Publié sur Opinions

Peut-on lutter simultanément contre la pauvreté et le changement climatique ?

Près de la ville de Massakory, au Tchad, à moins de 200 km au nord de la capitale N’Djamena. Près de la ville de Massakory, au Tchad, à moins de 200 km au nord de la capitale N’Djamena, les terres sont arides et les conditions climatiques extrêmement chaudes et sèches. La saison des pluies arrive de plus en plus tard chaque année et, faute de végétaux verts, l’accès du bétail à des pâturages est de plus en plus limité. Photo : Arne Hoel/Banque mondiale

Les systèmes humains, écologiques et climatiques sont étroitement liés (a). Nos emplois, notre santé et même nos valeurs culturelles découlent de notre environnement naturel. C'est pourquoi le changement climatique est désormais le problème le plus important de notre temps, appelé à devenir rapidement le nouveau paradigme du développement mondial.

Les États, les banques multilatérales et d’autres acteurs majeurs du développement ont tous intensifié leurs engagements financiers en faveur de la lutte contre le changement climatique. Cependant, il manque souvent un élément essentiel dans leurs engagements, à savoir la nécessité de porter une attention distincte à la situation des populations pauvres et vulnérables. À l’heure actuelle, 90 % (a) des financements climatiques sont consacrés à l’atténuation du changement climatique, c’est-à-dire à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en misant notamment sur les énergies propres et les transports durables. Bien que ces investissements soient indispensables pour ralentir le rythme du changement climatique, ils ne résolvent pas, la plupart du temps, les difficultés tenaces auxquelles sont confrontés les personnes en situation de pauvreté.

En raison d’un manque d'argent, de biens matériels ou de connaissances, les habitants les plus pauvres du monde n’ont généralement pas les moyens de faire face aux chocs climatiques et de s’y adapter. Ils sont souvent contraints à des stratégies qui ont pour effet de détériorer encore davantage leur cadre naturel, créant ainsi un cercle vicieux de pauvreté et de dégradation de l’environnement. Les femmes sont en outre particulièrement vulnérables et sont davantage exposées que les hommes au risque de perdre leurs moyens de subsistance à la suite d’un choc climatique. Les pouvoirs publics doivent par conséquent s’efforcer d’inclure les populations les plus pauvres, et en particulier les femmes, dans leurs initiatives pour le climat, en veillant à ce qu’elles disposent des ressources nécessaires pour surmonter les chocs, s’adapter aux effets à long terme des dérèglements climatiques et tirer profit de la révolution verte qui s’annonce. Si les populations pauvres sont livrées à elles-mêmes face à la crise climatique, les conséquences seront évidentes : migrations, troubles civils, famine... Soit autant de phénomènes qui commencent déjà à se manifester.

Les pouvoirs publics doivent s’efforcer d’inclure les populations les plus pauvres, et en particulier les femmes, dans leurs initiatives pour le climat, en veillant à ce qu’elles disposent des ressources nécessaires pour surmonter les chocs, s’adapter aux effets à long terme des dérèglements climatiques et tirer profit de la révolution verte qui s’annonce. 

Alors que les effets du changement climatique deviennent de plus en plus visibles, les gouvernements reconnaissent la nécessité d’adopter des stratégies de développement à l’épreuve du climat (a) qui s’attaquent de manière globale aux enjeux interdépendants de la pauvreté et du changement climatique. À cet égard, il est important de noter que l’on ne peut relever ces deux défis simultanément au moyen d’interventions isolées. Le reboisement de vastes territoires ne garantit pas à lui seul des retombées positives pour les personnes en situation de pauvreté. De même, les transferts monétaires, quoiqu’essentiels en cas de catastrophe climatique, ne garantissent pas une amélioration de la biodiversité. Pour bien faire, les programmes doivent reposer sur une approche intégrée qui combine des objectifs de lutte contre la pauvreté et contre le changement climatique, et qui associe divers acteurs et secteurs, comme la protection sociale, l’environnement et l’agriculture.

