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Mobiliser les ressources nationales en faveur de la couverture santé universelle

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Mujer y bebé en hospital aplicando vacuna
Photo © Dominic Chavez/Banque mondiale

En septembre 2015, le monde entier s’est engagé à atteindre 17 objectifs et 169 cibles de développement. Outre l’éradication de la pauvreté, le programme d’action pour un développement durable englobe des questions sociales et environnementales. Des économistes ont estimé que le coût de réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) s’élèverait à plusieurs milliers de milliards de dollars. Les pays, les bailleurs de fonds, les fondations et le secteur privé sont ainsi sollicités pour financer des actions destinées à améliorer la planète dans son ensemble, mais aussi notre santé, l’éducation, la qualité de vie, etc. En résumé, tout ce qui est essentiel à un véritable développement durable. 
 
Cependant, la crise économique mondiale, l’accroissement des migrations et du nombre de réfugiés ont affecté le contexte de l’aide. La question de la mobilisation des ressources nationales s’est ainsi invitée dans de nombreuses réunions internationales et a fait l’objet de multiples discours sur des sujets tels que la santé, l’éducation, l’assainissement, les infrastructures, le changement climatique, etc. Je suis moi-même partisane de la mobilisation des ressources nationales : j’ai été parmi les premiers ministres des Finances à alerter les pays les moins avancés sur le fait que nous devons progresser dans ce domaine, car nous ne disposerons pas du volume de ressources externes nécessaires pour atteindre les ODD. J’avoue toutefois être un peu préoccupée car, dans un contexte de raréfaction des moyens, la mobilisation des ressources nationales est devenue le nouveau mot d’ordre de la communauté du développement. Pourtant, même si les ressources nationales augmentent, chaque acteur doit apporter une attention toute particulière à la justification du choix de ses priorités.


En raison des ambitions élargies portées par les ODD, la concurrence pour l’obtention de ressources va s’intensifier. En tant que ministre des Finances, j’étais noyée sous les demandes de financement pour des projets fort louables émanant de divers secteurs et ministères. Il m’était souvent très difficile de les hiérarchiser et je pense que c’est ce que vivent la plupart des ministres en charge des finances de leur pays. Pour que davantage de ressources nationales soient allouées en priorité à la santé, la communauté médicale – à l’échelle mondiale et nationale – devrait mieux étayer ses propositions d’amélioration des soins de santé en y intégrant les bénéfices des investissements demandés. En résumé, pour obtenir les fonds nécessaires à la couverture santé universelle, les ministres de la Santé et la communauté médicale dans son ensemble doivent avant tout parler le même langage que les ministres de Finances.

En quoi consiste la couverture santé universelle ?

L’objectif de la couverture santé universelle (CSU) est de répondre à un principe élémentaire : faire en sorte que chacun puisse accéder aux services de santé dont il a besoin (à définir) sans que leur coût ne l’expose à des difficultés financières. Si la plupart d’entre nous peuvent bénéficier de services de santé à un prix abordable, l’exercice de ce droit humain fondamental est encore loin d’être à la portée de bien des gens, en particulier dans les pays en développement. La CSU vise avant tout à assurer un accès égal aux services de santé à tous ceux qui n’en bénéficient pas. Par conséquent, il convient de concevoir une CSU ciblant en priorité les personnes les plus pauvres et éloignées afin de leur garantir au moins un ensemble de services élémentaires auxquels elles n’auraient autrement pas accès.

Malgré les progrès encourageants réalisés ces dernières années en matière de santé reproductive et de planification familiale par exemple, la couverture santé universelle est encore loin d’être une réalité, y compris en ce qui concerne les services prioritaires. Ainsi chaque année, 46 millions d’accouchements sont pratiqués sans l’assistance de personnel médical qualifié et 23 millions d’enfants ne reçoivent pas les vaccins essentiels. Chaque année aussi, 100 millions de personnes passent sous le seuil de pauvreté et 150 autres millions de personnes font face à une catastrophe financière en raison de dépenses médicales. Les seuls pays où la couverture santé se rapproche le plus des indicateurs d’universalité de la Banque mondiale et de l’OMS sont pour la plupart membres de l’OCDE. Cette inégalité a été la principale cause de la non-réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Si nous ne plaçons pas la CSU au cœur de la transition vers les ODD, nous assisterons toujours à des souffrances humaines évitables, notamment chez les femmes et les enfants. Et une telle situation constituerait sans doute un obstacle à l’atteinte de tout ou partie de nos objectifs mondiaux de développement.

