Publié sur Opinions

Comment les sciences du comportement m’ont aidée dans les projets de développement et les relations avec mes enfants

 
Children in kindergarten in rural Uzbekistan. © Matluba Mukhamedova/World Bank
Dans une crèche de l’Ouzbékistan rural © Matluba Mukhamedova/Banque mondiale

Invitée à m’exprimer devant une classe d’étudiants, je leur avais notamment raconté à quel point mon travail pour préparer l’édition 2015 du Rapport sur le développement dans le monde : Pensée, société et comportement et, par la suite, pour intégrer cette approche dans les projets de la Banque mondiale (a), m’avait aidée dans mes relations avec mes enfants. C’est cette remarque qui a fait l’objet de la première question qui m’a été posée à la suite de mon intervention. La salle était curieuse d’en savoir plus et j’ai été frappée que ce soit cet aspect-là qui ait retenu l’attention après une bonne heure passée à relater mon expérience sur les sciences du comportement.

Définir le problème en termes de comportement. Se poser la question du comment plutôt que du pourquoi. Changer la manière d’appréhender un problème, l’angle d’attaque. Identifier les contraintes. Tester et adapter ses interventions. Voici quelques-uns des messages que nous adressons à nos collègues de la Banque mondiale et à nos interlocuteurs dans les équipes gouvernementales lors de nos ateliers sur l’importance des facteurs comportementaux. Simples à mettre en pratique, ils n’en sont pas moins très puissants et se sont révélés toujours utiles, que ce soit dans le cadre de mon travail au Brésil, en Éthiopie ou aux Maldives, ou dans ma vie privée, avec mes enfants.

Je me souviens d’un samedi après-midi, il n’y a pas si longtemps, où ma fille de dix ans se plaignait en boucle de son prof de géo qui les obligeait à retenir tous les noms des îles des Caraïbes : « Il y en a trop et les noms sont vraiment bizarres ! ». J’ai été tentée de lui dire d’arrêter de nous casser les pieds et d’apprendre sa leçon, un point c’est tout.

Mais je savais par expérience qu’une telle remarque ne ferait qu’envenimer les choses… Et c’est là que j’ai eu une idée : le matin même, j’avais écouté un entretien avec Dan Kahneman consacré aux théories du changement du comportement, qui m’avait fait réfléchir à l’importance de changer de point de vue face à un problème, d’identifier les freins à l’action de chacun de nous. Puis je me suis souvenue du principe « EAST » formulé par la Behavioural Insights Team (BIT) (a) au Royaume-Uni : quand on conçoit une intervention, il faut veiller à ce qu’elle soit simple (Easy), séduisante (Attractive), collective (Social) et opportune (Timely).

J’ai donc attrapé quelques fiches cartonnées en couleurs sur lesquelles j’ai inscrit, d’un côté, les initiales du nom de chaque île des Caraïbes et, de l’autre, leur nom complet. Je suis ensuite allée voir ma fille en lui proposant de jouer avec ces cartes. Elle a adoré ! Elle s’est prise au jeu et a même fini par me battre… Et, cerise sur le gâteau, elle a fini par mémoriser ces fichus noms — même si elle a réalisé le jour du contrôle qu’elle n’était censée apprendre que les 13 îles principales.

Les choses ne sont évidemment pas toujours aussi faciles. Ce qui va marcher avec un enfant ne fonctionnera pas avec un autre. La psychologie inversée peut donner de bons résultats. Dire à l’un : « SURTOUT, NE RANGE PAS TES JOUETS ! » peut aussi se retourner contre vous : « Mais maman, pourquoi tu râles si mes jouets traînent partout ? C’est toi qui m’a dit de NE PAS les ranger ! » Dans la même veine, ce qui fonctionnera au Brésil se révèlera peut-être moins efficace aux Maldives. Mais cela fait partie du processus d’apprentissage : à force de tâtonnements, nous finissons par trouver une solution adaptée.

Le plus souvent, il n’existe pas de solution toute faite, que vous soyez expert du développement ou parent (et je n’entrerai pas dans le débat de savoir comment mesurer ce qui « marche » et ce qui ne « marche pas » !). Mais un processus est là pour nous guider, changer de perspective, réfléchir soigneusement aux contraintes, essayer une solution et voir si elle convient, puis tirer les enseignements de l’expérience et s’adapter. C’est un outil précieux, car utilisable face à n’importe quelle difficulté.

Bien sûr, ce qui importe au final, ce sont les résultats. Mais la manière dont on les obtient compte aussi. Car, tandis que les solutions sont en général propres à un contexte, le processus peut, lui, s’appliquer partout. Alors, si les fiches colorées ne vous permettront pas d’échapper à la pression de vos enfants pour avoir un smartphone (« Tous mes copains à l’école en ont un, pourquoi pas moi ? »), la reformulation des attentes et le test de plusieurs options peuvent fonctionner. De la même manière, chaque professionnel peut trouver ses propres réponses et solutions. Et c’est extrêmement valorisant.

Pour un expert du développement et pour un parent, la vie quotidienne est pleine de surprises. Les inconnues sont légion, les tentatives ratées aussi, sans parler des erreurs, même avec les meilleures intentions du monde. Mais, dans les deux cas, le jeu en vaut définitivement la chandelle ! Pour ma part, je me sens mieux armée face aux défis, qu’il s’agisse de s’attaquer à la pauvreté chronique au Brésil, à l’emploi des jeunes aux Maldives ou aux attentes de quatre ados bien ancrés dans le 21e siècle…

Il arrive que l’on se sente découragé, voire accablé. Mais c’est ainsi que l’on commence à poser les bonnes questions, à étudier une situation sous un angle différent, à tester des solutions, à apprendre et à s’adapter. Toutes ces tactiques, je les ai puisées dans les sciences du comportement. Reste à espérer que les résultats viendront, dans mon travail et avec mes filles !
 
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Auteurs

Anna Fruttero

Économiste senior, Pauvreté et équité Europe et Asie centrale, Banque mondiale

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