Deux milliards de tonnes en 2016 : c’est le volume de déchets solides que nous produisons, globalement, chaque année. Soit environ 270 kilogrammes par personne, sachant que les pays développés sont les plus gros « producteurs ». Vous qui lisez cet article, votre poids quotidien de déchets tourne vraisemblablement autour du kilo…
Les gouvernements réfléchissent à des politiques et des programmes visant à améliorer les performances environnementales et réduire les volumes de résidus produits, mais le comportement individuel de chaque citoyen/consommateur est déterminant pour garantir un fonctionnement efficace et durable des systèmes de gestion des déchets. En Argentine, la municipalité de Trelew, une aire métropolitaine de 225 000 habitants, illustre de manière éclatante l’intérêt d’une conversion à l’économie circulaire, pour les autorités comme pour les citoyens, en particulier dans les pays en développement.
Cette ville côtière de l’Atlantique Sud, située à 1 200 kilomètres au sud de Buenos Aires, a investi dans la plupart des infrastructures nécessaires à une gestion durable des déchets. À commencer par une usine de recyclage et de transformation, construite en 2013 et financée par la Banque mondiale. La municipalité a ensuite mis en place une collecte différenciée en porte-à-porte pour récupérer les résidus recyclables, qui sont expédiés une fois par semaine à l’usine, le reste étant acheminé quotidiennement vers la décharge locale.
La ville s’est donc dotée de tous les instruments d’une collecte efficace, et pourtant 3 % seulement des déchets sont recyclés, le reste s’entassant rapidement dans la décharge municipale.
En outre, les ouvriers de l’usine de tri doivent séparer les produits recyclables des autres déchets, souvent dangereux, ce qui entraîne une sérieuse perte de temps et de ressources et des risques pour leur santé et leurs conditions de travail. En théorie, si chaque habitant de Trelew séparait le recyclable du reste des déchets et sortait le conteneur adapté le jour prévu pour le ramassage, les temps de traitement à l’usine seraient raccourcis, l’efficacité renforcée et le taux de recyclage amélioré.
Mais on ne modifie pas si facilement les habitudes… d’où la décision des autorités municipales de solliciter l’aide d’experts du comportement.
Quand les sciences comportementales se recyclent dans la gestion des déchets
En concertation avec la ville de Trelew, le service Schémas de pensée, comportements et développement (a) de la Banque mondiale (connu sous son sigle anglais eMBeD) et l’Institut allemand pour le développement (DIE) (a) ont imaginé de recourir aux sciences du comportement pour améliorer le taux de tri chez les consommateurs, en ciblant deux comportements clés : le tri à la source entre déchets recyclables et déchets résiduels et le respect des jours de collecte des déchets recyclables institués par la municipalité.
L’équipe a envoyé à environ 4 800 habitants des courriers et des calendriers aimantés relayant différents messages ; 90 % des envois concernaient des particuliers, le reste étant destiné aux petites entreprises. L’objectif ? Améliorer le respect des consignes du calendrier de collecte (« Déchets recyclables : uniquement le jeudi » ou « Le jeudi, je recycle ») et diffuser des messages « prosociaux » (a) et altruistes pour souligner l’impact positif du tri individuel pour la société et les autres (« En triant, vous nous aidez ! »).
Deux semaines après la diffusion de kit d’informations importantes, lisibles et clairement rédigées, le taux de tri a grimpé à 31 % chez les habitants destinataires des kits d’information, contre 17 % dans les quartiers qui ne les avaient pas reçus.
L’équipe a ainsi conçu et testé deux types de supports : un kit d’informations importantes, lisibles et clairement rédigées, inspirées des sciences du comportement, et un kit composé d’images et d’extraits d’entretiens avec les employés de l’usine de recyclage, rappelant l’importance de leur rôle, décrit en détail, et la difficulté de leurs conditions de travail, dans le but d’inciter à changer de comportement.
Pour vérifier l’efficacité de cette approche, l’équipe a récupéré des déchets dans 899 points de collecte sélectionnés au hasard deux semaines après l’envoi des courriers et des calendriers. Elle a ainsi recueilli 3,5 tonnes d’ordures, mesurant le poids et le volume de chaque sac et le type de déchets contenus. Parallèlement, elle a réalisé dans les semaines suivant l’intervention de courts sondages sur les pratiques de tri auprès de 2 700 ménages.
Un faible coût pour un fort impact
Les résultats de cette expérience sont prometteurs pour les futures politiques et stratégies de communication. Deux semaines après la diffusion des documents, le taux de tri a grimpé à 31 % chez les habitants destinataires des kits d’information, contre 17 % dans les quartiers qui ne les avaient pas reçus. On observe la même efficacité pour les deux kits, sachant que, entre trois et six semaines plus tard, 80 % au moins des habitants interrogés disaient avoir conservé ces documents.
