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Obligations basées sur les résultats : quand les gains des investisseurs dépendent des résultats des projets de développement durable

Water purifier photos were shared with us by the project developer in Vietnam ?Sustainability Investment Promotion and Development Joint Stock Company (SIPCO) Water purifier photos were shared with us by the project developer in Vietnam “Sustainability Investment Promotion and Development Joint Stock Company (SIPCO)

L'article original est publié dans l'édition 2024 de l’International Debt Capital Markets Handbook.


Le contexte

Depuis leur première émission réalisée en 1947, les obligations de la Banque mondiale sont un outil très efficace pour orienter l'argent des investisseurs publics et privés du monde entier vers les projets de développement qui nécessitent des financements . Ainsi, la Banque a été à l'origine d'un grand nombre des évolutions les plus importantes sur les marchés des capitaux d'emprunt, notamment l'émission de la première obligation mondiale (1989), de la première obligation électronique (2000), de la première obligation verte (2008) et de la première obligation-catastrophe supranationale (2014).

Traditionnellement, les obligations de la Banque mondiale financent l’ensemble de ses projets de développement durable. En d'autres termes, il n'y a pas de lien direct entre une émission obligataire donnée et un projet particulier. Toutefois, l'institution a récemment commencé à lancer un nouveau type d'obligations, qui finance directement un projet ou une activité spécifique et qui subordonne une partie du rendement de cette obligation à la réussite du projet ou de l'activité. Étant donné que le retour sur investissement est directement lié à un résultat positif, nous les appelons « obligations basées sur les résultats ».

Trois émissions obligataires innovantes

Depuis 2021, la Banque mondiale a émis trois obligations basées sur les résultats : une « obligation carbone » pour financer un projet de purificateur d'eau au Vietnam, une « rhinobligation » destinée à un projet de conservation de la faune sauvage en Afrique du Sud et une obligation conçue pour soutenir la riposte de l'UNICEF à la COVID-19. Ces obligations mobilisent des capitaux privés et transfèrent le risque de performance du projet aux investisseurs, qui sont récompensés si les activités en question sont couronnées de succès. Tout en utilisant les infrastructures d’émission existantes, elles permettent à la Banque mondiale et à ses investisseurs de soutenir des projets de développement d'une manière entièrement nouvelle.

Un exemple concret

Au Vietnam, un promoteur privé avait besoin de fonds pour un projet de purification de l'eau, afin de fabriquer et distribuer 300 000 purificateurs dans 8 000 écoles du pays. Grâce à ces appareils, environ deux millions d'écoliers pourraient avoir accès à de l'eau propre et les émissions de gaz à effet de serre seraient réduites en évitant de brûler de la biomasse pour purifier l'eau. La solution a été la Carbon Bond, une obligation de la Banque mondiale d'une durée de cinq ans et d'un montant de 50 millions de dollars, dont le capital est protégé. Les investisseurs renoncent aux paiements d'intérêts ordinaires sur l'obligation et les coupons sont convertis en un montant initial équivalent (7,2 millions de dollars), qui est transféré au promoteur du projet pour financer la purification de l'eau.

Sustainability Investment Promotion and Development Joint Stock Company (SIPCO)


L'utilisation des purificateurs génère des crédits carbone et les investisseurs reçoivent des paiements semestriels équivalents au produit de la vente de ces crédits au cours de chaque période d'intérêt (jusqu'à un maximum de 10,4 millions de dollars de rétribution totale des coupons). Autrement dit, les investisseurs renoncent à un coupon ordinaire (qui finance le projet) et reçoivent à la place un coupon potentiellement plus élevé qui est basé sur le succès de ce projet, mesuré par le nombre de crédits carbone produits. Sachant que le capital de cette obligation carbone est protégé à 100 % et que seul le coupon est lié au risque du projet, l'obligation a été notée AAA(p), ce qui correspond à la notation du risque de crédit du seul capital.

Avantages des obligations basées sur les résultats

Les obligations basées sur les résultats visent à bénéficier à toutes les parties concernées :

  1. Pour les projets et les entités qui reçoivent le financement initial, elles fournissent le capital nécessaire.
     
  2. Pour la Banque mondiale, elles facilitent l'orientation des fonds des investisseurs qui viennent ainsi compléter les financements qu'elle alloue à certains projets, ou bien vers des projets qui ne reçoivent aucun financement direct de la Banque mondiale, mais qui s'inscrivent néanmoins dans le cadre de son mandat de financement durable.
     