La rentabilité des programmes d’inclusion économique

Les programmes d’inclusion économique (ou productive) illustrent parfaitement cette approche intégrée. Ils ont connu un essor rapide ces dernières années, sur la base d’un corpus solide d'éléments probants. De quoi s'agit-il exactement ? Un programme d’inclusion économique consiste en un ensemble d’interventions multidimensionnelles qui aident les ménages et les communautés très pauvres et vulnérables à augmenter durablement leurs revenus et leurs actifs. Ils permettent de sortir de la pauvreté en activant en même temps plusieurs leviers : transferts monétaires, formations professionnelles, aides à l’entreprise, mentorat, accès aux marchés, etc. Bien que ces programmes varient par le nombre d’interventions concernées et par leur envergure, ils contribuent tous à un double objectif : renforcer à la fois la résilience et les perspectives économiques des personnes et des ménages en situation de pauvreté. Lorsqu’ils sont mis en œuvre via les systèmes gouvernementaux, ces programmes peuvent présenter un très bon rapport coût-efficacité (a) et générer des retours sur investissement élevés.

Depuis cinq ans, le Partenariat pour l’inclusion économique (PEI) (a) de la Banque mondiale aide les gouvernements à se doter de programmes d’inclusion économique ou à étendre leur portée. Et depuis que le PEI a commencé à suivre ces programmes avec une enquête semestrielle, il est de plus en plus largement admis que la mise en cohérence de l’action climatique avec l’inclusion économique revêt un intérêt considérable. Selon les résultats des enquêtes les plus récentes, plus des deux tiers des programmes d’inclusion économique intègrent des interventions qui renforcent la résilience climatique. Les programmes d’inclusion économique pourraient jouer un rôle clé à la croisée complexe de la lutte contre le changement climatique, les inégalités et la pauvreté.

Les programmes d’inclusion économique pourraient jouer un rôle clé à la croisée complexe de la lutte contre le changement climatique, les inégalités et la pauvreté.


Passer à l’action : une approche stratégique des liens entre climat et pauvreté

Dans le sillage de l’appel à l’action lancé par la COP27, le PEI s’est associé à des experts de la protection sociale, du climat, de l’agriculture et de la gestion des ressources naturelles afin d’élaborer un cadre directeur (a) pour la prise en compte stratégique des liens entre changement climatique et pauvreté dans les programmes d’inclusion économique. Ces efforts d'intégration présentent un immense potentiel. Souples et multisectoriels par nature, les programmes d’inclusion économique peuvent se déployer dans trois domaines clés : les filets sociaux adaptatifs, les systèmes alimentaires et écologiques, et les emplois verts et la transition juste.

Les États et leurs partenaires de développement sont en quête de solutions efficaces et relativement peu coûteuses qui permettent d'agir à la fois pour les populations et pour la planète. Et les programmes d’inclusion économique sont perçus à cet égard comme un investissement qui peut rapporter beaucoup. Avec l’appui de ses partenaires financiers, le PEI a récemment accordé des financements catalytiques destinés à accompagner six programmes publics d’inclusion économique en Éthiopie, en Inde, au Sénégal, au Kenya, au Togo et en Ouzbékistan, qui devraient bénéficier à plus de 3,7 millions de pauvres. Ces aides, qui s'étendront sur deux années, soutiendront la mise en place d’interventions novatrices afin d’obtenir un plus grand impact sur le triple plan du climat, du genre et de la pauvreté. Il s’agit notamment de mettre en évidence des chaînes de valeur vertes et les possibilités d'emploi dans l’agro-industrie, en particulier pour les femmes, d’apporter des connaissances et des formations sur les technologies climato-intelligentes, et de démystifier les marchés mondiaux du carbone et les dispositifs d’assurance contre les catastrophes auprès des populations pauvres. Sachant que la réussite de ces programmes repose sur la circulation des connaissances entre les différents secteurs concernés, chaque subvention financera des efforts de coopération entre les ministères, les ONG et les organismes du secteur privé. La collaboration est essentielle à la lutte conjuguée contre le changement climatique et la pauvreté — et elle implique nécessairement des ressources appropriées.

Les financements climatiques doivent se concentrer sur les plus pauvres, et les programmes d’inclusion économique peuvent tout particulièrement y contribuer. Dans les années à venir, le PEI s’attachera à diffuser au sein de la communauté du développement les enseignements tirés de ces initiatives et de l'expérience de leurs bénéficiaires, tout en appuyant le rôle des programmes d’inclusion économique dans l'action contre le changement climatique et la pauvreté.


Timothy Clay

Consultant au sein du pôle Protection sociale et emploi à la Banque mondiale

Nazia Moqueet

Spécialiste en protection sociale.

Victoria Strokova

Responsable de programme, Partenariat pour l'inclusion économique, Banque mondiale

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