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Les jeunes courent plus vite, mais les seniors connaissent les raccourcis !

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ImageDans un monde où les marchés du travail sont de moins en moins rigides, nombre de seniors craignent d’être évincés par des personnes plus jeunes et plus dynamiques. Mais ces inquiétudes sont-elles vraiment justifiées ? La productivité diminue-t-elle à mesure que l’on vieillit ?

La réponse à cette dernière question détermine largement dans quelle mesure les personnes d’un certain âge peuvent continuer de travailler. Comme je l’ai affirmé précédemment dans un article co-rédigé avec Wolfgang Fengler, non seulement nous vivons plus longtemps et en meilleure santé, mais nous pouvons aussi travailler plus longtemps (a).


Cela ne sera toutefois possible que si nous disposons des compétences et des capacités appropriées pour continuer de travailler à un âge avancé. Bien sûr, en vieillissant, nous devenons plus lents et notre corps moins solide, mais qu’en est-il de notre cerveau ? Et même si notre corps et notre cerveau s’affaiblissent, est-ce un facteur déterminant pour les employeurs ?

Pas forcément. Les compétences et les capacités des travailleurs âgés ne diminuent pas réellement, mais évoluent, et les employeurs intelligents savent en tirer parti. Premièrement, malgré une diminution évidente de la force physique à mesure que l’on vieillit, le corps conserve remarquablement bien un certain nombre de ses capacités tant que celles-ci sont utilisées. La force de préhension en est un excellent exemple : elle atteint habituellement son maximum à l’âge de 35 ans, puis diminue rapidement. La recherche a toutefois montré que, chez les ouvriers travaillant sur une ligne de montage, la force de préhension restait constante jusqu’à l’âge de 65 ans.

Deuxièmement, et c’est encore plus remarquable, notre cerveau peut compenser la perte de certaines capacités en en utilisant d’autres plus intensément. Ainsi, lorsqu’on vieillit, certaines fonctions cognitives avancées, notamment la capacité à traiter rapidement une information et la mémoire épisodique, diminuent, tandis que d’autres, comme la mémoire sémantique, le langage et la parole, s’améliorent. Et il ne faut pas oublier qu’il existe des moyens simples et peu coûteux de remédier au déclin de certaines fonctions, telles que la perception, à savoir la capacité à entendre, à ressentir et à voir…

Cependant, l’atout le plus important des seniors est probablement leur expérience, et cet avantage apparaît clairement au niveau de la structure même du cerveau. La figure ci-dessous montre les zones d’activité du cerveau dans le cortex préfrontal pendant un test de mémorisation réalisé dans trois groupes différents : des personnes jeunes (a), des seniors peu performants (b) et des seniors performants (c). Les personnes jeunes sollicitent principalement l’hémisphère droit de leur cerveau, c’est-à-dire l’hémisphère chargé de traiter les informations nouvelles. Il est intéressant de noter que le cerveau des seniors peu performants tente d’ « imiter » celui des personnes jeunes, sans y parvenir, en raison d’une plus faible capacité de traitement de l’information. Les seniors performants utilisent, eux, une méthode différente : ils « bilatéralisent » l’activité de leur cerveau en activant des réseaux dans l’hémisphère gauche (voir la figure ci-dessous).

Différents mais tout aussi efficaces : les seniors performants mobilisent les deux hémisphères de leur cerveau

Cerveaux. Productivité des jeunes et des seniors. Blog de la Banque mondiale


Source : S.M. Daselaar et R. Cabeza, « Age-Related Changes in Hemispheric Organization », in Cognitive Neuroscience of Aging: Linking Cognitive and Cerebral Aging, sous la direction de R. Cabeza, L. Nyberg et D.C. Park (New York, Oxford University Press, 2004).

Les seniors performants utilisent leur cerveau différemment, ce qui leur permet d’être tout aussi efficaces que les personnes jeunes. L’une des explications possibles est que, grâce à leur savoir plus vaste, ils s’appuient davantage sur leur expérience pour traiter des informations nouvelles. En effet, il se pourrait qu’au lieu de tenir compte de toutes les informations nouvelles pour prendre une décision, ils extrapolent d’après leur expérience en laissant de côté une partie des informations nouvelles et en traitant avec davantage d’efficience les informations dont ils disposent. Ainsi, au bout du compte, ils se montrent aussi performants que les personnes plus jeunes dont le cerveau est plus puissant. On peut en conclure que les jeunes courent plus vite, mais que les seniors connaissent les raccourcis. Au moins une partie des seniors franchit la ligne d’arrivée tout aussi rapidement que les jeunes.

C’est pourquoi il est essentiel de reconnaître que les personnes d’un certain âge ne font pas moins bien, mais différemment. Les seniors affichent ainsi un profil nettement différent en ce qui concerne les capacités socio-émotionnelles. Ils sont en général plus consciencieux, plus aimables et émotionnellement plus stables que les personnes jeunes, lesquelles se montrent plus extraverties et plus ouvertes à des expériences nouvelles.

Les employeurs intelligents comprennent comment mettre à profit les atouts dont disposent les seniors. Ainsi, en Allemagne, certains ont introduit des équipes composées de personnes de divers âges, des tâches spécifiques en fonction de l’âge et des ajustements pour les travailleurs d’un certain âge, et observé une hausse de la productivité des seniors (et parfois aussi des personnes jeunes) (a). Plus largement, on constate également que les pays où la main-d’œuvre est vieillissante commencent à se spécialiser dans la production de biens et de services qui requièrent davantage des compétences qui s’amélioreront avec l’âge (a). De surcroît, l’économie nécessite de plus en plus de cols blancs (a), ce qui crée des opportunités pour les seniors. En d’autres termes, à l’heure où le vieillissement de la population fait évoluer l’avantage comparatif de chaque pays, les employeurs intelligents savent en tirer parti : ils misent sur les nouveaux profils de compétences dont disposent les travailleurs d’un certain âge — et sur leur connaissance des raccourcis !

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Ce billet s’appuie sur un récent rapport de la Banque mondiale, Golden Aging. Prospects for Healthy, Active, and Prosperous Aging in Europe and Central Asia (a), rédigé par Maurizio Bussolo, Johannes Koettl et Emily Sinnott.
 

Auteurs

Johannes Koettl

Senior Economist, Social Protection and Labor Global Practice

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