Pourquoi concentrer les efforts sur la CSU ? 

Aujourd’hui, de nombreux ministres de la Santé sont bien conscients du problème, qui va au-delà du seul domaine de la santé : c’est l’affaire de tous les membres d’un gouvernement, et de tous les gouvernements. En effet, outre le fait que l’accès à la santé est un droit humain, donc une obligation morale, c’est aussi une question de bon sens économique. Il est aujourd’hui largement démontré que les investissements dans la santé engendrent des bénéfices remarquables.

En 2014, l’institut Chatham House a publié un rapport estimant que la santé contribuait à hauteur d’environ 1,8 % à la croissance annuelle des pays à revenu faible et intermédiaire. Et dans les pays d’Afrique subsaharienne, cette contribution atteignait 5,7 % par an. Une étude plus récente publiée dans la revue Health Affairs approfondit cette analyse. Portant sur 94 pays à revenu faible et intermédiaire, elle montre que chaque dollar investi dans la vaccination des enfants peut permettre d’économiser 16 dollars en frais de santé et en pertes de salaire et de productivité liées à la maladie. En tenant compte du fait que les gens aspirent aujourd’hui à vivre plus longtemps et en bonne santé, alors le retour sur investissement grimpe jusqu’à 44 dollars. Les fonds alloués au secteur de la santé représentent donc bel et bien un investissement essentiel et très rentable.

Mais d’où proviennent ces profits ? Tout simplement des investissements dans la prévention, qui évitent les maladies et le fardeau social et économique qu’elles impliquent. Comme dit le proverbe : « Mieux vaut prévenir que guérir ». Un enfant vacciné restera en bonne santé et ne nécessitera pas de soins ou de traitements coûteux pour les États et les familles, et cela peut éviter aux parents de s’absenter de leur travail. Un enfant en bonne santé a aussi plus de chances de réussir à l’école. Ainsi, au lieu d’imposer des dépenses médicales appauvrissantes aux familles, un geste préventif aussi simple qu’un vaccin permet à la fois d’améliorer les revenus et le pouvoir d’achat des parents, mais contribue aussi à une prochaine génération plus productive. En résumé, assurer la santé d’un enfant en le vaccinant rend un fier service à l’économie de son pays. Et cela permet aussi de favoriser la bonne santé des personnes qui, de ce fait, peuvent vivre et s’épanouir pleinement.

Un examen de la littérature sur ce sujet apporte d’autres preuves de l’impact économique d’une meilleure santé des personnes. Selon un autre rapport de l’institut Chatham House qui portait sur la période 1970-2000, environ 11 % de la croissance des pays à revenu faible et intermédiaire peuvent être attribués à la baisse de la mortalité adulte. Améliorer l’état de santé des populations contribue donc à améliorer l’économie. Or la CSU est un levier pour y parvenir et c’est un très bon investissement.

Combien faut-il pour financer la CSU dans les pays à revenu faible et intermédiaire ?

C’est la question critique pour les pays à revenu faible et intermédiaire : combien ça coûte ? Évoquer le bon retour sur investissement importe peu si un pays ne peut tout simplement pas investir. Selon la Commission du Lancet sur l’investissement dans la santé, il faudrait que les dépenses de santé augmentent de 70 à 90 milliards de dollars par an pour garantir l’accès de tous à un ensemble de services de santé essentiels, identifiés comme tels dans les ODD pour aboutir à la couverture santé universelle. Cela signifie que, au vu des niveaux actuels d’investissements dans la santé, les pays à revenu faible et intermédiaire devront accroître d’un tiers leurs dépenses dans ce domaine.

Il s’agit là de sommes importantes, mais on constate que certains progrès ont été accomplis. Entre 1995 et 2013, les dépenses consacrées à la santé ont augmenté à l’échelle mondiale, grâce notamment à la croissance économique. Elles ont d’ailleurs progressé plus vite que le PIB et sont passées en moyenne de 4,9 à 6,4 % du PIB sur la même période.
Néanmoins, ces chiffres très positifs ne reflètent pas totalement la réalité. Un examen plus minutieux révèle que, si les dépenses publiques générales de santé ont augmenté pendant cette période, la plus grande part de la progression concerne les pays à revenu élevé.

