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La majeure partie du monde en développement se transforme en zone de non-développement

La majeure partie du monde en développement se transforme en zone de non-développement Photo : Gerardo Pesantez / Banque mondiale

Il y a à peine six mois, un « atterrissage en douceur » semblait se profiler à l’horizon : l’économie se stabilisait après la série de calamités qui s’est abattue sur le monde ces dernières années, entre cataclysmes naturels et catastrophes causées par l’homme. Ce moment est derrière nous : l’économie mondiale est de nouveau entrée dans une zone de turbulences. Et, sans un changement rapide de trajectoire, cette situation pourrait affecter profondément l'évolution des niveaux de vie.

Les dissensions internationales — en matière de commerce en particulier — ont ébranlé bon nombre des certitudes politiques qui avaient contribué à réduire l’extrême pauvreté et à accroître la prospérité après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Selon nos prévisions, ces bouleversements amputeront de près d’un demi-point de pourcentage le taux de croissance du PIB mondial qui avait été projeté au début de l’année, pour le ramener à 2,3 %. Il s’agit de la plus faible performance de croissance en 17 ans, en dehors des récessions mondiales caractérisées. D’ici à 2027, la croissance du PIB mondial ne devrait atteindre que 2,5 % sur la décennie, soit le rythme le plus lent jamais enregistré depuis les années 1960.

Comme le montre clairement notre dernier rapport sur les Perspectives économiques mondiales, ce sont les pays les plus pauvres qui en souffriront le plus. La majeure partie du monde en développement se transforme en zone de non-développement. D’ici à 2027, le PIB par habitant des pays à revenu élevé se situera à peu près au niveau attendu avant la pandémie de COVID-19, tandis que celui des économies en développement sera en moyenne inférieur de 6 %. À l’exception de la Chine, ces économies pourraient mettre environ deux décennies à résorber les pertes économiques subies dans les années 2020.

Ces sombres perspectives n'arrivent pas par surprise, elles étaient prévisibles. Car la tendance se dessine depuis au moins une décennie. La croissance dans les économies en développement est en perte de vitesse depuis trente ans maintenant, pour passer de 5,9 % par an en moyenne dans les années 2000 à 5,1 % dans les années 2010, avant de tomber à 3,7 % dans les années 2020. Or, il se trouve que cette évolution suit la même trajectoire que la croissance du commerce mondial, qui a baissé de 5,1 % en moyenne dans les années 2000 à 4,6 % dans les années 2010, puis chuté à 2,6 % dans les années 2020. L’investissement, quant à lui, croît à un rythme de plus en plus faible. Tandis que la dette, elle, ne cesse de s’accumuler.

En résumé, les dynamiques qui avaient porté le grand miracle économique des 50 dernières années — avec un PIB par habitant qui a quasiment quadruplé dans les pays en développement et plus d’un milliard de personnes qui sont sorties de l’extrême pauvreté — se sont en grande partie inversées. En outre, les circonstances favorables à l’adoption de mesures relativement indolores pour y remédier ne sont plus d'actualité. L’ère des taux d’intérêt exceptionnellement bas que nous avons connue au cours des deux premières décennies de ce siècle, par exemple, est désormais révolue. Tout au long de cette période, la plupart des décideurs politiques n’ont pas réagi, dans l’espoir que la situation finisse par s’améliorer d’elle-même. L’avenir leur a donné tort, mais il n’est jamais trop tard pour prendre les bonnes décisions. Le rapport met en avant trois priorités :

Premièrement, il faut reconstruire les relations commerciales. Les faits sont là : la coopération économique vaut mieux que toute autre solution — pour toutes les parties concernées. Selon le rapport, si les différends commerciaux actuels étaient résolus par des accords qui réduisent de moitié les droits de douane par rapport à leur niveau de la fin du mois de mai 2025, la croissance mondiale gagnerait 0,2 point de pourcentage de plus en moyenne sur la période 2025-2026.

