Publié sur Opinions

Bâtir le système de restructuration de la dette de demain

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Alors que la crise de la dette se propage dans de nombreux pays parmi les plus pauvres du monde, toute l'attention s'est portée sur le cadre commun du G20 et la recherche de modalités de restructuration pour chacun des pays concernés. Cela reste une priorité, mais la concrétisation du processus est laborieuse et manque de la prévisibilité nécessaire pour rassurer les débiteurs comme les créanciers. Les participants à la table ronde mondiale sur la dette souveraine (a) et à la conférence organisée par la Banque mondiale le 26 avril sur le thème « Restructuration de la dette : sortir de l'impasse » ont débattu de l'efficacité des restructurations et de la viabilité de la dette. Cette conférence a été l'occasion de réfléchir aux moyens d'éviter une accumulation excessive de la dette, ainsi qu'à des questions brûlantes sur les implications pour la viabilité de la dette d'une chute des réserves internationales nettes à un niveau négatif à la suite du recours à des instruments assimilables à de la dette (comme les lignes de swap). À l'issue de la réunion des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales du G7 qui se tient cette semaine au Japon, nous publierons les premières conclusions d'une récente initiative portant sur le rapprochement des données relatives à la dette, qui met en évidence les nombreux problèmes techniques à résoudre pour s'accorder sur les montants à traiter dans le cadre d'une restructuration.

Les budgets des pays en développement sont durement touchés par le resserrement de l'accès aux marchés et la limitation de l'aide étrangère. À l'évidence, le financement du développement doit augmenter et les pays doivent mieux gérer leurs ressources, c'est-à-dire qu'ils doivent impérativement mettre en œuvre des politiques budgétaires prudentes pour éviter une accumulation excessive et ingérable de leur endettement. Les grands problèmes budgétaires découlent de décisions procycliques et inefficaces en matière de dépenses et de fiscalité, souvent associées à une monétisation du déficit des finances publiques. Résultat : la stabilité macroéconomique, les monnaies locales et l'investissement sont mis à mal et l'endettement devient insoutenable.

Les pays en développement sont face à un ensemble de défis hors normes. S'endetter coûte plus cher, ce qui souligne l'importance de politiques budgétaires prudentes.

Dans le même temps, les pressions sur les dépenses se sont fortement intensifiées pour répondre aux urgences en matière de santé, d'éducation, d'infrastructures, de coûts climatiques et de développement du secteur privé.  Dans le discours que j'ai prononcé le 30 mars au Niger, avant les Réunions de printemps du Groupe de la Banque mondiale et du FMI, j'ai plaidé en faveur d'un allègement de la dette et d'un relèvement des ressources externes. J'ai également préconisé des réformes politiques, notamment une plus grande efficacité et une plus grande modération des dépenses, la suppression des subventions et des exonérations fiscales inutiles et contreproductives, et l'élargissement de la base d'imposition. Des arguments solides militent en faveur d'une amélioration de la discipline budgétaire par l'adoption de règles qui renforcent la confiance en procurant une base solide aux décideurs politiques et aux investisseurs, et qui permettent d'éviter les cycles d'expansion et de récession. Il convient aussi de renforcer l'engagement budgétaire en faveur des investissements dans la préparation aux catastrophes naturelles et aux urgences sanitaires, ce qui aidera les pays à en réduire le coût et à éviter l'accumulation insoutenable de la dette lorsque les catastrophes surviennent.

Pour relever le défi du financement, il faut impérativement renforcer le secteur privé dans les pays en développement et y attirer des capitaux privés étrangers. Le programme de facilitation de l'accès aux capitaux privés (a) du Groupe de la Banque mondiale met l'accent sur les réformes favorables aux affaires et sur le renforcement de la mobilisation des ressources privées nationales et étrangères. Les économies avancées absorbant une part croissante des capitaux mondiaux, il est plus urgent que jamais d'agir en ce sens. Notre prochain rapport Business-READY ainsi que nos diagnostics nationaux du secteur privé, un outil qui a acquis une importance renouvelée à l'échelle de toute notre institution, peuvent aider les pays à déceler les principaux obstacles à la croissance du secteur privé et à concevoir les réformes utiles. Par ailleurs, pour aider les pays à mieux se préparer, des financements conditionnels tels que les instruments d'assurance et les options de tirage différé en cas de catastrophe peuvent permettre de préserver les finances publiques face à des situations d'urgence.

La conférence du 26 avril a accordé une place de premier plan à la question de l'évaluation de la viabilité de l'endettement et à la nécessité urgente de parvenir à une plus grande transparence. Il est difficile de progresser en matière de viabilité et de restructuration de la dette lorsque le montant de celle-ci n'est pas clair. Le manque de transparence commence avec les contrats de dette eux-mêmes, lorsqu’ils prévoient des clauses de non-divulgation pour échapper au contrôle du public ou reposent sur des comptes séquestres et des garanties. Et ce problème de transparence est exacerbé par l'insuffisance des rapports sur la dette établis par les différents pays, ce qui complique l'évaluation de la viabilité de la dette et sa restructuration quand elle n'est plus soutenable.  

