque qui a régné jusqu'à présent (a) et engendré un déficit de financement de 150 milliards de dollars au détriment des petits exploitants. L'imagerie par satellite (a) et les capteurs in situ améliorent la précision tout en réduisant le coût des systèmes de suivi des cultures et de contrôle de la qualité de l'eau ou de l'air. Que ce soit pour évaluer la qualité du sol aujourd'hui, la quantité de précipitations pendant la prochaine récolte ou la stabilité à long terme du cours du maïs au Mozambique, le numérique facilite désormais les flux de données dans le système alimentaire, tout en limitant fortement les asymétries d'information et en donnant forme à de nouveaux marchés. 

Un manque cruel de statistiques

Parce qu’il existe une inégalité d'accès aux infrastructures statistiques sur lesquelles repose la révolution numérique, ses bienfaits ne vont pas là où ils seraient les plus utiles. Les pays ont besoin de disposer d'informations sur leur population afin de cibler correctement leurs interventions et d'affecter de façon efficace les ressources requises par les réformes. Or, ceux où vivent le plus grand nombre d'habitants pauvres, souffrant de la faim et marginalisés, manquent cruellement de données, ce qui les rend moins aptes à soutenir leurs citoyens vulnérables. 

Cet aspect est particulièrement important au regard du 2e Objectif de développement durable (ODD), qui vise à éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire et une meilleure nutrition et promouvoir l’agriculture durable. Car comment se rapprocher de cet objectif quand la plupart des pays à revenu faible ou intermédiaire ne sont pas en mesure de produire les trois indicateurs nécessaires pour suivre les progrès accomplis ?

C'est pourquoi nous devons nous intéresser tant aux sources traditionnelles de statistiques sur le développement, comme les enquêtes auprès des ménages, qu'aux données provenant des nouvelles technologies : géolocalisation, télédétection, applications mobiles ou encore réseaux sociaux. Afin que tous puissent bénéficier d’une agriculture nourrie de l'apport des données, nous devons allier pratiques de base et de pointe, en intégrant de manière innovante ces sources complémentaires d’informations. 

Mauvaises informations = mauvaises décisions

Le développement agricole passe par de bonnes décisions. Mais pour prendre de bonnes décisions, encore faut-il les appuyer sur de bonnes informations. Les pays à revenu faible ou intermédiaire investissent environ 600 milliards de dollars par an dans le secteur agricole (a), souvent sans disposer des données nécessaires pour affecter ces fonds à bon escient. Par conséquent, c'est souvent à l'aveuglette que les pouvoirs publics et les entreprises, petits exploitants compris, font des choix et entreprennent des actions d'importance cruciale.

La rareté de données récentes et de qualité rend extrêmement difficile pour les responsables politiques de faire des choix avisés afin d'assurer la croissance économique de leur pays et d'y réduire la pauvreté. Cela conduit à des résultats insatisfaisants : pertes de productivité, manques à gagner et, en fin de compte, une aggravation de la faim et de la pauvreté. Combler la fracture numérique et l'empêcher de se rouvrir est donc une condition sine qua non pour des prises de décision et des choix d'investissements éclairés qui permettront de favoriser le développement agricole et d’atteindre l’ODD n° 2.

Combler des lacunes

L'Initiative 50x2030 (a) a été mise en place pour remédier au déficit numérique dans l'agriculture. Étendu sur dix ans, ce programme de 500 millions de dollars vise à accroître les capacités de 50 pays à revenu faible ou intermédiaire à produire, analyser, interpréter et appliquer des données aux décisions portant sur le secteur agricole, afin de favoriser le développement rural et la sécurité alimentaire. Cette initiative s’inscrit dans la continuité du programme d'enquête agricole intégrée (AGRISurvey) de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture des Nations Unies (FAO) et du projet de la Banque mondiale dédié aux études sur la mesure des niveaux de vie et aux enquêtes intégrées sur l'agriculture (LSMS-ISA) (a). Son objectif est d’aider les pays à se doter de systèmes de statistiques nationales fiables dans le domaine agricole et rural.

L'Initiative 50x2030 aide les pays à collecter des données de qualité, qui soient suffisamment affinées pour qu'on en dégage des tendances et modèles, condition déterminante d'un suivi efficace des inégalités et d'un ciblage approprié des actions à entreprendre. Ce programme renforce la capacité des pays à identifier les données dont ils ont besoin pour étayer leurs choix en matière agricole, de façon à assurer leur développement économique, humain et social. Afin de combler leur déficit de statistiques, l'Initiative innove en intégrant de nouvelles sources de données et en modernisant les sources plus classiques, comme les enquêtes auprès des ménages, par l'adjonction de technologies et de méthodes nouvelles. Dans un souci de pérennité, elle fait de l'utilisation des données une priorité en s'attachant à renforcer les écosystèmes nationaux (c’est-à-dire les parties prenantes, les actifs de données et les structures qui les régissent) via l'amélioration des compétences, de la communication, des politiques et des pratiques.

L'Initiative réunit l'esprit et les ressources de différentes organisations de développement — Agence américaine pour le développement international, Fondation Bill et Melinda Gates, ministère allemand de la Coopération et du Développement économiques, ministère australien des Affaires étrangères et du Commerce, et ministère italien des Affaires étrangères et de la Coopération —, ainsi que les capacités techniques et opérationnelles de grandes organisations œuvrant sur le terrain — FAO, Fonds international de développement agricole et Banque mondiale — et l'expertise des pays partenaires. Un peu plus des deux tiers de son financement provient de ces pays, par l'intermédiaire des ressources de la Banque mondiale (IDA et BIRD), le reste étant alimenté par des donateurs et organisations philanthropiques, via principalement un fonds fiduciaire multidonateurs. À l'avenir, ces contributions pourraient être acheminées à travers une voie complémentaire, le Global Data Facility (a), un fonds fiduciaire-cadre administré par la Banque mondiale et destiné à lever des ressources pour combler les lacunes numériques dans les pays en développement.

L’Initiative 50x2030 a enfin pour objectif fondamental de garantir l'équité dans ce qui constitue la dernière révolution en date dans l’agriculture : celle des données. En d'autres termes, cela consiste à permettre à tous les pays et à tous les agriculteurs de tirer parti des avantages procurés par la révolution numérique,  en exploitant le levier des nouvelles technologies au service de politiques et d’investissements fondés sur des données probantes.


Auteurs

Haishan Fu

Statisticienne en chef de la Banque mondiale et directrice de la cellule Données sur le développement

Martien van Nieuwkoop

Directeur mondial, pôle Agriculture et alimentation, Banque mondiale

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