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Déplacement forcé : Comment les acteurs du développement peuvent-ils venir en aide aux personnes déplacées et aux communautés d’accueil ?

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On nous donne à voir chaque jour l’entreprise désespérée de populations qui cherchent à fuir leurs conditions de vie et leur pays, en défiant une adversité impitoyable et perfide. Ces mouvements sans précédent dans le monde sont avant tout le résultat de :
  • Déplacement forcé, du fait de guerres, de conflits et de persécutions ;
  • Migration involontaire, en raison de la pauvreté, de l’amenuisement des moyens de subsistance, du changement climatique qui a entraîné la destruction et la dégradation des systèmes d’entretien de la vie ;
  • Migration volontaire d’esprits indomptables incapables de se résigner au statu quo et qui recherchent de meilleures opportunités économiques et sociales.
 
Pour mieux comprendre les déplacements forcés, j’ai dirigé une équipe composée à la fois de membres de la Banque mondiale et du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) qui ont travaillé à la rédaction du rapport Forced Displacement and Mixed Migration (a) concernant la corne de l’Afrique. Cette région, où le nombre d’habitants est estimé à 242 millions, comprend huit pays : Djibouti, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Soudan du Sud, le Soudan et l’Ouganda. Plus de 9,5 millions de personnes déplacées vivent sur ce territoire, dont plus de 6,5 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et près de 3 millions de réfugiés.
 
Les migrations qui s’effectuent au sein de la corne de l’Afrique et en dehors relèvent de facteurs naturels et humains, comme le changement climatique, la dégradation de l’environnement, et bien entendu, les conflits.
 
Notre étude vient renforcer l’idée d’un déplacement forcé régional, contrecoup manifeste d’un contexte violent et de l’insécurité qui règne au sein d’un pays. Le conflit au Soudan du Sud, par exemple, et ses épisodes de violence ont entraîné une hausse du nombre de réfugiés en Ouganda, en Éthiopie, au Kenya et au Soudan.
Camp de réfugiés de Dollo Ado en Éthiopie    (Photo : Benjamin Burckhart)
Camp de réfugiés de Dollo Ado en Éthiopie    (Photo : Benjamin Burckhart
Mais surtout, nous avons constaté que les camps et les regroupements de réfugiés se situent dans des zones relativement sous-développées et mal desservies des pays d’accueil. Les communautés qui accueillent les réfugiés vivent souvent elles-mêmes dans des conditions précaires. Elles souffrent de l’insécurité alimentaire, de l’accès limité aux services sociaux de base et aux infrastructures économiques, de l’insuffisance des moyens de subsistance et de la dégradation des ressources naturelles.
 
Notre travail a également montré que la présence prolongée de réfugiés débouche sur une relation d’interdépendance complexe entre réfugiés et communautés d’accueil.
 
La plupart des camps de réfugiés se situent dans des zones mal desservies et sous-développées des pays d’accueilhttp://blogs.worldbank.org/sites/all/modules/wb_helper/images/iconm-twitter-gray.png ; la présence de réfugiés au long terme aggrave la situation des communautés d’accueil.
 
Si l’installation durable de populations réfugiées nuit à l’environnement et aux ressources naturelles (conflits liés aux pâturages et à l’eau, par exemple), elle a un effet bénéfique sur l’accès aux services et les interactions économiques, par le biais, notamment, des perspectives d’emploi offertes aux communautés d’accueil. Les écoles et les centres de soins établis par le HCR sont également mis à disposition des communautés d’accueil et les camps de réfugiés constituent un débouché naturel pour les produits agricoles, le lait et la viande produits localement.
 
L’intensification des capacités de production et des stratégies d’adaptation des populations d’accueil, qui doit également bénéficier aux réfugiés, est une étape indispensable qui permettra de préserver l’hospitalité des communautés d’accueil envers les réfugiés et de tempérer tout conflit potentiel qui éclaterait en raison d’une pression accrue sur des ressources naturelles raréfiées dans les pays d’accueil de la corne de l’Afrique.

