Publié sur Opinions

Comment éviter la déscolarisation des adolescentes ? Une série en trois parties

Également disponible en: English

Dans le cadre de travaux que nous menons en Zambie et au Malawi, on m’a demandé de compiler un résumé des interventions qui permettent d’améliorer la scolarisation des adolescentes. J’ai pensé qu’il pourrait être utile de le publier ici et comme cette note de synthèse fera in fine plus de 2 500 mots, j’ai décidé de la publier en trois parties. Voici la première, qui s’intéresse à l’amélioration de la rentabilité de l’éducation pour les femmes.

Les disparités entre garçons et filles dans le primaire ont disparu dans presque tous les pays. Dans le secondaire, les écarts se comblent rapidement et la situation s’est même inversée dans de nombreux pays, en particulier en Amérique latine, dans les Caraïbes et en Asie de l’Est, et ce sont maintenant les garçons et les jeunes hommes qui affichent des taux de scolarisation moins élevés. Cependant, malgré les progrès accomplis de manière générale, les taux de scolarisation primaire et secondaire des filles restent bien inférieurs à ceux des garçons dans les populations défavorisées de nombreux pays d’Afrique subsaharienne et dans certaines régions d’Asie du Sud (Banque mondiale, 2012). L’une des idées-forces du Rapport sur le développement dans le monde : Égalité des genres et développement est que l’essentiel de ces progrès ont été possibles lorsque la levée d’un seul obstacle a suffi à réaliser de grandes avancées. On y est parvenu dans trois domaines : premièrement, l’amélioration de la rentabilité de l’éducation pour les femmes, deuxièmement, la levée des obstacles institutionnels et, troisièmement, l’accroissement du revenu des ménages. Dans cette note de synthèse, nous résumons les données existantes dans ces trois domaines et en tirons des conclusions pour la politique publique.

1. Améliorer la rentabilité de l’éducation pour les femmes

L’aspect le plus négligé de la scolarisation des filles concerne probablement les incitations destinées à éviter leur déscolarisation et la question de savoir dans quelle mesure les parents et les enfants agissent en toute connaissance de cause. En effet, la plupart des ménages n’investissent pas dans la scolarisation de leurs enfants soit parce qu’ils pensent, à juste titre, que le retour sur investissement sera faible, soit parce que les informations dont ils disposent sur les opportunités d’emploi pour les femmes sont incomplètes. Selon des données récentes, lorsque des emplois et des informations sont disponibles, la fréquentation de l’école peut augmenter significativement, sans subventions ni aides financières.

Par exemple, au Bangladesh et en Inde, l’existence d’emplois de bureau nécessitant certaines compétences (anglais, informatique, mathématiques, lecture et écriture) a fait considérablement progresser les taux de scolarisation (Munshi et Rosenzweig, 2006, Oster et Steinberg, 2013, et Heath et Mobarak, 2015). Les effets sur les hommes et les femmes dépendent des types d’emplois proposés et de la publicité dont ils bénéficient, mais les annonces sont généralement diffusées localement, et le manque d’informations sur ces emplois peut être un obstacle. Lorsque des recruteurs du secteur de la transformation ont été envoyés dans des villages à 50-150 kilomètres de New Delhi pour animer des séances d’information réservées aux femmes et annoncer que les emplois seraient destinés à des femmes ayant fréquenté l’enseignement secondaire, les parents se sont mis à investir nettement plus dans la scolarisation des adolescentes. On a observé une hausse des inscriptions, en particulier aux cours d’anglais et d’informatique, un report de l’âge du mariage et de la maternité, et même une augmentation de l’indice de masse corporelle des filles âgées de 5 à 15 ans (Jensen, 2012).

L’absence d’informations sur la rentabilité de l’éducation peut aussi, parfois, constituer un obstacle. Ainsi, à Madagascar, lorsque l’on a communiqué aux étudiants des statistiques sur la répartition des emplois par niveau d’instruction et sur le salaire moyen des hommes et des femmes de 25 ans ou, en République dominicaine, lorsque l’on a donné des informations sur le retour sur investissement plus élevé de l’enseignement pour les diplômés du secondaire, on a observé une hausse de l’assiduité, des niveaux d'instruction atteints et des notes aux examens (Nguyen, 2008 ; Jensen, 2010). Ce déficit d’informations peut aussi se conjuguer à des normes sociétales et à la volonté de réduire les investissements dans l’éducation. En République dominicaine, dans l’exemple que nous venons de citer, c’est parce qu’elles pensaient qu’elles ne travailleraient jamais que les filles hésitaient à donner une estimation du revenu qu’elles pouvaient espérer gagner plus tard. En Inde, dans un tiers des municipalités choisies au hasard, le poste de chef du conseil de village, ou « pradhan », est réservé à une femme. Certaines femmes ont même obtenu deux mandats consécutifs. Cette mesure a permis d’éliminer l’écart entre hommes et femmes au niveau du taux d’inscription à l’école et d’accroître les aspirations des filles et de leurs parents (Beaman et al., 2012).

Les données présentées ici montrent que, si les pays en développement mettent en œuvre des politiques qui offrent aux femmes des emplois sûrs et nécessitant certaines compétences, diffusent des informations sur ces emplois et la rémunération qu’ils procurent, et parviennent à présenter aux jeunes femmes davantage d’exemples à suivre, les investissements dans l’éducation augmenteront d’eux-mêmes sans que l’État n’ait besoin d’intervenir davantage.

Prochain billet (lundi 28 septembre) : Partie 2 : Lever les obstacles institutionnels (a)

Références (avec mes excuses pour l’absence d’hyperliens)

Beaman, Lori, Esther Duflo, Rohini Pande, and Petia Topalova, “Female Leadership Raises Aspirations and Educational Attainment for Girls: A Policy Experiment in India,” Science, 335(2012): 582-586.

Heath, Rachel, and A. Mushfiq Mobarak, “Manufacturing Growth and the Lives of Bangladeshi Women,” Journal of Development Economics, 115(2015): 1-15.

Jensen, Robert, “The (Perceived) Returns to Education and the Demand for Schooling,”Quarterly Journal of Economics, 125(2010): 515-548.

Jensen, Robert, “Labor Market Opportunities Affect Young Women's Work and Family Decisions? Experimental Evidence from India,” Quarterly Journal of Economics, 127(2012): 753-792.

Munshi, Kaivan, and Mark Rosenzweig, “Traditional Institutions Meet the Modern World: Caste, Gender, and Schooling Choice in a Globalizing Economy,” American Economic Review, 96(2006): 1225-52.

Nguyen, Trang, “Information, Role Models, and Perceived Returns to Education: Experimental Evidence from Madagascar,” working paper, MIT, Cambridge, MA, 2008.

Oster, Emily, and Bryce Millett Steinberg, “Do IT service centers promote school enrollment? Evidence from India,” Journal of Development Economics, 107(2013): 123-135.

World Bank, “World Development Report 2012: Gender Equality and Development,” Washington, DC, The World Bank, 2011.
 


Auteurs

Berk Özler

Lead Economist, Development Research Group, World Bank

Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000