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Conflit et fragilité en Afrique : ce qu’il faut retenir d’une cinquantaine de travaux de recherche

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La deuxième Conférence annuelle de la Banque mondiale sur l’Afrique, sur le thème « Relever les défis de la fragilité et du conflit en Afrique », s’est achevée hier. Pendant deux jours, les participants ont pu découvrir les conclusions d’une cinquantaine de travaux consacrés aux causes et conséquences d’un conflit et aux interventions pour y mettre fin. D’autres exposés ont traité des évaluations d’impact et des expériences menées pour tester différentes politiques et mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre après un conflit. Voici un résumé (non exhaustif) des travaux présentés, assorti de commentaires. Pratiquement tous sont disponibles sur le site de la conférence (a). Des hashtag ont été ajoutés : #RCT pour les études randomisées et #LITF pour les travaux d’expérimentation sur le terrain.

Tableau d’ensemble

  • Dans son intervention liminaire, Ted Miguel s’est concentré sur trois documents : une recherche récente (Burke et al. 2015) qui met en évidence, à partir de dizaines de travaux, la corrélation positive entre la hausse des températures et la recrudescence des conflits, l’Afrique faisant partie des régions les plus susceptibles d’en subir les conséquences dans les années à venir. De leur côté, Burgess et al. (2015) montrent comment, au Kenya, les districts où les populations appartiennent à la même ethnie que le président ont eu tendance à être privilégiées pour financer la construction de routes — cette relation est évidente sous les régimes autocratiques et disparaît avec les régimes démocratiques, signe que la démocratie peut atténuer les risques de violences ethniques. Enfin, Fetzer (2015) rend compte d’un programme d’emplois publics mis en place en Inde qui est parvenu à atténuer le lien entre chocs négatifs sur la productivité et conflit. Conclusion : vive la démocratie et les programmes de protection sociale !
Mines et ressources naturelles
  • Axbard et al. s’appuient sur la variation des cours internationaux des minerais ainsi que sur les différences temporelles et géographiques au sein des pays pour démontrer que l’ouverture d’une mine en Afrique du Sud ne rime pas avec hausse de la criminalité. En revanche, mieux vaut ne pas être dans les parages lors de la fermeture d’un site.
  • Berman et al. font eux aussi appel aux cours internationaux des minerais (visiblement, le deuxième outil le plus populaire dans cette conférence, après les précipitations) et à des données sur différents pays d’Afrique pour établir une corrélation entre hausse des prix et recrudescence des violences.
  • Adhvaryu et al. prouvent comment l’accumulation de ressources (mesurées à travers les précipitations) a un effet positif net sur les conflits, en dépit d’effets cumulés antagonistes (coût d’opportunité supérieur du conflit et lutte autour de ressources dont le besoin augmente pour financer une milice).
Réhabilitation, prévention et réconciliation
  • Chris Blattman et al. montrent comment, au Libéria, les allocations en espèces à des anciens criminels reconnus ont eu un effet positif sur le revenu et la criminalité (qui baisse), même s’ils se sont atténués avec le temps. Combiné à une thérapie cognitivo-comportementale, cette solution a des effets durables (pendant un an au minimum). #RCT
  • Un programme de réconciliation communautaire déployé en Sierra Leone après le conflit (et évalué par Cilliers et al.) favorise le pardon, la confiance et la constitution du capital social mais aggrave la dépression des individus. #RCT
  • parant des anciens soldats et des civils ougandais (et revendiquant un processus de sélection relativement aléatoire), Bauer et al. recourent à des jeux pour démontrer comment les anciens soldats sont plus coopératifs. #LITF
  • Les opérations de maintien de la paix réduisent-elles le confit ? À l’aide d’une série de simulations, Hegre et al. confirment un effet positif.
Méthode et mesure
  • Vous avez certainement déjà été sollicités pour des enquêtes de consommation qui durent des heures. Pape et Mistiaen montrent comment des enquêtes plus courtes (moins de 60 minutes) avec peu de questions posées par ménage mais qui sont posées à tous les ménages indifféremment permettent d’établir avec fiabilité des niveaux globaux de pauvreté et sont particulièrement utiles dans les pays fragiles.
  • Comment établir des échantillons dans une zone de guerre ? Himelein et al. ont testé plusieurs méthodes à Mogadiscio, avec des succès variables. La méthode dite « de la Mecque » (choisir des points au hasard et marcher à partir de là dans une direction fixe, en l’occurrence la Mecque) a fait la preuve de son efficacité ; en revanche, la méthode de marche au hasard (choisir un point à partir duquel tous les enquêteurs partent dans des directions différentes et gardent le même cap à l’issue de chaque entretien) est nettement moins probante.
