Les graves répercussions sanitaires, économiques et sociales de la pandémie de COVID-19 ont fait de l'année écoulée l'une des plus difficiles de notre histoire récente. Les effets de cette crise ont été ressentis dans le monde entier, et aucun pays n'a été épargné. Certaines populations ont toutefois été plus durement touchées que d’autres.
Les femmes, les jeunes et les travailleurs peu instruits, qui étaient déjà défavorisés sur le marché du travail avant le choc de la COVID, ont été davantage victimes des pertes d’emploi dues à l’impact immédiat de la pandémie. Tel est le principal constat de notre récente étude (a), qui s'appuie sur des données recueillies au début de la crise dans 34 pays, pour la plupart à revenu faible ou intermédiaire (a), qui regroupent une population totale de près de 1,4 milliard d'habitants. Le risque de perte d’emploi chez les femmes était supérieur de 11 points de pourcentage à celui des hommes. Et on observe un écart du même ordre entre les titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur et ceux ayant au mieux fréquenté l’enseignement primaire. Les travailleurs jeunes et ceux plus âgés ont également payé un plus lourd tribut à la crise que les travailleurs dans la force de l’âge.
Si de nombreux pays en développement ont mis en place des transferts sociaux d'urgence pour tenter d'atténuer l'impact délétère de la pandémie sur le niveau de vie, ces mesures n'ont pas suffi (a) à neutraliser le choc. Les pays à faible revenu ont ainsi consacré en moyenne 6 dollars par habitant à des dispositifs de protection sociale destinés à lutter contre les répercussions de la COVID, contre 26 dollars pour les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. En conséquence, pour quelque deux tiers des ménages, les pertes d'emploi se sont traduites par des pertes de revenus, plus importantes pour les ménages composés de femmes, de jeunes et de travailleurs peu instruits, plongeant de nombreux individus dans l’incapacité de satisfaire leurs besoins les plus élémentaires.
Toujours selon l'étude, 15,3 % des personnes interrogées en moyenne ont déclaré qu'un ou plusieurs adultes du ménage s’étaient privés de repas pendant une journée entière par manque de nourriture, et ce pourcentage était plus élevé dans les ménages touchés par des pertes d'emploi et de revenus. Ce constat rejoint les estimations mondiales selon lesquelles entre 119 et 124 millions de personnes auraient basculé dans la pauvreté en 2020, réduisant ainsi à néant des années de gains difficilement acquis.
De surcroît, l'un des effets les plus funestes et potentiellement les plus dommageables de cette crise ne se manifestera qu'à plus long terme. Il s’agit des conséquences du choc généralisé et sans précédent qu’a subi l'enseignement : 1,6 milliard d'enfants dans le monde entier ont vu leur scolarité bouleversée à la suite de la fermeture des écoles décrétée pour enrayer la propagation du virus. Les pays dont l'indice de capital humain était le plus faible au départ sont ceux qui ont connu les perturbations les plus marquées, creusant ainsi l'écart avec les pays plus riches. Au sein des pays, ce sont les enfants les plus défavorisés, c'est-à-dire ceux des zones rurales vivant dans des ménages à bas revenus et dont les parents sont peu instruits, qui ont été les plus durement touchés. Ces conséquences sont d’une ampleur non négligeable et risquent de pénaliser de nombreux enfants, en particulier ceux issus de milieux défavorisés, pour le restant de leur vie (a).
Avec la mise en place des campagnes de vaccination et des perspectives qui laissent présager une certaine reprise de la croissance économique cette année, tous les pays commencent enfin à voir de la lumière au bout du tunnel. Cependant, si les effets de la pandémie ont été inégaux, la reprise risque elle aussi d'être inégale. Les résultats des enquêtes à haute fréquence menées par la Banque mondiale qui servent de base à l'étude montrent qu'une fois de plus, les femmes, les travailleurs peu instruits et les jeunes ont plus de mal à retrouver un emploi que les autres catégories de travailleurs.
Il ressort également de l’étude que les effets de la pandémie ont été les plus inégaux dans les pays où les inégalités préexistantes étaient les plus marquées — où l'accès à des facteurs aussi essentiels que l'éducation de base, l'eau potable et l'électricité est largement déterminé par le lieu, le milieu familial et la richesse du ménage. Si des mesures ne sont pas prises rapidement, la pandémie risque d’accroître les inégalités des chances dans ces pays.
La crise est l'occasion de lever, une fois pour toutes, les obstacles à l'égalité des chances qui existaient auparavant (dans l'accès à l'apprentissage, à la santé, aux emplois de qualité, aux services de garde d'enfants, etc.), et qui ont accru la vulnérabilité de certaines catégories de population. Les responsables politiques doivent non seulement atténuer les effets délétères à court terme de la pandémie sur les ménages et les travailleurs les plus défavorisés, mais aussi promouvoir une reprise inclusive et renforcer la résistance des populations aux chocs futurs en améliorant l’accès aux opportunités pour tous. C'est une occasion que nous ne pouvons pas nous permettre de manquer.
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