J’étudie depuis deux décennies des aspects à l’intersection entre les secteurs de l’éducation et de la technologie dans les pays à revenu faible ou intermédiaire et émergents. C’est un travail fascinant : au cours des 20 dernières années, j’ai été consultant, évaluateur ou participant dans des initiatives en faveur des technologies éducatives (« EdTech ») dans plus de 50 de ces pays. Concernant le recours aux technologies de l’information et de la communication (TIC) dans l’enseignement, la révolution promise semble toujours imminente. Des personnes me présentent fréquemment des idées en étant convaincues que, « cette fois, c’est différent », même si, par le passé, nombre des utilisations potentielles des nouvelles technologies n’ont pas abouti.
Souvent, on me demande aussi d’aider à repérer des initiatives très attrayantes, susceptibles, individuellement ou ensemble, d’éclairer des tendances et des approches naissantes dans ce secteur :
« Je m’intéresse à des exemples de projets innovants en technologies éducatives, venant du monde entier, surtout à ceux principalement destinés à aider enseignants et apprenants dans les pays en développement. En d’autres termes, pourriez-vous m’indiquer quelques projets et entreprises que je ne connais peut-être pas, mais que je devrais connaître ? »
Je reçois ce genre de demande presque chaque semaine (et parfois plusieurs fois par jour). Vu cette fréquence, j’ai jugé utile de présenter ici brièvement 20 initiatives, émanant de toutes les régions. J’espère ainsi attirer l’attention sur des projets intéressants qui sont peut-être peu connus mais dont on peut tirer beaucoup de leçons.
Même sans avoir la certitude que, « cette fois, c’est différent », on constate que ces projets foisonnent, et qu’une grande partie d’entre eux sont sophistiqués. Il n’y en avait jamais eu autant, dans autant d’endroits. Certains ont su mettre à profit des échecs du passé. D’autres, en revanche, reproduiront sans nul doute les mêmes erreurs, selon la définition d’Einstein : « la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». Espérons qu’aucun de ceux que je vais présenter ne tombera dans ce piège, même si je crains que quelques-uns ne puissent l’éviter.
Ma liste, qui mêle des initiatives avec et sans but lucratif, est délibérément sélective et non représentative (lire mes nombreuses remarques et explications qui suivent). Certains de ces projets sont forcément voués à l’échec ; d’autres seront très probablement modifiés à plusieurs reprises car ils tentent, pour reprendre la formule de Deng Xiaoping, « de « traverser la rivière en tâtant chaque pierre ». Et peut-être, je dis bien peut-être, une poignée pourrait se révéler aussi « transformateurs » qu’ils l’espèrent.
Les voici, dans l’ordre alphabétique :
1. ALISON
ALISON (a) propose des cours en ligne gratuits. Considéré par certains (a) comme le premier MOOC (ce que d’autres réfutent vigoureusement (a), un avis généralement partagé (a)), il compte de nombreux utilisateurs dans les pays en développement.
2. BRCK
BRCK (a) a d’abord conçu des matériels et logiciels pour remédier à des problèmes de connectivité spécifiques en Afrique. Il repose sur la plateforme iHub (a), à Nairobi, épicentre régional pour des initiatives EdTech innovantes en Afrique de l’Est (un futur billet du blog EduTech détaillera quelques-uns des projets fascinants liés aux technologies éducatives au Kenya). BRCK cible désormais l’ éducation (a).
3. Bridge
Même s’il n’est généralement pas perçu comme une entreprise EdTech, Bridge International Academies (a) utilise les TIC de multiples façons novatrices, dans le cadre de son modèle économique. À l’évidence, ce prestataire privé ne laisse pas indifférent (il suffit de consulter quelques minutes Google, ou la page Wikipedia (a) consacrée à cette société, pour tomber sur des discussions passionnantes à son sujet, que je n’ai pas l’intention d’explorer ici), mais l’emploi qu’il fait de la technologie est indéniablement remarquable. On peut en apprendre beaucoup sur ce qui est possible et réalisable, et a fortiori souhaitable (ou non) concernant les EdTech dans de nombreux contextes en Afrique.
N. B. : À l’instar d’ Andela (a), de Byju's (a) et de Coursera (a) (qui mériteraient tous d’apparaître sur cette liste), Bridge a bénéficié d’investissements de l’ IFC, le pôle du Groupe de la Banque mondiale chargé du secteur privé. Je n’étudie pas ces investissements (l’IFC ne travaille pas avec mon équipe à la Banque mondiale), mais je connais ceux qui le font.