  • Dans les données sur le conflit, un zéro peut signifier que la paix règne ou bien que le nombre de morts est inférieur au seuil retenu ; il peut signifier une brève interruption du conflit ou 12 mois de paix entre de nombreuses personnes. Ces nuances suggèrent qu’une régression de Poisson est supérieure à un modèle Probit ou Logit (Dunne et Tian).
  • Etang-Ndip et al. montrent comment, dans le Nord du Mali, des enquêtes porte-à-porte conjuguées à des enquêtes de suivi par téléphone portable permettent de suivre les personnes déplacées.
Agriculteurs et pasteurs
  • Au Kenya, un excès de précipitations ou une sécheresse induisent une augmentation des vols de bétail : les raids sont provoqués par une pénurie de ressources mais également par des conditions météorologiques qui facilitent ce genre d’opération (Ralston).
  • Comment analyser l’impact des conflits entre agriculteurs et pasteurs sur les recettes publiques du Nigéria ? McDougal et al. anticipent l’instauration ou non de la charia dans un État voisin et estiment, grâce à cet instrument, l’ampleur des pertes subies par le budget national (qui vont de 22 à 75 %).
Institutions
  • Le capital social n’a pas que du bon : avant le génocide rwandais, des groupes de services communautaires ont été politisés pendant des semaines. Des précipitations plus abondantes (entraînant davantage d’annulations de réunions) ont réduit la participation des civils au génocide (Bonnier et al.).
  • Au Rwanda, les programmes de participation civique réduisent le sentiment de satisfaction à l’égard des services publics et la connaissance des affaires gouvernementales, ce qui peut s’expliquer par le fait que les citoyens sont encouragés à exprimer le fond de leur pensée (Nichols-Barrer et al.). #RCT
  • En Sierra Leone, les responsables d’un programme de subvention sont choisis de manière aléatoire : soit l’élite traditionnelle du village le prend en charge, soit ce sont des ménages sélectionnés au hasard. Conclusion, les élites gèrent mieux les projets et ne sont pas particulièrement prédatrices (Turley et al.). #RCT
  • James Fenske a pris un certain recul pour montrer comment l’évolution du commerce des esclaves au début du 19e siècle pèse encore sur les conflits intra-ethniques en Afrique aujourd’hui.
  • Au Ghana, la hausse des salaires des forces de l’ordre s’est traduite par des délais plus longs aux feux rouges et des pots-de-vin plus importants (Foltz et Opoku-Agyemang), mesurés par la différence des  différences avant et après l’augmentation de salaire, en comparant les pots-de-vin versés par les mêmes chauffeurs routiers à l’entrée et à la sortie du Ghana.
  • « Les membres des groupes ethniques exposés à une activité missionnaire plus intense par le passé [dans le Nigéria du 19e siècle] sont nettement moins croyants aujourd’hui », selon des enquêtes sur la foi réalisées par l’Afrobarometer (Okoye).
    Comment les élites politiques s’appuient-elles sur des groupes armés pour intégrer les civils dans la spirale de violences 
  • Rogall s’appuie sur des données de précipitations combinées à la distance à parcourir sur une route non revêtue pour montrer comment, au Rwanda au moment du génocide, un membre supplémentaire par groupe armé permettait de « mobiliser » 7,3 civils de plus.
  • « La répression peut atténuer les dissensions en général mais aggrave la violence de ces dissensions lorsqu’elles éclatent », constate Wallsworth à partir de données descriptives sur toute l’Afrique.
Éducation et (surtout) santé
  • Un traumatisme anténatal entraîne une participation moindre dans un jeu sur les biens publics organisé pour des enfants de 6 à 14 ans dans le Nord de l’Ouganda. Sachez que Cecchi et Duchoslav ont testé et éliminé quantité d’autres hypothèses. #LITF
  • Les violences au Rwanda dans les années 90 (génocide, guerre civile, etc.) sont associées à une chute de 22 % des résultats scolaires, particulièrement chez les filles. Méthode de différence des différences (Guariso et Verpoorten).
  • Une femme exposée in utero à une guerre civile aura des enfants plus petits pour leur âge que la normale. Données sur les variations d’exposition en fonction des districts recueillies au Libéria pendant la guerre civile (Sonne et Nillesen).
  • La guerre entraîne aussi des retards de croissance chez un enfant directement exposé. Données sur les jeunes pendant le conflit Éthiopie-Érythrée (Weldeegzie).
  • La violence d’État au Zimbabwe est associée à des scores taille pour âge moins bons, selon des données d’enquêtes démographiques et de santé (Shemyakina).
     
Note : signalons un débat intéressant sur l’utilité de ces études sur « la guerre fait du mal aux enfants » (vous m’en direz tant…), pour autant que l’on puisse les identifier en tant que telles (les études citées ci-dessus sont fortement hétérogènes). Deux éléments justifient ces études : 1) elles s’intéressent aux victimes indirectes du conflit ; et 2) elles peuvent conduire à lever des ressources non seulement pour la réintégration des anciens combattants et la réconciliation mais aussi pour des programmes spécifiques destinés aux enfants exposés à ces violences (ou qui en ont été témoins).