Aujourd’hui, la plupart des économies en développement appliquent généralement des droits de douane beaucoup plus lourds que celles à revenu élevé. Si elles veulent accélérer leur croissance, le meilleur levier d’action réside dans l’abaissement des tarifs pour tous les partenaires commerciaux. La transformation des accords commerciaux préférentiels — lesquels portent principalement sur les droits de douane — en « accords de libre-échange approfondis », qui couvrent tout l’éventail des pratiques réglementaires régissant le commerce entre pays, pourrait également stimuler la croissance du PIB. Les économies en développement ont également un rôle crucial à jouer dans le rétablissement d’un système commercial pleinement opérationnel et fondé sur des règles, notamment dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La prévisibilité réduit le coût des échanges, ce qui contribue à dynamiser la croissance du PIB.

Deuxièmement, il faut restaurer la discipline budgétaire. Certes, la succession de chocs économiques des années 2020 a mis à mal les finances publiques de nombreux pays en développement. Néanmoins, elle n’explique pas tout : à l’ère de l’argent facile qui a précédé la pandémie de COVID-19, les gouvernements ont pris trop de risques pendant trop longtemps. Aujourd’hui, l’heure des comptes a sonné : depuis 2020, les déficits budgétaires ont atteint en moyenne près de 6 % du PIB dans les économies en développement, soit leur niveau le plus élevé depuis le début de ce siècle. Les charges d’intérêt représentent à elles seules environ un tiers des déficits. Dans les pays à faible revenu, ces tensions budgétaires ont été accentuées par la baisse de l’aide étrangère, qui finance une grande partie des besoins essentiels tels que les soins de santé. Il n’est donc pas surprenant que plus de la moitié des pays à faible revenu soient déjà en situation de surendettement ou fortement menacés de l’être.

Les économies en développement doivent impérativement élargir leur marge de manœuvre budgétaire. La tâche n'est pas des moindres, sachant que leurs recettes ne représentent qu’environ 25 % du PIB, contre près de 40 % pour les pays les plus riches. Les pays en développement doivent par conséquent redoubler d’efforts pour mobiliser davantage de ressources intérieures, en élargissant l’assiette fiscale et en renforçant l’administration et le recouvrement de l’impôt afin de réduire l’évasion fiscale et le transfert de bénéfices. Ils peuvent aussi réaliser des économies substantielles en recentrant les subventions coûteuses sur l’alimentation et les carburants, afin qu’elles bénéficient uniquement aux ménages à faible revenu.

Troisièmement, il faut accélérer la création d’emplois. Le monde connaît une mutation démographique d’une ampleur inédite, qui exacerbe la nécessité de créer des emplois dans nombre de pays parmi les plus pauvres. En Afrique subsaharienne, la population en âge de travailler devrait presque doubler d’ici à 2050, pour compter plus de 600 millions de personnes supplémentaires, soit une croissance sans précédent dans le monde en l’espace de 25 ans seulement. La population en âge de travailler devrait augmenter de près de 300 millions en Asie du Sud sur la même période, et de plus de 100 millions dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord.

La capacité de ces régions à relever ou non le défi de l’emploi déterminera les perspectives de paix et de prospérité à long terme dans le monde. Elles devront accélérer leur croissance économique, améliorer l’éducation et les compétences de leur main-d’œuvre et créer les conditions indispensables à un fonctionnement efficace des marchés du travail.

L’économie mondiale se trouve aujourd’hui à un tournant critique. Les moteurs de la convergence économique, qui ont, par le passé, permis à des milliards de personnes d’échapper à la pauvreté, se sont essoufflés. C’est le moment de changer de cap, en renforçant la coopération mondiale, en rétablissant la responsabilité budgétaire et en se focalisant sans relâche sur la création d’emplois. Grâce à une action résolue, les gouvernements du monde entier peuvent encore raviver la dynamique de réduction de la pauvreté et améliorer les niveaux de vie de la prochaine génération.

Un grave problème de croissance

La croissance du PIB mondial est exceptionnellement faible, non seulement d'une année sur l'autre, mais aussi d'une décennie sur l'autre.

 

Figure 1.  La plus faible croissance depuis 2008 (hors récessions)

 

 

Figure 2. Le rythme de croissance le plus lent jamais enregistré depuis les années 1960


Indermit Gill

Économiste en chef du Groupe de la Banque mondiale et premier vice-président pour l’Économie du développement

Ayhan Kose

Économiste en chef adjoint et directeur de la cellule Perspectives de la Banque mondiale

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