  3. Pour les investisseurs, elles offrent plusieurs avantages : i) un niveau inédit d'additionnalité (le fait de savoir qu'en renonçant à un coupon régulier, ils contribuent au financement d'un projet ou d'une activité spécifique) ; ii) un lien direct entre leur retour sur investissement et le succès du projet ou de l'activité ; iii) la possibilité d'acheter une obligation de la Banque mondiale au rendement potentiellement plus élevé que celui d'une obligation ordinaire de l'institution.

Contraintes opérationnelles

Dans le cadre d’une obligation basée sur les résultats, des indicateurs prédéfinis et propres à chaque projet permettent d'en suivre les performances et de partager ainsi avec les investisseurs les risques et les bénéfices d'un projet de développement donné.  La disponibilité de données fiables est donc essentielle, et les projets doivent se doter de processus, d'une gouvernance et de contrôles solides en matière de communication de ces données. Les investisseurs devront être certains que les données seront facilement disponibles, selon un calendrier prédéterminé, pendant toute la durée de vie de l'obligation. Et outre cette confiance dans la disponibilité future des informations, les investisseurs devront avoir accès à des données historiques leur permettant d'analyser la probabilité que les objectifs soient atteints, sur la base des performances passées.

Enfin, compte tenu de possibles conflits d'intérêts inhérents à la communication d'informations par les promoteurs/exécutants des projets, les investisseurs accordent une grande importance au reporting et à l'audit des données par des tiers indépendants et dignes de foi. Par exemple, les coupons de la Rhino Bond ont été calculés de manière indépendante par Conservation Alpha et vérifiés par la Zoological Society of London.

Le haut degré d’ajustement propre à la structuration et à la gestion des obligations basées sur les résultats est chronophage et coûteux, ce qui peut constituer un obstacle pour les émetteurs comme pour les promoteurs de projets. Néanmoins, pour certains projets dont l'horizon temporel est long, les mécanismes mis en place pour une première émission peuvent être mis à profit pour des tranches ultérieures liées au même projet. Une autre possibilité de réduire les coûts est l'utilisation de la technologie de la blockchain pour suivre les projets depuis le décaissement jusqu'à l'achèvement. Plusieurs projets de développement dans les domaines de la santé, de l'éducation, des infrastructures et d'autres secteurs verticaux expérimentent ou utilisent déjà la blockchain. Cette technologie continue de s'affiner et offre des possibilités d'améliorer encore la gouvernance des projets et de rationaliser le suivi et la communication des données.

Réplicabilité

Les trois obligations basées sur les résultats émises par la Banque mondiale sont inédites à trois égards. Premièrement, elles servent trois objectifs qui n'ont aucun rapport entre eux : réduction des émissions de gaz à effet de serre en utilisant des purificateurs d'eau en Asie, meilleure protection des populations de rhinocéros en Afrique du Sud et plus grande sécurisation du financement de l'action de l'ONU face à la COVID-19. Ces opérations illustrent donc la manière dont les obligations basées sur les résultats peuvent être structurées et reproduites dans différentes sphères d'activité et zones géographiques pour répondre à un large éventail de priorités de développement. 

Deuxièmement, les trois opérations sont structurées de telle sorte que seul le montant des intérêts des obligations est affecté à des projets spécifiques, la Banque mondiale conservant le principal pour financer son portefeuille de projets de développement. Cela signifie que les investisseurs sont assurés de récupérer au moins le capital investi à l'échéance, comme pour toute autre obligation conventionnelle de la Banque mondiale. Le fait de ne lier que la part des intérêts des obligations à la performance des projets a ouvert la voie à la participation d'investisseurs qui, autrement, n'auraient pas été en mesure d'intégrer ces titres dans leurs portefeuilles traditionnels. Les contrats de gestion d'actifs qui incluent des obligations supranationales n'autorisent généralement pas la mise en péril du capital, de sorte qu'il est beaucoup plus facile pour les gestionnaires d'ajouter des obligations à capital protégé dans leurs portefeuilles. Par ailleurs, le contexte actuel de hausse des taux d'intérêt offre aux émetteurs la possibilité d'accroître le financement des projets et, par conséquent, les paiements aux investisseurs pour un même montant de placement.

Troisièmement, les trois obligations ont été émises dans le cadre du Mécanisme mondial d’émission d’obligations (GDIF) de la Banque mondiale. Elles sont régies par le droit anglais, deux d'entre elles sont cotées à la bourse de Luxembourg et sont entièrement négociables sur le marché secondaire. C'est là une caractéristique importante : elle les distingue de la plupart des obligations à impact qui ont été émises à ce jour, dont beaucoup ressemblent moins à des titres et sont plus comparables à des contrats particuliers aux termes desquels le capital des investisseurs est bloqué jusqu'à la date d'échéance prévue. En structurant les obligations basées sur les résultats d'une manière aussi proche que possible d'autres produits structurés bien établis et dont le capital est protégé, comme les titres indexés sur des actions et des matières premières, la Banque mondiale a pu attirer un plus grand nombre d'investisseurs des marchés de capitaux traditionnels.