4. EkStep
Selon moi, au niveau mondial, c’est actuellement EkStep (a), une organisation philanthropique en Inde (a) qui mène le projet à grande échelle le plus intéressant dans le domaine des technologies éducatives : la mise en place de plateformes open source afin d’aider les pouvoirs publics à relever différents (a) défis (a).
5. Eneza
Eneza (a) propose des quiz et des produits connexes peu coûteux aux apprenants au Kenya (et, de plus en plus, dans d’autres pays d’Afrique), en particulier pour la préparation d’examens. C’est un bon exemple d’ approche axée sur les technologies mobiles (a) en matière éducative.
6. Enuma (Kitkit School)
Enuma (a) est un finaliste du concours XPRIZE (a) pour son projet Kitkit School. S’appuyant sur les informations et le savoir-faire acquis au contact d’élèves ayant des besoins éducatifs spécifiques, ainsi que dans l’univers des jeux en ligne, cet acteur a pour objectif de promouvoir l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul par les jeunes enfants.
7. Foundation for Learning Equality
On connaît principalement Foundation for Learning Equality (FLE) (a) pour KAlite (a), une version hors ligne de Khan Academy. Grâce à son expérience avec KAlite, FLE a imaginé l’application Kolibri, qui rend accessible une technologie éducative de qualité, sans connexion Internet, à des populations démunies.
8. Geekie
Geekie (en portugais), qui bénéficie de l’accélérateur soutenu par la fondation Lemann (a), au Brésil, offre des solutions d’« apprentissage adaptatif » (a) auxquelles recourent de nombreux apprenants dans ce pays.
9. inABLE
inABLE (a), une petite organisation non gouvernementale (ONG) kenyane, explore des utilisations innovantes de technologies au profit d’élèves présentant une déficience visuelle.
10. Mindspark
Mindspark (a) est un produit d’apprentissage adaptatif mis au point par Educational Innovations (a) dans le but d’améliorer les compétences des enfants en mathématiques. Il fait l’objet de l’une des évaluations rigoureuses les plus remarquables pour un produit EdTech, intitulée Disrupting Education? Experimental Evidence on Technology-Aided Instruction in India (a), par le Laboratoire d’action contre la pauvreté J-PAL.
11. Nafham
Nafham (a) est une plateforme en ligne (a) gratuite, qui accueille des vidéo-cours correspondant aux programmes d’enseignement en Égypte et en Syrie.
12. OLE
OLE (a), ou Open Learning Exchange, coordonne un réseau international d’organisations qui examinent l’utilisation d’un contenu pédagogique peu coûteux et localement pertinent, dans des langues locales, notamment au Népal (a) et au Ghana (a).
13. onebillion
onebillion (a), un finaliste du concours XPRIZE (a), mise sur des approches innovantes afin d’améliorer l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul chez les jeunes enfants en Afrique (a).
14. University of the People
University of the People (UoPeople) (a) est une université en ligne sans frais d’inscription, qui délivre des diplômes (a) homologués, en s’attachant tout particulièrement à soutenir les apprenants dans les pays en développement.
15. Pratham Storyweaver
Storyweaver (a), une initiative de Pratham Books (a), un éditeur à but non lucratif de livres pour enfants en Inde, est une plateforme en ligne permettant à des lecteurs, auteurs, illustrateurs et traducteurs de créer des histoires auxquelles les enfants, dans le monde entier, peuvent accéder gratuitement et dans leur langue maternelle (a).
16. Rumie
Rumie (a) met gratuitement un contenu pédagogique à la disposition d’élèves, sur l’ensemble du globe, et surtout dans les environnements éducatifs parmi les plus difficiles (a).
17. Siyavula
Siyavula (a) offre à des apprenants en Afrique du Sud (et ailleurs (a)) des ressources éducatives libres.
18. Ubongo
Ubongo (a) est une entreprise sociale à but non lucratif, qui conçoit des solutions interactives d’éducation par le jeu à l’intention des enfants en Afrique. Ubongo Kids (a), un dessin animé à visée éducative, est peut-être le produit le plus connu de cette société basée en Tanzanie.
19. WorldReader
WorldReader (a) donne gratuitement accès à des livres numériques via des plateformes et des applications mobiles dans les pays en développement.
20.
