La pandémie de coronavirus (COVID-19) modifie les interactions humaines, mais aussi nos interactions avec la planète. Ce bouleversement mondial du statu quo a fait naître une question, aujourd’hui présente à tous les esprits : comment mieux reconstruire au sortir de la crise ?
Le coronavirus a d’immenses répercussions sur l’économie et des conséquences désastreuses sur la lutte contre la pauvreté et sur le bien-être, notamment dans les pays en développement (a). Selon les estimations les plus basses, la contraction de l’économie risque de faire basculer 48 à 135 millions de personnes dans la pauvreté [1] (a), tandis que le nombre de personnes souffrant de la faim pourrait doubler en 2020 dans les pays à revenu faible et intermédiaire, alerte le Programme alimentaire mondial.
Cette situation a de larges implications pour le secteur agricole, qui est au carrefour des enjeux de subsistance économique, d’environnement et de sécurité alimentaire. Près de 65 % des actifs adultes pauvres (a) vivent de l’agriculture et ce secteur représente à lui seul 70 % des prélèvements d’eau douce dans le monde (a).
Dans ce contexte, que signifie « mieux reconstruire » ?
Dans les pays en développement, les pertes de revenus ont durement frappé les agriculteurs et les travailleurs informels des zones rurales alors que les ménages sont des acheteurs nets de produits agricoles. Dans l’immédiat, le redressement passe par la préservation de l’accès aux denrées et de la sécurité alimentaire, en veillant au bon fonctionnement des chaînes de valeur et en stimulant la production et la mise à disposition d’une alimentation diversifiée, saine et nutritive pour tous (a).
À moyen et long terme, il conviendra d’investir dans des solutions climato-intelligentes pour une résilience accrue des agriculteurs et des systèmes alimentaires aux chocs. La pandémie a également mis en évidence l’épuisement des systèmes naturels qui sous-tendent l’agriculture, sapés par plusieurs décennies de déforestation, de dégradation des sols, de mauvaise gestion de l’eau et des sols, de recul de la biodiversité et de changements climatiques. Pour mieux reconstruire, il s’agira en partie de verdir la reconstruction et donc d’intégrer les liens entre l’homme et son environnement.
Une révolution déjà en marche : mettre les agriculteurs aux manettes des systèmes d’irrigation
Le développement de modes d’irrigation pilotés par les agriculteurs eux-mêmes est un levier très prometteur pour appuyer les moyens de subsistance et remettre rapidement sur pied les plus vulnérables. Il contribuera aussi à plus long terme à préserver la sécurité alimentaire des pays et à renforcer la capacité des agriculteurs à surmonter les chocs et à s’adapter aux évolutions de leur environnement.
Ces pratiques viennent compléter, tout en s’en distinguant fortement, les grands ouvrages publics qui ont dominé le développement de l’irrigation tout au long du XXe siècle, et qui se caractérisaient en général par des bureaucraties centralisées où les opérations d’approvisionnement en eau étaient gérées ou régies par une administration centrale ou locale. L’irrigation pilotée par les agriculteurs fait le pari inverse, en comblant les lacunes laissées par ces opérations de large envergure. Réunissant petits et moyens exploitants, le développement de l’irrigation pilotée par les agriculteurs permet à ces derniers d’optimiser leur consommation d’eau en mobilisant ou en mettant au point des technologies, des stratégies d’investissement et des liens avec les marchés adaptés au contexte local. Il ne s’agit pas d’une simple typologie, mais d’un processus grâce auquel des agriculteurs, seuls ou à plusieurs, mais souvent en coopération avec des partenaires extérieurs, imaginent des solutions d’irrigation adaptées à leurs besoins et à leurs priorités.
Ce mode de gestion de l’irrigation demeure largement méconnu, figure peu dans les registres institutionnels des infrastructures d’irrigation et ne bénéficie que d’un soutien officiel limité, voire inexistant, mais il est déjà largement intégré en Afrique, en Asie, en Europe, en Amérique latine et aux États-Unis et y occupe une place toujours plus importante. Il est un tremplin pour des millions d’agriculteurs qui vivent dans la pauvreté et sont à la recherche d’un appui immédiat. Dans la perspective de la reprise post-COVID, il présente également des gains économiques plus élevés et des délais d’exécution plus courts par rapport aux modèles d’irrigation à grande échelle.