Cette intervention est revenue en moyenne à 0,55 dollar par personne. Soit un coût tout à fait raisonnable comparé aux retombées économiques d’une moindre pression sur la décharge, aux revenus tirés de la vente des déchets recyclables, aux effets positifs pour l’environnement d’une baisse de la pollution et à l’amélioration des conditions de travail des employés de l’usine.
Qui plus est, ces résultats pourraient s’inscrire dans la durée et se pérenniser. L’équipe est donc en train de collecter des données pour vérifier si les effets de l’intervention perdurent et si les différents messages et kits d’information pourraient inciter, au long cours, des comportements différents.
Reproduire ce qui fonctionne
Deux éléments ressortent de cette intervention et d’autres du même type, qui constituent la clé de la réussite de tout projet de développement inspiré des principes des sciences comportementales.
Premièrement, il faut impérativement réaliser une analyse fine du contexte et des comportements visés, doublée de diagnostics approfondis. Le travail de diagnostic et de validation que nous avons effectué sous l’impulsion du DIE a donné lieu à un examen de la littérature consacrée à la gestion des déchets sous l’angle des sciences comportementales, à la collecte et l’analyse de données tirées d’une enquête auprès des ménages et à des réunions de consultations avec les citoyens, les autorités locales et des experts.
Une fois cette étape terminée, nous avons pu sélectionner des comportements cibles précis pour le tri et le dépôt des déchets recyclables, identifier le manque de sensibilisation à ces questions comme un frein à l’évolution des comportements et concevoir des supports de communication adaptés pour expliquer simplement ce qu’est le recyclage et le rôle clé des ménages dans ce processus.
Nous mettons actuellement au point des interventions pour nous attaquer aux causes profondes de nos comportements non durables, tels que la production de déchets, ou réfléchir à des solutions pour préserver la faune et la flore.
Second constat, encore plus important : la collaboration étroite avec les autorités locales et le DIE a permis des échanges fructueux de connaissances pratiques et théoriques. Dans ce cas précis, la co-appropriation de l’intervention et de ses effets a aussi été décisive, les autorités locales ayant manifesté leur intérêt pour y participer et mis à disposition leur connaissance intime du contexte à toutes les étapes du projet tout en restant ouvertes aux activités de renforcement des capacités et en menant à bien conjointement plusieurs tâches concrètes, comme l’élaboration et la distribution des supports d’information, la planification des activités de terrain ou encore la formation des équipes de collecte.
Par ailleurs, les relations étroites (a) entre les experts principaux et les chercheurs du DIE et de la Banque mondiale ont permis des échanges dynamiques d’information qui ont nourri la créativité et la fertilisation croisée des institutions. Pour parvenir à un tel niveau d’intégration, l’équipe a maintenu un dialogue constant entre tous ses membres, qu’ils viennent de la mairie, du DIE ou de la Banque mondiale.
Les expériences de terrain exigeant une planification rigoureuse et une réactivité face aux problèmes rencontrés, le groupe s’est réuni chaque semaine et a constamment discuté avec les experts par SMS, ce qui a permis de surmonter le problème des différents fuseaux horaires. Et surtout, les autorités locales ont constitué une équipe hautement qualifiée et motivée pour ce projet et cet engagement s’est révélé crucial, nous l’avons dit, pour la réussite de l’opération.
Un petit pas vers un développement durable
Nous avons hâte de récupérer les données attestant de l’impact durable de cette intervention, toujours en cours d’analyse au moment de rédiger cette tribune.
Nous nous réjouissons aussi de travailler avec des gouvernements afin d’étendre les initiatives inspirées par les sciences comportementales au service de solutions novatrices pour un développement durable. Concrètement, au-delà du simple tri des déchets, nous mettons actuellement au point des interventions pour nous attaquer aux causes profondes de nos comportements non durables, tels que la production de déchets, ou réfléchir à des solutions pour préserver la faune et la flore.
Parallèlement, nous avons engagé le dialogue avec d’autres villes d’Argentine prêtes à explorer ces domaines et tenter des expériences. Comme le développement durable dépend des gouvernements et des citoyens, nous nous emploierons à continuer de tester des instruments d’action publique qui intègrent l’apport des sciences comportementales, avec le souci de les transposer ailleurs et de les appliquer à un éventail plus large de problématiques.
Tribune publiée initialement sur la plateforme Apolitical.
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