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Comment enseigne-t-on l’économie du développement dans les pays en développement ?

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Il y a quelques mois, j'ai publié un billet (a) concernant un projet de recherche que nous étions en train d’entamer avec Anna Luisa Paffhausen et qui a pour objectif d’analyser la manière dont l'économie du développement est enseignée dans les pays en développement. En partie grâce aux contributions de nos lecteurs, nous sommes parvenus à recueillir un corpus de programmes, de questionnaires et d’examens provenant de 145 cours universitaires de premier cycle dans 54 pays en développement et de 81 cours de deuxième cycle dans 34 pays en développement. Nous les avons ensuite comparés à des cours de premier cycle équivalents aux États-Unis, dans les 20 cursus les plus prestigieux du pays et dans 20 autres établissements en dehors de ce palmarès. Nous avons abouti à un document préliminaire (a) que j'aimerais soumettre à nos lecteurs afin qu'ils nous fassent part de leurs commentaires. Voici un résumé de nos principales conclusions et recommandations.

Qu’enseigne-t-on dans les cours d’économie du développement ?

  • Il n’existe pas une vision très normalisée des aspects fondamentaux du développement. Dans les pays en développement, seuls quatre des 22 sujets auxquels nous nous sommes intéressés sont enseignés dans au moins la moitié de tous les cours de premier cycle : théorie de la croissance, pauvreté et inégalités, capital humain et institutions. Les cours dispensés dans les meilleurs cursus américains ont beaucoup plus tendance à traiter des marchés du crédit, des notions de risque et d’assurance, des marchés fonciers, de l'analyse des données et des méthodes expérimentales que dans les pays en développement, où l’on couvre davantage la théorie de la dépendance, l'environnement et la gestion macroéconomique.
  • Les cours sont bien plus hétérogènes dans les pays en développement qu'aux États-Unis. En nous basant sur des indices de similarité, nous montrons que, tant dans le premier cycle que dans le deuxième, les cours d’économie du développement qui sont enseignés dans les pays en développement sont moins homogènes entre eux que les cours de premier cycle aux États-Unis. De plus, un cours de premier cycle dans un pays en développement n’a en moyenne que 23 % de contenu commun avec les cours dispensés dans les meilleures universités américaines.
  • Plusieurs thèmes importants ne sont que rarement enseignés. À savoir notamment l’entrepreneuriat, la croissance des entreprises et les migrations internationales.

Comment l'économie du développement est-elle enseignée ?

  • Dans les pays en développement, la révolution des données n’a pas encore atteint les cours d’économie du développement :
  • Au niveau des thèmes couverts : dans les pays en développement, les cours sont davantage orientés sur les concepts et les modèles et moins sur les observations empiriques qu’aux États-Unis.
  •  Au niveau des évaluations : les pays en développement s’appuient largement sur les examens écrits, les dissertations et les exposés, et exigent très rarement des étudiants qu'ils utilisent des logiciels ou des données statistiques.
  • Au niveau du choix des ouvrages de référence : les cours que dispensent les pays en développement et les universités américaines en dehors du top 20 reposent plus fréquemment sur l'ouvrage de Todaro et Smith (2014), qui a été publié en 1993 et en est à sa 12e édition, et s'appuient fortement sur des études de cas et des généralisations, tandis que les meilleurs cursus s'appuient plutôt sur l'ouvrage empirique de Banerjee et Duflo (2011) et le manuel théorique de Ray (1998).

 Comment expliquer ces différences ?

Nous mesurons les similitudes entre chacun des cours dispensés dans les pays en développement et ceux des 20 meilleurs établissements américains, puis nous analysons quelles caractéristiques relatives aux pays et aux enseignants sont corrélées à ce degré de similitude. Et nous constatons que les cours dispensés dans les pays les plus pauvres diffèrent davantage de ceux des meilleures universités américaines (voir la figure ci-dessous). C’est également le cas dans les pays où l'État est fortement impliqué dans l'économie et ceux où les niveaux d'instruction sont globalement inférieurs. Ces différences ont tendance à s'estomper pour les cours assurés par des professeurs qui participent activement à des travaux de recherche.

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Qu'est-il possible d'améliorer ?

L'économie du développement s'est profondément transformée au cours des vingt dernières années. Cette transformation se reflète dans l’évolution des sujets sur lesquels porte l'essentiel de la recherche, et particulièrement dans l’accroissement rapide de la disponibilité des données et des travaux d'analyse empirique. Notre étude sur la manière dont l’économie du développement est enseignée dans les pays en développement suggère que de nombreux cours n’ont pas suivi cette évolution et ne répondent pas à un objectif de l’enseignement pourtant clé : rendre les étudiants capables d’exploiter des données et de les analyser avec un esprit critique pour trouver des réponses à des questions économiques. Ceci est un aspect essentiel, car la prochaine génération de décideurs qui mettront en œuvre les grandes politiques de développement seront probablement très influencés dans leurs orientations par ce qu’ils ont appris.

Nous avons plusieurs suggestions pour améliorer l'enseignement de l'économie du développement dans les pays en développement (mais aussi dans un certain nombre d'universités des pays développés). Et c’est tout particulièrement sur ce point que nous invitons nos lecteurs à nous faire part de leurs idées novatrices :

  1. Tirer parti de la disponibilité accrue de macro- et microdonnées pour demander aux étudiants de réaliser des analyses de données basiques sur leur pays. Cela peut consister à calculer des taux de pauvreté, à tracer des courbes de Lorenz ou encore à réaliser des régressions simples n'exigeant pas de connaissances statistiques complexes.
  2. Faire travailler les étudiants en équipe pour collecter et analyser des données de base sur leur pays. Cela peut notamment consister à se rendre sur les marchés pour essayer d’appréhender comment fonctionne la concurrence entre les différentes échoppes, à collecter des données sur les salaires pratiqués au sein de différents marchés de l’emploi sur plusieurs semaines pour évaluer la stabilité du travail salarié, ou encore à se rendre dans des entreprises pour voir comment elles se prémunissent contre le risque de change. Ce dernier exemple constitue d’ailleurs l'une de mes missions les plus mémorables pendant mon cursus en Nouvelle-Zélande : nous devions chacun interroger cinq entreprises pour savoir comment elles se protégeaient contre ce risque, puis partager nos expériences. De manière plus ambitieuse, on pourrait également développer des enquêtes basées sur des panels de petite taille et demander à chaque nouveau contingent d’étudiants de retourner dans les mêmes endroits année après année pour bâtir des connaissances approfondies sur le fonctionnement de l'économie locale. Connaissez-vous des exemples de cours de premier cycle (ou de deuxième cycle) qui pratiquent ce type d’activité dans des pays en développement ?
  3. Ne pas travailler uniquement sur les manuels de référence. Demander aux étudiants de lire des journaux, des blogs ou des magazines pour appliquer ce qu'ils apprennent aux débats économiques en cours dans leur pays.
  4. Envisager de nouvelles manières plus efficaces de partager les contenus enseignés entre les professeurs.

Notre analyse a révélé que très peu de programmes d’enseignement sont disponibles sur le web (à l'exception notable d'un référentiel des programmes brésiliens en économie du développement réalisé par le Réseau brésilien de l'enseignement de l'économie du développement). Les associations régionales pourraient également jouer un autre rôle en matière de formation continue, en aidant les enseignants à mieux intégrer l'approche empirique dans leurs cours.
 
Enseignants et étudiants, faites-nous part de vos commentaires et de vos idées sur ce sujet. Merci d’avance !
 


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