Pour accélérer cette révolution, il faut supprimer les obstacles au financement, favoriser l’accès aux technologies et aux marchés, renforcer les capacités et promouvoir le transfert de connaissances. L’enjeu ? Fournir une irrigation adaptée à la demande et plus fiable dans un contexte où les moyens de subsistance des populations rurales sont déjà mis à mal par les conflits, les chocs climatiques, les invasions de criquets pèlerins et les difficultés économiques, autant de facteurs que la pandémie de COVID-19 exacerbe.
Les atouts de l’irrigation pilotée par les agriculteurs en soutien à la reprise
Les pertes d’emplois en série provoquées par la pandémie risquent probablement de pousser un grand nombre de citadins à regagner les zones rurales, où le travail de la terre reste l’un des rares moyens d’accroître la sécurité alimentaire et le revenu des ménages. Toute intervention destinée à atténuer l’impact de la pandémie a son importance, mais celles dont les gains sont rapides ont plus d’importance encore. Compte tenu de l’essor croissant de l’irrigation pilotée par les agriculteurs, pourquoi ne pas tirer parti de cette dynamique pour intensifier rapidement son déploiement ? Ce type d’intervention, dont l’objectif doit aussi consister à promouvoir l’échange de connaissances, stimuler l’innovation technologique et faciliter le financement et les liens avec les chaînes de valeur, est relativement peu coûteux à l’hectare par rapport aux investissements dans les projets d’irrigation à grande échelle. Il peut en outre permettre de créer plus d’emplois en milieu rural et d’élargir l’accès aux produits alimentaires dans un contexte de forte nécessité.
Les investissements que réalisent les agriculteurs sont particulièrement propices à une hausse des revenus, que ce soit les leurs ou ceux des acteurs qui interviennent dans les filières agricoles irriguées. Par ailleurs, la production irriguée garantit la présence sur les marchés locaux et régionaux d’une offre stable et accrue de denrées alimentaires cultivées localement (légumes, notamment), ce qui améliore la nutrition des familles d’agriculteurs et plus généralement de l’ensemble des habitants. Maladie, perte de revenus et perturbation des services de santé, de nutrition et des chaînes d’approvisionnement locales… le coronavirus compromet l’alimentation des populations et rend plus indispensable que jamais l’accès à une alimentation saine.
Parce qu’elle permet d’améliorer l’autosuffisance, d’établir des liens dans les chaînes d’approvisionnement, de pérenniser les systèmes alimentaires locaux, de promouvoir la création d’emplois, d’accroître la prospérité rurale et de renforcer la gestion locale de l’eau, l’irrigation pilotée par les agriculteurs présente de nombreux avantages à court terme qui contribueront tous à atténuer l’impact de chocs futurs. Par unité de terrain, la productivité de l’agriculture irriguée est au moins deux fois plus élevée (a) en moyenne que l’agriculture pluviale, ce qui permet d’optimiser les ressources et d’intensifier la production. Ces progrès sont essentiels pour favoriser une croissance économique tirée par l’agriculture, sachant que la croissance du secteur agricole est deux à quatre fois plus efficace (a) pour réduire la pauvreté et l’insécurité alimentaire que celle des autres secteurs d'activité.
Alors, comment mieux reconstruire ? Au moment où l’on tente de répondre à cette question, il est utile de s’appuyer sur des stratégies éprouvées. Or, dans le monde entier, les agriculteurs ont montré qu’ils étaient les mieux placés pour trouver des solutions d’irrigation locales aux enjeux qui sont les leurs. Nous examinerons prochainement comment la communauté du développement peut renforcer et accélérer le développement de l'irrigation pilotée par les agriculteurs afin d’accompagner la reprise post-COVID vers un avenir plus résilient.
[1] L’estimation dépend du seuil de pauvreté de référence (48 millions de nouveaux pauvres sur la base d’un seuil de 1,90 $/jour pour tous les pays ; et 135 millions de nouveaux pauvres sur la base d’un seuil de 1,90 $/jour pour les pays à faible revenu, de 3,20 $/jour pour les pays à revenu intermédiaire inférieur et de 5,50 supérieur $/jour pour les pays à revenu intermédiaire et élevé). Le taux mondial de pauvreté va augmenter pour la première fois depuis 1998.
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