J’ai décidé de ne pas citer ici un 20 e nom, car cette liste est loin d’être exhaustive. J’aurais largement eu de quoi établir une deuxième (et une troisième et une quatrième) liste de 20 (ou 19) projets tout aussi variés et intéressants.
Quelques remarques et explications :
- J’assume pleinement le fait que mon analyse est centrée sur l’Afrique. Ces dernières années, j’ai en effet passé davantage de temps à parler avec des entrepreneurs africains, et avec ceux qui leur apportent un appui (ou, dans certains cas, qui leur mettent des bâtons dans les roues) qu’avec des acteurs comparables dans d’autres régions, d’où ce biais géographique (Cela étant, les lecteurs avisés auront remarqué, par exemple, qu’aucun projet nigérian n’est évoqué ici. C’est une omission importante !).
- Dans le même ordre d’idées : les initiatives venant d’Amérique du Nord qui sont essentiellement axées sur un travail avec des spécialistes de l’éducation et des apprenants dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, sont également surreprésentées. Je travaille à Washington, DC, où passent nombre de ces personnes. Il m’est par conséquent plus facile d’être en contact avec elles.
- La Chine (a) est le pays qui, à mon avis, compte les projets EdTech les plus intéressants et les plus innovants, pour une grande part méconnus en-dehors de ce pays. Cependant, je ne cite ici aucune initiative ou entreprise chinoise, car ce sera le sujet d’un autre billet de blog.
- Je mentionne quelques projets indiens, mais, comme pour la Chine, j’aurais pu compiler de nombreuses listes concernant seulement l’Inde, où fourmillent les activités et les idées. Ce sera aussi le sujet d’un billet ultérieur.
- En fonction du temps disponible et des demandes, je pourrais dresser des listes axées exclusivement sur d’autres pays d’Asie (au Pakistan et en Indonésie, par exemple, les innovations abondent mais sont peu connues à l’international alors qu’elles sont susceptibles de susciter un intérêt mondial).
- Cette liste ne comporte pas de projets soutenus par des éditeurs classiques, mais il est évident que ces derniers ne cessent d’innover à mesure qu’ils passent au numérique. D’autres analyses rendent généralement bien compte de ces projets, et ces acteurs possèdent leur propre service de marketing et de communication, doté de moyens financiers importants. C’est pourquoi je n’en cite aucun ici. (Il mérite d’être noté que beaucoup d’initiatives figurant sur cette liste utilisent des ressources éducatives libres (a), ou REL.) Il en va de même pour les projets éducatifs de grandes sociétés technologiques, bien que bon nombre de ceux listés s’inscrivent, par exemple, dans le cadre d’un programme de responsabilité sociale d’entreprise (RSE) et/ou de développement de l’activité.
- Parmi ces projets, rares (si tant est qu’il y en ait) sont ceux basés dans la Silicon Valley, à ma connaissance. C’est un choix délibéré (d’où l’omission d’initiatives très intéressantes comme Cell-Ed (a)).
- Étant donné que l’un de mes collègues à la Banque mondiale (a) travaille sur l’Amérique latine, ma liste ne compte pas de projets de cette région (à l’exception d’un projet au Brésil, pays auquel sera consacré un billet).
- Je n’ai pas non plus évoqué divers projets et groupes innovants extrêmement prometteurs, qui ont fait l’objet de précédents billets EduTech (par exemple, Coursera (a), CyberSmart Africa (a), PlanetRead (a), Talking Book (a) et Ustad Mobile (a)). Tous mériteraient d’être inclus ici.
- Enfin, j’ai laissé de côté des initiatives EdTech nationales appuyées par l’État, car elles sont régulièrement présentées sur le blog EduTech (a). Nombre d’entre elles seront mises en avant dans une prochaine série de billets axés sur un pays en particulier.
