À l’occasion de la Journée internationale des archives, ce 9 juin, je voudrais aborder le rôle des archives du Groupe de la Banque mondiale (a) pour entretenir la « mémoire » de la communauté du développement. J’ai donc rencontré Giovanni Zanalda, directeur du Center for International Studies/Global Areas de l’université Duke. Spécialiste de l’histoire des finances, du développement et des marchés émergents, il enseigne à la faculté d’économie et d’histoire de cet établissement. Tout au long de sa carrière, il a eu l’occasion de plonger dans les archives du Groupe de la Banque mondiale, selon les priorités du moment. Je lui ai demandé son point de vue d’utilisateur.
Elisa : Pouvez-vous nous dire ce qui vous a conduit à consulter les archives du Groupe et quelles perspectives ces données historiques offrent-elles sur le développement ?
Giovanni Zanalda : Quand je travaillais comme consultant pour la vice-présidence pour l’économie du développement, dans les années 90, je me suis intéressé aux informations diffusées par la Banque mondiale puis à ses archives. À l’époque, je devais analyser un certain nombre de thèmes pour préparer des missions de terrain en Afrique et rédiger des rapports nationaux et régionaux ou des documents de travail, en m’appuyant sur des documents internes. J’ai été frappé par le volume et la qualité de ces informations tout en ayant conscience que, pour la plupart (et notamment les analyses de long terme ou les commentaires personnels), elles ne figureraient pas dans la version définitive des rapports officiels. Or, ces documents rendaient compte de l’intégralité du processus de décision et de discussion ayant présidé à tel ou tel projet ou décision, sans aucun filtre… Quelques années plus tard, le Groupe de la Banque mondiale s’étant doté d’une politique d’accès à l’information, j’ai pu consulter en tant qu’utilisateur extérieur des archives historiques (a) et publier les conclusions de mon travail de recherche.
Elisa : Quel était le sujet de ce travail ?
Giovanni Zanalda : L’essor des marchés émergents entre les années 60 et les années 90. J’ai commencé à « extraire » des archives des échantillons de données sur la Corée du Sud. Je cherchais des clés d’analyse dans ces informations devenues, avec le temps, de précieuses sources primaires pour étudier les caractéristiques économiques, géopolitiques, diplomatiques, intellectuelles, voire culturelles, de ce pays.
Elisa : Êtes-vous tombé sur quelque chose d’inattendu ?
Giovanni Zanalda : Les données du début des années 60 apportent un éclairage sur une période décisive, puisque c’est le moment où la Banque mondiale commence à proposer ses conseils à la Corée. Cela ressort très nettement des échanges entre la Banque et les responsables coréens et d’autres organismes. Les documents du milieu des années 60 attestent du resserrement des liens entre la Banque et la Corée. C’est frappant d’observer la confiance accrue du pays et l’émergence de ce « partenariat constructif » entre la Corée et la Banque, que traduit le ton moins formel des échanges par courrier ou télégramme et les rapports de retour de mission. Un nombre croissant de fonctionnaires coréens venaient suivre des formations à l’Institut de développement économique de la Banque mondiale, à Washington, pour acquérir notamment, selon l’expression de l’un de ces stagiaires, une « vision plus globale » des choses.
Elisa : En quoi ce travail d’exploration des archives a-t-il modifié les conclusions de votre travail ?
Giovanni Zanalda : Il m’a amené à repenser le rôle des individus et des rapports personnels dans l’élaboration des politiques, illustré dans le cas présent par la confiance qui a pu se nouer entre le personnel de la Banque mondiale et les partenaires coréens au fil des formations et des missions ou pendant l’organisation de conférences internationales. C’est là un facteur essentiel que nous avons tendance à sous-estimer. Nous pensons habituellement que le développement résulte d’un concept soigneusement réfléchi et du respect rigoureux de modèles économiques. Or, les archives mettent en évidence la dimension personnelle, souvent informelle, de ce processus.
Elisa : Quels conseils donneriez-vous aux chercheurs qui voudraient consulter les archives de la Banque ?
Giovanni Zanalda : Les chercheurs doivent surtout comprendre que, grâce à son positionnement international, le Groupe de la Banque mondiale constitue, à travers ses archives, un observatoire unique en son genre pour étudier l’histoire de la communauté du développement, ses pratiques et ses politiques. Ces archives sont aussi le seul moyen pour certains États membres qui n’ont pas la possibilité, pour une raison ou une autre, de consigner les événements, de conserver des traces de leur parcours et de leurs acquis. Cette mémoire institutionnelle entretenue par les archives de la Banque mondiale représente une mine d’informations et devrait à ce titre être considérée comme un « bien public » de premier plan.
Vous avez des suggestions à faire sur l’accessibilité et la pertinence des Archives ? Faites-nous part de vos commentaires ci-dessous. Si l’histoire du Groupe de la Banque mondiale vous intéresse, consultez la liste de thèmes abordés sur la page Finding Aids (a). Vous pouvez également consulter nos rapports de recherche et de projets dans la base de données Documents et rapports. Vous y trouverez aussi les témoignages oraux (a) d’anciens de la Banque mondiale, disponibles également sur le site dédié Oral History (a) ; ces entretiens sont une source particulièrement abondante d’informations sur la Banque mondiale et tous les sujets qui y sont liés.
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