Tous les pays devraient aussi faire en sorte de limiter le plus possible les frais de santé que les familles doivent payer de leur poche : souvent élevées et imprévisibles, ces dépenses risquent de faire basculer une famille dans la pauvreté. Elles constituent un obstacle bien réel à l’accès aux services de santé et au développement économique des couches les plus pauvres de la société. Pour lever cet obstacle, il est souhaitable que les gouvernements s’engagent sur deux objectifs : d’une part veiller à ce que les dépenses personnelles ne représentent pas plus de 20 % des dépenses totales de santé et, d’autre part, éviter tout frais de ce type pour les services de santé prioritaires ou pour les familles les plus pauvres. Or actuellement, les pays à revenu faible et intermédiaire ont encore la moitié du chemin à parcourir pour atteindre le premier objectif, car les frais à la charge des familles représentent encore respectivement 43 et 34 % en moyenne des dépenses totales de santé.

Comment les pays peuvent-ils financer la CSU ?

Il est bien évident que, pour atteindre de tels objectifs, les pays doivent dégager des fonds. Comment faire me direz-vous ? Je réponds que même les pays les plus pauvres ont la possibilité d’augmenter leurs ressources nationales et d’utiliser plus efficacement les moyens dédiés à la santé. La croissance économique a permis à la plupart de ces pays d’élargir leur assiette fiscale au cours des dernières années, en particulier en Afrique où elle avait le plus progressé avant le recul actuel. Toutefois, étant donné que la croissance mondiale et régionale s’est ralentie, les pays ne peuvent plus compter sur cette seule source de recettes pour progresser.

En revanche, l’usage plus efficace des dépenses de santé est une source de recettes encore plus importante. Le rapport 2010 sur la santé dans le monde de l’OMS indiquait qu’environ 20 à 40 % des dépenses de santé totales (soit de 1 400 à 2 900 milliards de dollars en 2012) seraient gaspillés en raison de la corruption ou d’autre dysfonctionnements. Sont entre autres visés le prix excessif des médicaments, l’usage de médicaments contrefaits ou de qualité inférieure, le recours à des technologies et équipements surdimensionnés, un personnel soignant inapproprié ou onéreux, la taille inadaptée des hôpitaux, etc. Si certains changements indispensables étaient réalisés, cela permettrait d’utiliser plus efficacement les ressources allouées à la santé et d’obtenir de bien meilleurs résultats.

En dépit du ralentissement économique, la majorité des pays à revenu faible et intermédiaire disposent de plusieurs leviers pour dégager des fonds, notamment en améliorant le recouvrement des impôts et l’action publique en la matière. Le Fonds monétaire international (FMI) a par exemple estimé que les pays à revenu faible pourraient gagner quatre points de PIB grâce à des recettes fiscales supplémentaires. Une administration fiscale plus efficace et l’élargissement de l’assiette d’imposition permettrait ainsi aux pays en développement d’améliorer la collecte de l’impôt. Cela ne se fera sans doute pas en un jour, mais c’est réalisable. Par ailleurs, les pays en développement pourraient aussi entreprendre des réformes fiscales pour accroître leurs recettes. Par exemple, des impôts indirects tels que la TVA sont encore faibles dans certains pays, qui disposent donc d’une marge de manœuvre à exploiter.

Mais c’est aussi en luttant contre l’évasion et la fraude fiscales et en limitant les incitations fiscales aux entreprises, comme celles liées aux ressources naturelles, que les pays à revenu faible et intermédiaire peuvent dégager des recettes supplémentaires. Les États doivent aussi s’efforcer de stopper les fuites de recettes consécutives à la corruption et aux flux financiers illicites. Selon le Global Financial Integrity (GFI), un think tank anticorruption basé à Washington, le produit des flux financiers transfrontaliers liés à des activités criminelles, à la corruption et à l’évasion fiscale représenteraient de 1 000 à 1 600 milliards de dollars à l’échelle mondiale. Rien qu’en Afrique, le Panel de haut niveau sur les flux financiers illicites, présidé par l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, estime qu’au moins 50 milliards de dollars sont détournés illégalement chaque année, soit le double de l’aide publique au développement reçue par le continent en 2014.

