Dans le monde entier, l’évolution de la nature du travail conduit à l’adoption de pratiques d’emploi plus adaptables et flexibles. Travailler ne consiste plus seulement à occuper un poste sur un lieu de travail fixe, de 9 h à 17 h... C'est de plus en plus un concept dynamique, avec un nombre toujours croissant de personnes qui évoluent vers des modèles d’emploi flexibles, que l’on désigne souvent sous le terme d’« emplois atypiques ». Comme le montrent des études récentes (a), cette flexibilité est de plus en plus appréciée des travailleurs, en particulier après la pandémie de COVID-19, et les pays prennent acte d’une évolution qui pose de nouveaux défis aux décideurs politiques et les conduit à mettre en œuvre des réformes visant à créer un environnement porteur pour ces nouvelles modalités de travail.
Les formes atypiques de travail se heurtent cependant à des obstacles inhérents à leur nature même — fluctuation des revenus, instabilité — et à des entraves administratives qui compliquent leur intégration dans les systèmes d’emploi et de protection sociale. Face à ces nouveaux besoins, plusieurs pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA) ont récemment pris des mesures qui témoignent d’une réponse proactive et qui pourraient servir de modèle pour des actions analogues ailleurs dans le monde.
L’Arabie saoudite et la Jordanie ont annoncé cette année des réformes réglementaires, conçues avec le soutien de la Banque mondiale, qui formalisent les modalités de travail flexibles tout en assurant la protection des travailleurs grâce à une couverture sociale.
L’Arabie saoudite a adopté (a) un train de réformes sur la réglementation des contrats dits MRN (équivalent phonétique du terme flexible en arabe). L'avancée la plus notable réside dans la couverture sociale de ces travailleurs flexibles, dont le statut est désormais soumis aux règles et règlements spécifiques fixés par l’Organisation générale de l’assurance sociale (GOSI).
La Jordanie a également annoncé un nouveau règlement sur le travail flexible qui élargit l'éventail d’emplois pouvant faire légalement l’objet d'aménagements, comme le travail à distance, le temps partiel, les horaires flexibles et la semaine de travail comprimée. Le nouveau règlement offre également à tous les travailleurs (et non pas seulement à des groupes spécifiques) la possibilité de choisir les options qui leur conviennent le mieux, sous réserve des besoins de l’entreprise et de l’approbation de l’employeur, tout en leur donnant accès à la sécurité sociale.
Ces nouvelles réformes marquent un jalon important non seulement pour l’Arabie saoudite et la Jordanie, mais aussi pour l'ensemble de la région MENA, en ce qu’elles attestent d’une démarche dynamique face à l’évolution des tendances du marché du travail, et notamment à la place croissante des emplois atypiques. On peut s'attendre en outre à ce qu’elles profitent principalement aux jeunes et aux femmes, alors que la région MENA affiche le taux de chômage des jeunes le plus élevé et le taux d’activité féminine le plus bas du monde. Une étude récente de la Banque mondiale (a) montre en effet que des modalités d’emploi flexibles, telles que le microtravail en ligne, améliorent considérablement la participation des femmes au marché du travail.
Un cadre mondial pour l’avenir du travail
Tous les pays, et plus particulièrement les économies en développement et émergentes, devraient envisager des réformes similaires. Comme le souligne une récente note de la Banque mondiale sur l’économie des plateformes et l’avenir du travail (a), les systèmes de travail et de sécurité sociale sont rigides. Ils ont été conçus pour des formes d’emploi standard, à savoir en général un travail à temps plein, à durée indéterminée, subordonné et sur site. Ces systèmes traditionnels peinent aujourd’hui à intégrer des modalités d’emploi nouvelles et non conventionnelles comme le microtravail en ligne ou le télétravail.
Certes, l’émergence de ces formes de travail atypiques est un phénomène relativement nouveau. Cependant, en l’absence d’une actualisation des systèmes et réglementations en vigueur, de nombreux travailleurs continueront d’entrer sur le marché du travail sans une assurance sociale qui les protège contre les risques du chômage, professionnels et de pauvreté pendant la vieillesse. Cette situation est d’autant plus préoccupante que, selon l’Organisation internationale du travail, plus de 60 % des actifs dans le monde travaillent dans le secteur informel, où ils ne bénéficient pas de protection sociale, de droits du travail et de conditions d’emploi décentes.
La note de la Banque mondiale propose un cadre d’orientation pour s’atteler aux difficultés que pose la diffusion de l’emploi atypique, mais aussi pour en exploiter tout le potentiel. Avec ce cadre, il s'agit pour les pays d’atteindre deux principaux objectifs :
Harmoniser les règles applicables aux différents types d’emploi : le but ici est d’établir un marché du travail intégré en catégorisant précisément les travailleurs et en harmonisant les coûts. Cette approche garantit que les choix d’emploi sont motivés par les besoins du marché du travail, plutôt que par des stratégies d’évitement des coûts liés aux avantages sociaux ou aux impôts.
En profiter pour actualiser les systèmes de protection sociale afin d’y inclure les travailleurs à emploi atypique : il s'agit d’élargir l'accès à des protections comme l’assurance contre les risques professionnels, les allocations chômage, les congés parentaux et les dispositifs d’épargne transférables. Cela passe par des mesures innovantes permettant de faire en sorte que les systèmes de protection sociale soient adaptables et inclusifs et qu’ils répondent aux besoins divers de tous les travailleurs, quel que soit leur statut d’emploi.
L’intégration des formes d’emploi atypiques dans le marché du travail formel en Arabie saoudite et en Jordanie doit inciter d’autres pays à suivre leur exemple. En se dotant d’un cadre complet qui permet de prendre en compte les problèmes particuliers du travail atypique, les pays pourront bâtir des marchés du travail plus inclusifs, résilients et dynamiques. Ce faisant, les pays de la région MENA et d’ailleurs pourront assurer une croissance économique durable et une meilleure protection des travailleurs, et servir ainsi de référence à des réformes du marché du travail dans le monde entier.
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