Politique budgétaire et activité économique
  • En Côte d’Ivoire, les rebelles ont réduit les taxes à l’exportation frappant le cacao. Résultat, si les agriculteurs ont augmenté les surfaces cultivées et embauché davantage, une estimation reposant sur les triples différences révèle que leurs dépenses ont augmenté (Soumahoro).
  • Les ventes de machines enregistreuses électroniques améliorent le paiement des impôts de 20 % en Éthiopie, en touchant les entreprises qui, jusque-là, pratiquaient l’évasion fiscale (Ali et al.).
  • À partir d’une enquête auprès d’entreprises immatriculées en Côte d’Ivoire, Klapper et al. montrent comment les troubles qui ont débuté en 2000 ont été associés à une augmentation du nombre de fermetures et une diminution du nombre de créations d’entreprises ainsi qu’à un recul de la productivité totale des facteurs (notamment dans les entreprises à capitaux étrangers).
  • Comment les dépenses publiques réagissent-elles à la baisse du prix des matières premières et à un conflit ? À partir de données portant sur différents pays d’Afrique, Aguirre et Calderón affirment qu’une réaction budgétaire anticyclique réduit les risques de conflit.
Commerce
  • Les violences sont mauvaises pour les affaires : au Kenya, les violences électorales ont obligé les grandes entreprises exportatrices de fleurs à fonctionner à perte et entraîné des pertes pour les employés supérieures à 3 semaines de salaire. Estimation par les triples différences de Ksoll et al.
  • Grâce à des données internationales, Calì et Mulabdic suggèrent qu’une hausse du prix des matières premières exportées est corrélée à la recrudescence de conflits (plus longs) mais que des relations commerciales intenses avec les pays voisins ont l’effet inverse.
  • Les prix alimentaires peuvent autant accroître les violences que les faire diminuer : dans les zones en déficit alimentaire, une hausse des prix à la consommation renforce les conflits armés alors que dans les zones en excédent alimentaire, une hausse des prix à la production réduit les risques de conflit civil. McGuirk et Burke s’appuient sur des séries retraçant l’évolution des cours internationaux.
  • Si pour vous l’informalité n’est pas la normalité, sachez que Benassi et al., qui tentent de mesurer « l’immesurable », ont constaté que 97 % du commerce entre l’Algérie et le Mali emprunte des canaux informels.
Genre
  • La sécheresse induit une hausse des violences à l’encontre des femmes. Lorsque le choc touche les revenus de couples d’une manière asymétrique, il est associé à la première occurrence de violence au sein du mariage (Cools et al.).
  • En RDC, le conflit est corrélé à une mortalité infantile supérieure chez les filles (mais pas chez les garçons) (Dagnelie et al.).
Élections et militantisme politique
  • Berg et al. recourent à des jeux en laboratoire pour tester les préférences ethniques à Nairobi et constatent qu’il y a très peu d’éléments probants, même en période électorale. Au vu des violences interethniques, cela suggère que les divisions ethniques sont probablement attisées par les organisations politiques plutôt que par les préférences de chacun. #LITF
  • Des enquêtes réalisées à la fois auprès des électeurs et des hommes politiques au Kenya indiquent que les électeurs ont une vision négative des violences perpétrées par les hommes politiques (même du même groupe ethnique que le leur) – un sentiment dont les politiciens n’ont pas conscience. Données tirées d’expériences à partir de vignettes-étalons (Rosenzweig). #LITF
  • Au Ghana, des banlieusards circulant en fourgonnette ont été exposés de manière aléatoire à différentes radios partisanes. Quelle que soit l’idéologie, une radio partisane réveille l’intérêt politique de l’auditeur, sachant que si elle est contraire à ses préférences, cela refroidit son engagement politique (Conroy-Kutz & Moehler). #LITF
L’économie d’Ebola
Pour conclure, voici ce que nous avons appris sur l’impact économique d’Ebola, à l’occasion d’un panel sur la question. L’un de nous (Dave !) s’est lancé dans un exercice risqué —  estimer l’impact économique d’Ebola à l’aide de modèles d’équilibre général calculables (moralité : si vous présentez plusieurs estimations, le public ne retiendra que les chiffres les plus alarmants). Rachel Glennerster a prouvé que l’aide alimentaire apportée en Sierra Leone avait contribué à un recul modeste des prix (de 5 à 10 %). Lily Tsai a présenté des résultats sur la manière dont la méfiance vis-à-vis des autorités pourrait avoir contribué à la propagation de l’épidémie au Libéria mais aussi sur l’efficacité des actions communautaires menées sous les auspices du gouvernement pour généraliser les mesures de prévention. Chris Blattman fait part  de ses réflexions sur cette discussion.

Conclusion
Les travaux sur les conflits et les enjeux économiques pendant et après un conflit prennent toujours plus d’importance, en s’appuyant sur un large éventail de méthodes et de données. Nous avons été particulièrement frappés par l’essor des expérimentations de terrain. Il sera intéressant de voir comment utiliser ces données probantes pour élaborer à l’avenir des politiques de prévention des conflits ou d’atténuation de leurs conséquences.

Auteurs

David Evans

Senior Fellow, Center for Global Development

Anna Popova

Researcher, Stanford University

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