Le nombre de personnes déplacées de force dans le monde est voué à augmenter alors que les crises existantes se prolongent et que surgissent de nouveaux conflits. D’où la nécessité d'accroître égallement les perspectives d’emploi en faveur des personnes déplacées. D’après les estimations de la Banque mondiale, la plupart des populations vivant dans l’extrême pauvreté, soit pour une large part des personnes déplacées, vivront d’ici 2030 dans des États fragiles et touchés par des conflits . La création d’emplois dans ces contextes précaires peut donc constituer un levier important de lutte contre la pauvreté.
Les situations de déplacement forcé peuvent dynamiser les économies d’accueil
Les déplacements massifs de population provoquent un effet expansionniste, en raison d’une concentration accrue de personnes et de richesses au sein d’une même zone géographique, comme l’affirme Paolo Verme, économiste principal à la Banque mondiale. Les résultats du programme de recherche (a) qu’il dirige montre en effet que les déplacements forcés produisent un effet positif ou au pire négligeable sur l’emploi ou les salaires des populations d’accueil (a) pour 70 à 80 % des différents pays et contextes étudiés. Dans plus de 50 % des cas, on constate une amélioration du bien-être des ménages appartenant aux communautés d’accueil, signe qu’ils bénéficient de la présence des personnes déplacées. Des répercussions négatives sur le marché du travail ne sont observées que dans une minorité de cas.
Ce constat s'applique aussi aux pays à revenu élevé et intermédiaire. L’afflux de demandeurs d’asile en Allemagne entre 2015 et 2016 n’a pas été préjudiciable aux actifs du pays. À vrai dire, pour beaucoup d’entre eux, l’intégration a été plus rapide sur une période de cinq ans que lors des vagues précédentes. Par ailleurs, le coût financier pour le gouvernement fédéral allemand a probablement été amorti par les impôts dans un délai plus court que prévu.
Toutefois, l’arrivée de réfugiés syriens en Türkiye (a) et l’afflux de migrants du Venezuela vers l’Équateur (a) ont nui aux jeunes travailleurs moins instruits des deux pays, ce qui soulève la question suivante : comment parvenir à ouvrir des perspectives d’emploi aux populations déplacées tout en préservant les conditions des travailleurs des pays d’accueil ?
Changer notre manière de penser le travail
Ce qu’il faut changer avant tout, c’est la manière dont nous percevons les populations déplacées. « Les programmes de formation sont vus comme un investissement public quand ils sont destinés aux nationaux, mais comme une dépense quand il s'agit de personnes déplacées. Il faudrait au contraire considérer l’éducation de ces populations comme un investissement public dans le capital humain », explique M. Verme.
Le plus souvent, les populations déplacées en raison d’un conflit sont perçues comme une charge et non comme une ressource. D’après le HCR, 70 % des réfugiés à travers le monde vivent dans des pays qui restreignent leur droit au travail (a). Dans 30 pays au moins, les personnes ayant fui un conflit ou des violences se voient ainsi empêchées de subvenir à leurs besoins ou d’apporter une contribution à la communauté qui les accueille.
Or l'accès au travail est l’un des leviers les plus efficaces pour favoriser l’intégration sociale des populations déplacées et leur permettre de contribuer autant que possible à la vie locale. Au regard des éléments évoqués plus haut, la logique économique voudrait que leur présence soit perçue comme un atout plutôt qu’un coût.
Les travaux sur l’impact macroéconomique étaient cet argument. Selon des estimations du FMI (a), les millions de Vénézuéliens qui ont fui leur pays depuis 2015 pourraient apporter, d’ici à 2030, entre 2,5 et 4,5 points de pourcentage supplémentaires au PIB réel du Pérou, de la Colombie, de l’Équateur et du Chili. Ces chiffres soulignent à quel point les politiques qui régularisent le travail des migrants, en accompagnant la recherche d’emploi et en fluidifiant le marché du travail, sont essentielles pour tirer parti des déplacements massifs de populations et en recueillir les fruits économiques.
Il est attesté en outre que l’emploi peut participer au bien-être psychosocial des réfugiés. Au Bangladesh, l’emploi formel des réfugiés demeure illégal et les restrictions à la liberté de circuler limitent l’accès au travail. Pourtant, une expérience récente (a) sur l'utilité psychosociale du travail parmi les populations réfugiées révèle que 66 % des employés étaient disposés à renoncer à des aides monétaires s’ils pouvaient continuer à travailler temporairement.
Pour aider les travailleurs, les programmes axés sur le marché du travail doivent être efficaces
L’Équateur, qui accueille un demi-million de réfugiés et de migrants, figure parmi les pays qui accordent à ces populations les mêmes droits qu’à ses ressortissants. Ces dispositions sont transposées dans le cadre de programmes publics pour l’emploi.
L’évaluation de ces programmes contribue à en garantir l’efficacité, c'est-à-dire à faire qu’ils bénéficient aux personnes déplacées, sans que les populations d’accueil en pâtissent. Ce travail objectif est particulièrement important : en cas d’incidence négative, les victimes sont souvent les personnes à faibles revenus.
Tout laisse à penser que la forte hausse des déplacements de population observée ces dix dernières années va se poursuivre. Des études comme le Rapport sur le développement dans le monde à paraître, qui traite des migrants et des réfugiés, peuvent nourrir de manière déterminante l’élaboration de politiques et de programmes. Intégrer les populations déplacées de force au marché du travail est à cet égard un puissant levier qui peut porter des fruits dans les prochaines années voire décennies.
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