La combinaison de ces avantages — réplicabilité dans différents secteurs et élargissement du vivier mobilisable de capitaux privés — offre un potentiel énorme pour une croissance exponentielle de la demande et de l'émission d'obligations basées sur les résultats. Des parallèles peuvent être établis avec le marché des obligations vertes. La première green bond jamais émise l'a été en 2008 par la Banque mondiale pour un montant équivalent à environ 150 millions de dollars, à peu près identique à celui de la rhinobligation. À l'instar des obligations vertes devenues de véritables catalyseurs qui apportent des centaines de milliards de dollars de capitaux à des projets respectueux de l'environnement, les obligations basées sur les résultats peuvent elles aussi orienter l'épargne bloquée dans d'autres domaines vers d'importantes priorités sociales. En l'absence de problème notable tant du côté de la demande (investisseur) que de l'offre (émetteur/projet), le principal défi à relever pour développer ces produits à plus grande échelle sera celui de la structuration. Comme expliqué ci-dessus, et compte tenu du caractère singulier de chaque projet, l'élaboration d'indicateurs, de mécanismes de suivi et de reporting personnalisés, mais aussi de structures de paiement, nécessite beaucoup de temps et de travail.

Un moyen de surmonter ces difficultés serait de lier la rémunération de ces obligations à un panier de projets gérés par des fondations ou d'autres organisations à but non lucratif dotées de structures de gouvernance bien établies. Nombre de ces organisations utilisent des outils de suivi et de contrôle rigoureux pour leurs projets, qui font l'objet de rapports et d'audits périodiques et qui pourraient servir de référence pour une obligation basée sur les résultats donnée. Cela permettrait à l'émetteur de gagner du temps sur la conception, la mise en œuvre et le reporting des indicateurs et de se concentrer plutôt sur la structuration et le marketing. Le lancement d’un emprunt obligataire global (plutôt que projet par projet) permettrait également aux émetteurs de lever des fonds à plus grande échelle.

Conclusion

Au cours des quinze dernières années, les préoccupations des investisseurs ont évolué de manière significative. Les gestionnaires d'actifs, les fonds de pension, les compagnies d'assurance, les trésoreries d'entreprise, les gestionnaires de patrimoine et les investisseurs individuels sont de plus en plus désireux d'obtenir un rendement social en plus du rendement financier de leurs placements. Cette tendance s'est traduite par une forte augmentation des lancements d'obligations dont les émetteurs utilisent le produit pour financer des projets et des activités qui favorisent le développement durable. Toutefois, ces obligations sont généralement garanties par la bonne foi et le crédit de confiance attribué à l'émetteur, et les investisseurs ne partagent aucun des risques liés au projet.

Les obligations basées sur les résultats ouvrent de nouveaux horizons, avec la possibilité d'impliquer le secteur privé dans le partage des risques.  Les investisseurs peuvent ainsi démontrer l'impact spécifique de leur placement ainsi que leur additionnalité (c'est-à-dire qu'en achetant une obligation, ils ont permis la réalisation d'un projet qui, autrement, n'aurait peut-être pas été financé). Autre aspect tout aussi important, l'utilisation d'indicateurs de performance peut contribuer à créer la culture et l'infrastructure nécessaires pour améliorer la gouvernance et l'efficacité opérationnelle des projets de développement. L'adage selon lequel « ce qui est mesuré peut être géré » est tout à fait pertinent. Chacun sait que les ressources du secteur public ne peuvent à elles seules nous aider à atteindre les 17 Objectifs de développement durable. Les obligations basées sur les résultats peuvent jouer un rôle essentiel en attirant des capitaux privés et en mobilisant le secteur privé pour contribuer à rendre le monde meilleur.
 

* Les auteurs sont membres du département de la Trésorerie de la Banque mondiale. Michael Bennett est directeur de la division Solutions du marché et financements structurés, et Akinchan Jain est directeur des Opérations sur actifs et passifs financiers. Les observations, interprétations et conclusions exprimées ici sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement l’opinion de la Banque mondiale ou de ses organisations affiliées.

Auteurs

Michael Bennett

Directeur Solutions du marché et financements structurés, Trésorerie de la Banque mondiale

Akinchan Jain

Chef de service, directeur Opérations sur actifs et passifs financiers, Trésorerie de la Banque mondiale

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