Dans une série d’articles publiés en 2015 sous le titre « Towers of Secrecy », le New York Times révélait l’opacité du secteur immobilier du luxe aux États-Unis, souvent aux mains de riches personnalités du monde entier qui ont su faire fructifier leurs relations politiques. L’ONG Transparency International (a) s’est livrée à un exercice similaire au Royaume-Uni, montrant comment les appartements des quartiers huppés de Kensington et Chelsea, à Londres, appartenaient à des sociétés écrans. En 2016, les fuites de données émanant du cabinet d’avocats Mossack Fonseca ont dévoilé les pratiques pour le moins alambiquées permettant à un certain nombre de puissants de ce monde de dissimuler leurs actifs.
Comment se fait-il que certains responsables publics parviennent à amasser de telles fortunes alors que 161 pays dans le monde se sont dotés de lois sur la déclaration de patrimoine ? Ces dispositions légales, introduites après le scandale du Watergate qui a secoué les États-Unis en 1974, étaient censées permettre de déceler toute hausse sensible du patrimoine d’un responsable politique au cours de son mandat mais également d’éventuels conflits avec des intérêts privés. Or, ces textes ont beau être en vigueur, ceux qui doivent les faire appliquer continuent souvent de se battre avec leurs subtilités, cherchant comment les adapter au mieux à l’environnement socioéconomique, historique et juridique de leur pays.
La simple conception du formulaire de déclaration d’intérêts peut entraîner des écarts importants, comme l’illustre l’exemple suivant. Dans un pays, la version préliminaire du formulaire comportait la consigne « Veuillez déclarer tous les intérêts que vous détenez » et prévoyait un vaste espace blanc à remplir par le responsable public concerné. À réception des différents formulaires, le personnel du service chargé d’examiner ces déclarations a pu constater à quel point la consigne donnait lieu à diverses interprétations… Tandis que l’un des sénateurs avait énuméré en détail toutes les entreprises dont il détenait des actions, indiquant leur quantité et leur valeur, cet autre avait simplement indiqué qu’il « [avait] des intérêts dans l’agriculture ».
Dans nos activités (a) visant à apporter à nos clients des conseils et des outils pour renforcer la transparence et l’intégrité d’ensemble du secteur financier, nous avons bien entendu pris acte de ces obstacles à la mise en place de systèmes efficaces en matière de transparence de la vie publique.
L’Initiative pour le recouvrement des avoirs volés (StAR) (a), un partenariat entre le Groupe de la Banque mondiale et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), vient de publier un manuel consacré à cette question (a) et reposant sur une analyse rigoureuse des données disponibles. Les gouvernements qui ont des difficultés dans la mise en œuvre des systèmes de déclaration de patrimoine y trouveront quantité de conseils pratiques, pour savoir notamment qui doit remplir les déclarations de patrimoine et d’intérêts, à quelle fréquence et sous quelle forme. Le manuel aborde aussi la manière de faire appliquer et respecter ces dispositions. Certains pays hésitent, quand ils ne s’y opposent pas, à sanctionner les contrevenants, parce que la plupart des systèmes mis en place ne sont pas encore parvenus à relier tous les éléments disponibles de manière à rendre les sanctions adaptées, cohérentes et justes.
La parution de ce manuel pratique est d’autant plus bienvenue que l’on voit monter l’exaspération au sein de la population devant l’enrichissement indu des responsables publics pendant leur mandat ou la dissimulation de leurs biens. La mise en place d’un système de contrôle du patrimoine des responsables publics et de prévention des conflits d’intérêts peut contribuer à installer un climat d’intégrité dans la fonction publique et à prévenir les abus de pouvoir sachant que, à terme, il pourra aussi participer à la lutte contre le blanchiment d’argent et concourir aux recouvrement des avoirs volés. Il est avéré que l’usage abusif d’une charge publique pour s’assurer des gains privés pénalise surtout les pauvres et que le lien entre mauvaise gouvernance et pauvreté persistante est l’un des plus difficiles à rompre.
Nous espérons donc que les professionnels qui consulteront notre manuel (a) y trouveront des consignes utiles pour étayer leurs décisions, et qu’ils seront ainsi en mesure d’aider leur pays à mettre en place des dispositifs plus efficaces pour améliorer la responsabilité et la transparence.
Pour en savoir plus Getting the Full Picture on Public Officials: A How-To Guide for Effective Financial Disclosure.
Photo: Istockphoto/liravega
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