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Faire mieux avec moins, ou comment doper la croissance et l'emploi grâce à l'efficacité énergétique

Faire mieux avec moins, ou comment doper la croissance et l'emploi grâce à l'efficacité énergétique Le projet d'efficacité énergétique des bâtiments publics en Turquie contribue à réduire la consommation d'énergie grâce à la rénovation des bâtiments gouvernementaux. Crédit photo : Banque mondiale / Région ECA

Imaginez deux maisons : la première est mal isolée, les vieilles fenêtres et l'électroménager sont très anciens ; la seconde est dotée d'équipements et d'améliorations économes en énergie. La différence entre les deux n'est pas seulement d’ordre esthétique : le ménage qui vit dans la première maison peut payer jusqu'à cinq fois plus pour se chauffer en hiver que la famille mieux nantie qui habite juste au coin de la rue dans une maison basse consommation.

De fait, l'utilisation inefficace de l'énergie se traduit par des coûts plus élevés pour les familles à faible revenu, qui paient, en fin de compte, beaucoup plus pour avoir moins. Les ménages les plus pauvres consacrent déjà une part importante de leurs revenus à l'énergie et à d'autres produits de première nécessité. Pour nombre d'entre eux, l'efficacité énergétique est hors de portée, soit parce qu'ils n'en ont pas les moyens, soit parce qu'ils manquent d'informations sur les produits économes en énergie disponibles. C'est un cercle vicieux. Quand le chauffage devient inabordable, les familles sont souvent face à un dilemme : baisser la température ou revenir à des combustibles plus nocifs comme le bois ou le charbon. Il en va de même pour la climatisation, également trop chère pour la plupart.

L’enjeu de l’efficacité énergétique ne se limite pas au chauffage et à l’air conditionné, et il est mondial. Les deux tiers de l'énergie dans le monde sont gaspillés, ce qui représente une perte de près de 5 % du PIB mondial. Dans les pays en développement, où la demande d’énergie devrait augmenter de plus de 30 % d’ici 2050, une question s’impose : peut-on stimuler la croissance sans gaspillage ? La réponse s’impose aussi : elle réside dans l’efficacité énergétique.

Malheureusement, la maîtrise de l’énergie n'est pas une priorité pour la plupart des gouvernements et elle ne représente qu'une petite partie des investissements énergétiques dans les économies émergentes. En cause, le manque de politiques structurantes, mais aussi des financements insuffisants et des informations peu fiables qui freinent les progrès. En conséquence, un grand nombre de gouvernements dépensent trop dans des ressources et infrastructures énergétiques supplémentaires, importent plus de combustibles et s'endettent davantage. La charge de ces coûts plus élevés se répercute finalement sur les consommateurs et les entreprises. Le coût est énorme en termes d'opportunités non réalisées, tant pour la croissance économique et l’emploi que pour l’environnement.

On ne peut pas continuer comme ça. Comme le souligne notre nouveau rapport, il faut multiplier par trois les investissements annuels mondiaux dans l’efficacité énergétique (a) d’ici à 2030 pour parvenir à satisfaire de manière durable des besoins en énergie croissants. C’est particulièrement important pour les pays en développement, où les bienfaits de l’efficacité énergétique sont considérables : baisse de la facture énergétique, amélioration de la qualité de l’air, réduction des émissions, infrastructures plus résilientes et création de millions d’emplois. Ainsi, chaque dollar investi dans l'efficacité énergétique peut rapporter entre 3 et 5 dollars. 

En 2022, l'efficacité énergétique était la plus grande source d'emplois dans le secteur de l'énergie, au profit de près de 11 millions de personnes dans le monde. En Pologne, par exemple, le programme national Priorité à l'air pur (a), conçu pour améliorer les modes de chauffage d'environ 2,5 millions de foyers, devrait générer plus de 100 000 emplois. Et, en Inde, Energy Efficiency Services Ltd (a), une initiative du secteur public visant à développer les véhicules électriques et les modes d’éclairage et appareils basse consommation, a créé près de 700 emplois directs et des milliers d'emplois indirects. 

Le Groupe de la Banque mondiale s’engage résolument à aider les pays à mettre l’efficacité énergétique au cœur de leurs stratégies de développement. Nous proposons une approche baptisée « LEAP », pour leverage, empower, advocacy, programmatic. À travers cette approche qui met l’accent sur l’effet de levier, l’autonomisation, le plaidoyer et la dimension programmatique, nous nous attachons à aider les pays, les bailleurs de fonds et le secteur privé à transposer à plus grande échelle des modèles qui ont fait leurs preuves. 

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Les gouvernements doivent montrer l'exemple en améliorant l'efficacité de leurs propres bâtiments — écoles, hôpitaux, etc. — tout en instaurant des normes de construction et d'équipement, en lançant des programmes nationaux de rénovation des édifices existants et en harmonisant les politiques qui sont essentielles pour attirer les investisseurs privés. Comme l’a démontré la Türkiye en menant une rénovation énergétique de ses bâtiments publics, de telles initiatives constituent un signal clair qui peut permettre de mobiliser des milliards d’investissements et d’obtenir des financements commerciaux à grande échelle. Une meilleure planification urbaine visant à rendre les villes plus compactes peut également ouvrir la voie à de nouvelles options efficaces pour le chauffage, le refroidissement ou les transports publics. 

Mais personne ne peut y arriver seul. Les banques multilatérales de développement et les partenaires donateurs doivent unir leurs efforts pour apporter une assistance technique et des financements à des projets pilotes tout en renforçant progressivement le vivier de programmes « bancables ». Ces mesures enverraient un signal fort au marché, ce qui peut, à son tour, attirer de nouveaux fournisseurs et favoriser la concurrence ainsi que des financements commerciaux.

Pour sa part, le secteur privé peut aider à déterminer ce qui freine le marché et quelles politiques ou actions pourraient contribuer à améliorer le climat d'investissement. Il sera tout aussi crucial de mettre au point des modèles de financement et économiques qui sont opérants et susceptibles d'attirer les investissements et d'être utilisés à plus grande échelle au fil du temps. 

Le Groupe de la Banque mondiale aide déjà les gouvernements à traduire leurs ambitions en des résultats tangibles. Grâce à des financements, une assistance technique et des plateformes de connaissances telles que l’Académie du Groupe de la Banque mondiale, les pays peuvent mettre en commun leurs expériences et innovations afin de relever les défis urgents du développement. Le programme de l'Académie consacré à la généralisation de l'efficacité énergétique (a) invite notamment les dirigeants et les professionnels à discuter ensemble de l'importance de cet enjeu, des obstacles à surmonter et des solutions globales pour y remédier. 

Le déploiement de politiques et de programmes d'efficacité énergétique à grande échelle prend du temps, mais le jeu en vaut la chandelle. Les pays qui ont entrepris des réformes ambitieuses voient déjà les fruits de leurs efforts : des coûts plus bas, des économies plus fortes et des emplois de meilleure qualité. Travaillons ensemble pour faire de l’efficacité énergétique le moteur d’une croissance inclusive et durable.


Axel van Trotsenburg

Directeur général senior de la Banque mondiale, Politiques de développement et partenariats

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