Vous trouverez également ailleurs d’autres exemples de projets EdTech innovants, du monde entier :
- À repérer dans un récent (et excellent) rapport Brookings sur les innovations dans l’éducation aux quatre coins du globe (Can we leapfrog? The potential of education innovations to rapidly accelerate progress (a), dont je vous recommande vivement la lecture) une courte liste (page 84 du rapport) de ce que l’on appelle des « Innovations Spotters » (observateurs de l’innovation), qui identifient, analysent et/ou appuient des projets éducatifs novateurs (recourant souvent aux TIC) : Ashoka Fellows et Changemaker Schools, R4D–CEI Program Database, EdSurge Curriculum Products, plateforme, WISE–ed.hub, récompenses et prix, OECD Innovative Learning Environments, Graduate XXI/IDB, programme finlandais HundrED destiné à sélectionner 100 innovations, InnoveEdu, USAID et mEducation Alliance (a), Fonds pour l’innovation de l’UNICEF, Harvard Global Education Innovations Initiative, Teach for All–Alumni Incubator, Development Innovation Ventures, Humanitarian Education Accelerator et le Global Innovation Fund. Brookings propose un catalogue d’innovations à télécharger (a) sous la forme d’un fichier Excel contenant sa liste principale de plus de 2 850 (!) projets.
- Le Global Learning XPRIZE (a) est « un concours entre des équipes du monde entier, pour concevoir des solutions logicielles open source évolutives qui permettront aux enfants vivant dans les pays en développement d’acquérir par eux-mêmes des capacités de base en lecture, écriture et calcul au cours de la période d’expérimentation sur le terrain, d’une durée de 18 mois ». Même si certains critiquent (a) ce concours, le qualifiant d’exemple de « solutionnisme techno-utopiste de la Silicon Valley » (voire d’« impérialisme EdTech » (a)) préjudiciable ou improductif, nombre des participants (deux des finalistes figurent dans la liste ci-dessus) ont des idées formidables. À mon avis, personne n’a aussi bien réussi que XPRIZE à rassembler des groupes divers de spécialistes de l’éducation, de chercheurs et de technologues afin d’élaborer des outils et des produits explicitement destinés à répondre aux besoins des apprenants dans des contextes très difficiles au sein des pays à revenu faible. Est-ce que cela marchera ? Qui sait ? Il faut certes prendre en considération les critiques appelant à la prudence, mais, en tout cas, les semi-finalistes (a) et les finalistes (a) sont vraiment exceptionnels !
- L’UNICEF (a) et le Center for Education Innovations (a) au R4D (Results for Development Institute) ont identifié de nombreux programmes remarquables, dont voici une longue liste (a).
- Diverses initiatives ont été retenues au titre du Prix WISE pour l’éducation (a). De son côté, l’accélérateur WISE (a) soutient différents projets qui, espère-t-il, seront distingués par Prix WISE dans les années à venir.
- En Afrique, depuis quelque temps, les start-ups se multiplient dans le secteur de l’éducation. Plusieurs bénéficient d’un accompagnement (a) par l’accélérateur Injini. Teresa Mbagaya (a) et VentureBurn (a) en présentent d’autres. Jusqu’ici, Y Cominator, le prestigieux incubateur/accélérateur de start-ups de la Silicon Valley, a généralement refusé d’apporter son appui aux sociétés EdTech et aux projets à but non lucratif (OpenCurriculum (a) est une exception notable), mais la situation pourrait être en train de changer (a). Caribou Digital a récemment publié une excellente étude (a) qui conclut que l’« Internet reposant sur la publicité ne sera pas pérenne dans les pays émergents ». Si cette prévision se révèle exacte, certains des modèles économiques EdTech les plus innovants pourraient émaner de ces pays et de ce que l’on appelle « le monde en développement ».
Ai-je omis d’autres ressources et projets ? Forcément. Il se peut que certaines personnes désapprouvent les objectifs ou les stratégies d’une partie de ces acteurs, et que d’autres estiment qu’il faut beaucoup plus de projets que ceux cités plus haut (je suppose que l’on peut souscrire également à ces deux points de vue.). J’espère cependant avoir contribué à faire découvrir à des personnes des projets et des organisations dont elles n’avaient jamais entendu parler mais qu’elles pourraient juger intéressant de soutenir, et auxquels elles pourraient collaborer et/ou participer. Je suis certain que toutes ces initiatives ont quelque chose à nous enseigner.
Ces billets du blog EduTech pourraient aussi vous intéresser :
- Innovative educational technology programs in low- and middle-income countries (a)
- A new wave of educational efforts across Africa exploring the use of ICTs (a)
- Why we need more (not fewer) ICT4D pilot projects in education (a)
- ICT & Education: Eleven Countries to Watch -- and Learn From (a)
- Educational technology and innovation at the edges (a)
Note : L’image illustrant ce billet de blog (« what did I miss? ») provient de Pixabay (a) et fait partie du domaine public ( CC0 1.0 (a)).
Prenez part au débat