Lors de notre conférence d'avril, les participants ont souligné la nécessité d'affiner les analyses de viabilité de l'endettement des pays à faible revenu afin de mieux intégrer les instruments complexes assimilables à de la dette , les coûts climatiques et la hausse rapide de la dette intérieure. Les échanges ont également porté sur des questions techniques importantes telles que le traitement des lignes de swap, des passifs éventuels, de la dette des entreprises d'État lorsqu'il existe un flux de revenus identifié et des instruments de garantie comparables à une dette. Les incertitudes entourant l’écart entre les réserves brutes, les réserves brutes utilisables et les réserves nettes de certains pays, ainsi que le manque de transparence concernant les lignes de swap et leur utilisation, sont source de préoccupation. La prochaine révision par la Banque mondiale et le FMI du Cadre de viabilité de la dette pour les pays à faible revenu est une bonne occasion de réfléchir à la manière d'aborder ces questions, tout en veillant à ce que l'analyse de viabilité de la dette (a) soit la plus simple et la plus claire possible.

La Banque mondiale a été très active dans l'amélioration de la transparence de la dette, mais il reste encore beaucoup à faire.  Nous ne ménageons pas nos efforts pour fournir des statistiques plus complètes et les mettre à la disposition de toutes les parties prenantes. Le système de notification de la dette extérieure (a) demeure la source la plus importante d'informations vérifiables sur l'endettement des pays à revenu faible et intermédiaire. La portée et la précision de ce système ont été étendues et de nouvelles dispositions sont prises pour intégrer des modules sur la dette intérieure.

Au travers de notre politique de financement durable du développement, nous incitons les pays éligibles à l’aide de l'IDA à mettre en œuvre des actions concrètes qui améliorent la viabilité budgétaire, la transparence et la gestion de la dette. Nous plaidons aussi fortement en faveur d'un renforcement des pratiques de divulgation des transactions, et nous mettons en lumière les bonnes pratiques en la matière (a).

Davantage de progrès doivent être obtenus en matière de notification de la dette, qui est souvent déficiente en raison de l'obsolescence et de l'insuffisance des systèmes. Le rapprochement des données relatives à la dette est laborieux et aléatoire, comme l'a montré récemment l'analyse des cas du Tchad et de la Zambie au titre du cadre commun du G20. En outre, les créanciers bilatéraux non membres du Club de Paris et les acteurs du secteur privé sont peu enclins à partager des données désagrégées sur la dette. Et bien que, sous la présidence japonaise du G7, des progrès aient été réalisés récemment dans le rapprochement des encours de la dette des pays éligibles à l'IDA pour 2021, il est important d'élargir le processus aux pays à revenu intermédiaire et d'impliquer un groupe plus large de créanciers. Enfin, en ce 21e siècle, il est grand temps que la notification et le rapprochement des données sur la dette utilisent les technologies modernes pour en assurer la précision et la rapidité. 

Dans le contexte de la facilitation des processus de restructuration de la dette, les participants à la conférence ont discuté de la nécessité de rééquilibrer les pouvoirs des créanciers et des débiteurs, étant donné l'absence de cadre en matière de faillite souveraine. Quand la restructuration de la dette est la seule solution, le processus devrait offrir plus de poids aux pays débiteurs pour parvenir à une résolution rapide. On dispose pour cela de divers moyens (a). Il est par exemple possible de prévoir une clause d'action collective groupée dans tous les nouveaux instruments de dette et équivalents du secteur public et du secteur privé. D'autres mesures pourraient faciliter les restructurations, comme la limitation des recouvrements des créanciers, l'insaisissabilité des actifs souverains ou l'incorporation d'une clause du « créancier le plus favorisé ». Cette dernière option, actuellement envisagée par le Sri Lanka, vise à garantir que si un créancier obtient du pays débiteur une meilleure offre que celle convenue lors de la restructuration, cette meilleure offre s'étend à tous les autres prêteurs, ce qui incite les créanciers à accepter des conditions de restructuration comparables.

Les pays en développement sont face à un ensemble de défis hors normes. S'endetter coûte plus cher, ce qui souligne l'importance de politiques budgétaires prudentes.  L'ère des taux d'intérêt ultra-bas ne reviendra probablement pas, de sorte que la capacité des pays à emprunter et à refinancer leur dette ne peut être considérée comme acquise. D'importantes réformes sont nécessaires dans de nombreux pays pour rétablir la stabilité macroéconomique, mais les gouvernements préfèrent souvent puiser dans les réserves et l'épargne nationale. Le problème de la dette s'aggrave ainsi de mois en mois, ce qui sape les perspectives de nouveaux investissements et de croissance. 

Un système de règlement de la dette souveraine qui réunit débiteurs et créanciers plus en amont dans le processus, qui réconcilie rapidement l’encours des dettes et qui incite davantage les créanciers à participer aux restructurations contribuera à améliorer le fonctionnement de l'architecture existante pour les pays en développement confrontés à des problèmes de viabilité de la dette.


Auteurs

David Malpass

Ancien président du Groupe de la Banque mondiale

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