 
Des réfugiés à Dollo Ado en Éthiopie (Photo : Banque mondiale)
Des réfugiés à Dollo Ado en Éthiopie (Photo : Banque mondiale)
C’est dans ce contexte que j’ai dirigé, avec le soutien d’une équipe multisectorielle, la préparation du Projet régional sur la réponse en développement aux déplacements (DRDIP) dans la corne de l’Afrique (a). L’équipe s’est d’emblée retrouvée confrontée aux questions suivantes : «  En quoi peut consister une intervention de développement face aux impacts créés par un déplacement forcé ? http://blogs.worldbank.org/sites/all/modules/wb_helper/images/iconm-twitter-gray.png En quoi diffère-t-elle des interventions humanitaires ou des initiatives déjà en cours destinées à remédier aux besoins des communautés qui accueillent des réfugiés depuis des décennies ? »
 
Nous sommes appuyés sur notre expérience d’institution de développement pour tenter de définir plus précisément la nature d’une intervention de développement en réponse aux déplacements de population. Par certains aspects, elle diffère d’une intervention humanitaire, mais par d’autres, elle la complète. En voici les principales caractéristiques :
  • Prendre en compte les besoins des réfugiés et des communautés d’accueil, en veillant particulièrement à favoriser l’autosuffisance, la constitution d’avoirs productifs et l’acquisition de compétences techniques pour réduire la dépendance ;
  • Viser des résultats à moyen et long termes plutôt que se limiter au cadre trop court de cycles annuels de planification, de budgétisation et d’exécution, auquel se conforment bien souvent les agences humanitaires ;
  • Faire coïncider l’investissement avec les plans de développement locaux, infranationaux et nationaux et intégrer les contributions locales dans nos projets plutôt que de miser sur des investissements isolés et ponctuels ;
  • Créer des projets durables d’un point de vue technique, économique, financier, social et environnemental, qui continueront à porter leurs fruits à moyen et long termes ;
  • Pérenniser les investissements dans un contexte de déplacement prolongé et confier leur mise en œuvre aux autorités locales, en mobilisant les services d’administration publique (institutions, structures et systèmes de financement publics) ;
  • Associer les communautés affectées et les institutions locales à la planification, au processus de prise de décision et au suivi des services publics à l’échelon local, tout comme à la mise en œuvre, au fonctionnement et à l’entretien des infrastructures ; impliquer directement les communautés locales aux projets donne lieu à de meilleurs résultats, notamment par rapport aux initiatives où les communautés sont les bénéficiaires passifs de l’aide et qui laissent peu de place aux interventions ciblant l’information ou l’élaboration de projets ;
  • Établir un processus de planification inclusif qui prenne en compte les investissements en cours, les infrastructures et les capacités existantes afin de coordonner plus efficacement l’aide ; et
  • Veiller à ce que la planification et les prestations de services répondent à des besoins fondamentaux et plus avancés dans des secteurs comme l’éducation (primaire, secondaire, tertiaire, université et enseignement non traditionnel) et la santé (soins primaires, soins hospitaliers et chirurgicaux).
 
Tout cela reste à parfaire : la Banque mondiale intervient depuis peu dans ces situations qui découlent de déplacements forcés. Cependant, les principes de bonne gouvernance et d’efficience dont elle fait preuve dans les projets de développement sont susceptibles d’apporter plus d’efficacité, de transparence, de responsabilisation et de réactivité dans les investissements, afin d’offrir aux populations déplacées et aux communautés d’accueil des prestations de services, des perspectives économiques et une gestion des ressources naturelles de meilleure qualité.
 
Je tiens à souligner que mes réflexions veulent faire naître un dialogue et permettre la constitution d’un éventail d’approches, d’instruments et d’investissements, fondés sur la réalité du terrain. Même s’il reste beaucoup de chemin à parcourir, j’espère sincèrement que ce billet ouvrira un dialogue, suscitera des questions et vous encouragera à nous communiquer vos idées et votre expérience.

Auteurs

Varalakshmi Vemuru

Spécialiste principale en développement social

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