Inondations, sécheresses, pollution : les crises de l’eau s’invitent toujours plus à la une des médias. Plus de 4 milliards de personnes dans le monde, dont un milliard dans les zones urbaines, connaissent déjà des pénuries d’eau. D’ici 2050, le nombre de citadins confrontés à la raréfaction des ressources hydriques devrait doubler.
Dans le même temps, plus de 80 % des eaux usées dans le monde sont rejetées sans traitement dans les cours d’eau, entraînant des effets de grande ampleur sur le plan de la pollution, de la santé humaine et de la protection de la biodiversité. Le changement climatique vient s’ajouter à cette liste, les systèmes de gestion des eaux usées contribuant à 7 % des émissions mondiales de méthane.
Dans ce contexte, le recyclage de l’eau apparaît comme une solution aux multiples avantages, qui permet à la fois de réduire la pénurie d’eau, la pollution et les émissions, tout en renforçant la fiabilité de l’approvisionnement en eau. Or, les capacités mondiales de recyclage restent inférieures à 250 millions de mètres cubes par jour, soit 8 % seulement du total des prélèvements d’eau douce à usage domestique et industriel.
Pourquoi la réutilisation des eaux usées peine-t-elle à décoller, malgré les solutions technologiques disponibles ? Quelles leçons tirer des expériences pionnières menées à travers le monde ?
Voici trois exemples illustrant comment les villes et les industries font progresser la réutilisation des eaux usées — et comment, sous l'égide de la Banque mondiale, le 2030 Water Resources Group (WRG) (a) a fait de cet enjeu une priorité.
1. Singapour : une approche globale de la réutilisation
Singapour a adopté une approche proactive et stratégique du recyclage de l’eau. La « NEWater » est aujourd’hui l’une des quatre principales sources d’eau du pays, avec l’eau importée, l’eau captée localement et l’eau dessalée. Le retraitement des eaux usées a permis à Singapour de trouver une solution durable à la pénurie de la ressource.
L’essentiel de cette « nouvelle eau » va à l’industrie : fabrication de plaquettes de silicium (matériau de base des semi-conducteurs), production d’électricité, installations pétrochimiques ou encore systèmes de refroidissement publics et commerciaux.
Alors que le secteur industriel devrait représenter les deux tiers de la croissance de la demande en eau à Singapour d’ici 2065, il est crucial d'assurer une planification à long terme des infrastructures. C'est pourquoi les autorités développent actuellement un système reposant sur un réseau de tunnels d'égout profonds, qui permettra d’acheminer et de centraliser les eaux usées vers trois usines de récupération couvrant l’ensemble de la cité-État. En outre, afin de mieux maîtriser la demande, Singapour a introduit des exigences de recyclage pour les nouveaux projets menés dans des secteurs très gourmands en eau comme la fabrication de plaquettes, l’électronique et les industries biomédicales.
2. São Paulo (Brésil) : une réutilisation industrielle à grande échelle
Plus grande initiative de réutilisation des eaux usées en Amérique latine, le projet Aquapolo produit jusqu’à 1 000 litres d’eau recyclée par seconde à des fins industrielles. Il est le fruit d’un partenariat entre la Sabesp, la plus grande compagnie brésilienne d’adduction d’eau et d’assainissement, et l'opérateur privé GS Inima. L’installation traite les eaux secondaires provenant de l’usine de traitement des eaux usées de la Sabesp afin de les conformer aux normes de qualité exigées par les industries pétrochimiques. Une canalisation de 17 km achemine ensuite l’eau traitée directement jusqu’au client. Le projet Aquapolo a aidé ces industries à traverser deux des pires sécheresses qu’ait connues la région (2014-2015 et 2021) tout en réduisant la pression sur l’approvisionnement en eau potable.
L’un des facteurs clés de son succès a résidé dans la signature de contrats d’achat à long terme dans le cadre desquels les acteurs industriels se sont engagés à acheter de l’eau recyclée jusqu’en 2054. Ce modèle permet de sécuriser les investissements dans les infrastructures de traitement des eaux usées tout en augmentant la collecte des eaux usées, en répondant à la demande croissante en eau à usage industriel et en atténuant la pression sur l’approvisionnement en eau potable des ménages.
3. Le leadership de l’industrie
Les acteurs de l’industrie intègrent de plus en plus la réutilisation des eaux usées dans leurs opérations et leurs chaînes d’approvisionnement, en particulier dans les régions à fort stress hydrique. De l’électronique au textile en passant par l'agroalimentaire, les industriels se fixent des objectifs de recyclage et investissent dans des systèmes en circuit fermé afin d'économiser les ressources en eau douce.
Des entreprises technologiques ont mis en place des programmes destinés à encourager une meilleure gestion de l’eau chez leurs fournisseurs. Par exemple, le programme Supplier Clean Water d’Apple se donne pour objectif un taux de réutilisation de 50 % d’ici à 2030 pour ses activités dans des zones à haut risque de stress hydrique. Lancée en 2013, cette initiative a permis dix ans plus tard d’associer 246 fournisseurs et d’économiser 287 milliards de litres d’eau.
De même, de grandes marques de textile et de confection adoptent des technologies de purification de l’eau en circuit fermé, tandis que des fabricants de produits alimentaires et de boissons développent des systèmes de recyclage de l’eau afin de réduire leur consommation et de se conformer à la réglementation. Les efforts de ces entreprises, conjugués à des initiatives de branche et à des incitations réglementaires, contribuent à développer la valorisation des eaux usées à l’échelle mondiale.
Accélérer le recyclage de l’eau : le rôle de la Banque mondiale
Bien que ces exemples témoignent des progrès en cours, il reste encore beaucoup à faire pour généraliser les pratiques de recyclage de l’eau.
Le WRG s’emploie à accélérer les choses en renforçant les arguments économiques en faveur de la réutilisation des eaux usées et en encourageant la collaboration. En partenariat avec le cabinet Global Water Intelligence (GWI) et la Société financière internationale (IFC), le WGR s'attache à articuler les avantages économiques, sociaux et environnementaux du recyclage de l'eau, et à définir le cadre nécessaire à son essor à l’échelle des pays, des villes et des entreprises.
L’un des principaux axes de ce travail concerne la mise en place de mesures incitatives fondées sur le jeu du marché. Le WRG a notamment développé le concept de certificat de réutilisation des eaux usées (a). S’inspirant des enseignements tirés des systèmes d’échange de quotas d’émission et des marchés du carbone, cette approche permet aux usagers de l’eau qui dépassent les objectifs de recyclage de générer des crédits qu’ils pourront échanger avec des usagers moins vertueux. Elle offre une alternative aux modèles axés sur la mise en conformité et le respect d’obligations, dont l'adoption à grande échelle pose des difficultés, en particulier dans le contexte de certains pays en développement. Ce système crée au contraire une incitation financière qui favorisera une adoption plus large des pratiques de recyclage de l’eau. Le WRG expérimente actuellement cette approche en Inde, parallèlement à la mise en place d’une plateforme d’échange.
La Banque mondiale publiera prochainement un nouveau rapport consacré au développement de la réutilisation des eaux usées. La durabilité dans le secteur de l’eau doit et peut passer par le recyclage.
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