L’innovation fiscale est une autre source potentielle de recettes, à l’image des taxes sur l’alcool et le tabac, sur les services de télécommunication, sur la responsabilité sociale des entreprises, etc. Ces recettes fiscales sont parfois affectées à des secteurs spécifiques comme la santé ou l’éducation, mais cela risque de créer une certaine rigidité et de s’avérer finalement contreproductif. À ce propos, je tiens à signaler que nos collègues de l’éducation se posent exactement les mêmes questions sur l’usage de ressources nationales supplémentaires. Et il en va de même dans le secteur de l’infrastructure. Il me semble donc qu’il y aurait avantage à adopter une approche plus intersectorielle ou multisectorielle, en regroupant au minimum la santé et l’éducation afin de plaider ensemble pour qu’elles deviennent des priorités et leur allouer davantage de moyens.

Il est par conséquent indispensable d’améliorer le dialogue entre les différents ministères, en particulier pour convaincre les décideurs financiers de la rentabilité des investissements dans la santé et l’éducation.

Améliorer l’utilisation des ressources externes

Enfin, je voudrais aborder le sujet de l’amélioration de l’usage des ressources externes, autre levier qui pourrait favoriser la mise en place de la CSU. La période des OMD a vu un accroissement de l’aide au développement en faveur de la santé : dans les pays à faible revenu, elle a été multipliée par six entre 1990 et 2014 et elle représente aujourd’hui 30 % des dépenses de santé. Or même si la part des ressources nationales augmente, bien des pays à revenu faible et particulièrement fragiles ont toujours besoin d’une aide extérieure importante pour améliorer la santé de leur population. Sans cette assistance, les progrès observés dans ces pays n’auraient jamais pu être réalisés.

Pourtant, nous constatons ces dernières années un changement dans les priorités des bailleurs de fonds. La santé n’est plus aujourd’hui que l’une des nombreuses questions à l’ordre du jour des donateurs, au même titre que le changement climatique, la sûreté, les crises humanitaires et les afflux de réfugiés, entre autres. Par conséquent, nous ne pouvons pas espérer que l’aide internationale en faveur de la santé progresse comme par le passé, car les donateurs veulent de plus en plus « en avoir pour leur argent ». Il est donc encore plus important que nous puissions leur garantir que l’aide reçue est utilisée à bon escient, allouée aux secteurs où les besoins sont les plus criants, mais aussi que les pays se préparent à une possible réduction de l’assistance extérieure à mesure qu’ils se développent.

Gavi, l'Alliance du vaccin, l’organisation dont je préside le conseil d’administration, est l’un des exemples qui montrent comment cet objectif peut être atteint. Gavi aide les pays à introduire de nouveaux vaccins et à consolider leurs programmes de vaccination, c’est-à-dire à réaliser des investissements dans la santé qui comptent parmi les plus efficaces. Nous évaluons systématiquement quels programmes financer en fonction du pays où on peut en attendre les meilleurs résultats. Le développement durable est au cœur de notre modèle économique et tous les pays, même les plus pauvres, contribuent aux programmes soutenus par Gavi. La participation des pays augmente proportionnellement à leur croissance, jusqu’à ce qu’ils puissent se préparer à continuer sans l’aide de Gavi. Ce modèle garantit l’adhésion des pays, confère à la vaccination un espace fiscal et budgétaire, et favorise le développement durable des pays.

À cet égard, il est important que les pays, de même que leurs partenaires de développement, veillent à ce que l’aide extérieure soit utilisée pour mieux exploiter les ressources nationales, voire celles du secteur privé, et ce afin d’améliorer le financement de systèmes de santé plus performants.

En conclusion, je pense que nous disposons d’arguments solides qui militent pour les investissements dans la CSU, en particulier dans des actions de prévention essentielles comme la vaccination. Nous avons aussi la possibilité de renforcer l’utilisation efficace des ressources actuellement dédiées à la santé, mais aussi de trouver des ressources supplémentaires. N’oublions pas cependant qu’il nous faut plaider notre cause. Responsables de la santé et des finances, nous devons travailler main dans la main. Nous devons aussi nouer des partenariats avec le secteur de l’éducation. Nous devons utiliser judicieusement l’aide extérieure afin d’obtenir des résultats mesurables. Mais avant tout, ne tenons jamais rien pour acquis.

Discours d’ouverture de Mme Ngozi Okonjo-Iweala, présidente du conseil d’administration de Gavi, l’Alliance du vaccin, lors du premier Forum annuel sur le financement de la couverture santé universelle (a) organisé à Washington les 14 et 15 avril 2016. 

En savoir plus
Gavi, l'Alliance du vaccin
Forum annuel sur le financement de la couverture santé universelle (a)


Auteurs

Ngozi Okonjo-Iweala

Directrice générale de l'Organisation mondiale du commerce

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