Imaginez que vous participez à une course de fond et que vous êtes parvenu à conserver une allure régulière sur les deux premiers tiers du parcours. Au bout d’un certain temps, vous vous rendez compte que vous perdez du terrain et que, à moins d’accélérer la cadence, non seulement la victoire va vous échapper, mais vous risquez même de ne pas terminer la course.
J’utilise souvent cette métaphore pour expliquer à mes proches l’urgence de notre mission. À l’aube de l’année 2020, nous n'avons plus que dix ans pour en finir définitivement avec l'extrême pauvreté . Or, au moment même où il faudrait mettre les bouchées doubles, les progrès marquent le pas depuis quelques années. Au point de mettre en péril à terme la réalisation des objectifs mondiaux de réduction de l'extrême pauvreté, voire déjà, dans certains cas, de saper les gains obtenus jusqu’ici.
Cela fait plusieurs années maintenant que nous sonnons l’alarme face au ralentissement marqué du recul de l'extrême pauvreté. Alors que le taux d’extrême pauvreté dans le monde a reculé en moyenne d’un point de pourcentage chaque année entre 1990 et 2015, le rythme de la baisse s’est tassé à seulement 0,6 point par an entre 2013 et 2015. Et, selon des estimations préliminaires, il a encore ralenti entre 2015 et 2018, pour tomber à 1,4 point en trois ans.
Le recul de l'extrême pauvreté a été inégal selon les régions et les pays. En 1990, l’Asie de l’Est-Pacifique et l’Asie du Sud abritaient à elles seules 80 % des personnes en situation d’extrême pauvreté dans le monde . Avec les progrès rapides de la Chine, la concentration de la pauvreté (a) s’est déplacée de l’Asie de l’Est dans les années 1990 à l’Asie du Sud en 2002, puis à l’Afrique subsaharienne en 2010.
Plus précisément, on observe que la moitié de la pauvreté mondiale se concentre dans seulement cinq pays : l’Inde, qui compte le plus grand nombre de pauvres au monde, le Nigéria, la République démocratique du Congo, l’Éthiopie et le Bangladesh. Cependant, les deux premiers pays de la liste affichent des tendances contraires. De fait, alors qu’elle a accompli des avancées rapides sur le front de la réduction de l'extrême pauvreté et qu’elle devrait, selon les projections, parvenir à atteindre la cible de 2030, l’Inde a peut-être déjà cédé au Nigéria sa triste première place.
Les projections nous montrent également que le chemin à parcourir encore sera le plus difficile, car l'extrême pauvreté est de plus en plus concentrée en Afrique subsaharienne et dans les économies fragiles, où elle s’enracine de plus en plus profondément .
C’est pourquoi nous publierons en 2020 un nouveau rapport sur la pauvreté et la prospérité partagée, dans lequel nous nous pencherons sur les défis que les pays doivent relever pour accélérer leurs progrès, en examinant à la fois les moyens d'action possibles et les difficultés de mise en œuvre. Nous dresserons aussi un état des lieux de la situation à partir des dernières données disponibles. Nous saurons si le monde est de nouveau sur la bonne voie pour mettre fin à l'extrême pauvreté ou s’il faut au contraire rectifier le tir de toute urgence.
Quelles sont les options spécifiques dont disposent les pouvoirs publics pour tracer des trajectoires de sortie de la pauvreté ? Le rapport s’attachera à répondre à cette question, sachant que les réussites de certains pays nous permettent de mettre en évidence quelques éléments de base communs à l’ensemble de ces expériences. Six grands axes d’action semblent ainsi avoir fait la preuve de leur efficacité dans des pays situés à divers degrés de développement :
- Aider les pauvres à se constituer un patrimoine (immobilier, petite entreprise, etc.) et à bénéficier des soins et de l'éducation nécessaires pour être productifs ;
- Développer et élargir l’accès à des marchés inclusifs ;
- Exploiter le levier de la technologie pour étendre l’accès aux services financiers ;
- Améliorer la résilience aux chocs ;
- Mobiliser le secteur privé pour accroître les possibilités d’emploi des pauvres, notamment en favorisant la croissance et les investissements du secteur privé grâce à l’amélioration du climat des affaires ;
- Renforcer la stabilité macroéconomique et la gestion de la dette.
Il va sans dire qu'une croissance forte et stable est une condition essentielle à ces interventions. Pour autant, un pays ne sera pas en mesure de consolider ses progrès si les gains de la croissance ne profitent pas au plus grand nombre.
Nous savons désormais que les nations où le fossé se creuse entre ceux qui ont accès à des opportunités dans la vie et ceux qui en sont privés ont du mal à préserver leur croissance économique et leur stabilité sociale sur le long terme. Aucun pays n’est parvenu à ce jour à se hisser au-delà du rang d’économie à revenu intermédiaire en conservant un niveau élevé d'inégalités. Agir contre les inégalités n’est pas seulement utile à la réduction de la pauvreté, c’est aussi un facteur de cohésion sociale .
Pour revenir à notre métaphore sportive, nous entrons à présent dans la phase finale de la course, celle où nos actions collectives seront décisives pour passer ou non la ligne d'arrivée d’ici à 2030. Rappelons qu’à cette échéance la communauté mondiale ne sera pas jugée uniquement sur l'élimination de l'extrême pauvreté : 2030, c’est aussi la date butoir fixée pour atteindre les 16 autres Objectifs de développement durable adoptés par les Nations Unies. Du combat contre les inégalités à la lutte contre le changement climatique, ces objectifs constituent un appel urgent à l’action pour construire un avenir meilleur pour tous. Gouvernements, entreprises, société civile et tout un chacun : il nous incombe à tous de garantir la prospérité et la paix pour le bien de l'humanité et de la planète.
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