À l’aube du 21e siècle, la promesse d’un monde sans pauvreté semblait à notre portée, un monde où les niveaux de vie augmenteraient tout en préservant une planète vivable. En deux décennies, nous avons accompli des progrès importants dans la quête d’un avenir plus équitable. Pourtant, les femmes continuent de se heurter à des obstacles tenaces qui entravent leur participation au marché du travail et leur contribution pleine et entière au développement économique.
Certes, plusieurs normes juridiques internationales ont été adoptées, comme la Convention no 111 de l’Organisation internationale du travail visant à éliminer les discriminations dans l'emploi et la profession. De même, les restrictions d’emploi pour les femmes cèdent de plus en plus la place à des mesures de santé et de sécurité au travail. Pour autant, dans 59 des 190 économies étudiées par le rapport Les Femmes, l’Entreprise et le Droit de la Banque mondiale, les femmes continuent d'être confrontées à des obstacles juridiques et systémiques qui les empêchent d'accéder à des emplois dans différents secteurs économiques, et notamment l'exploitation minière, le travail en usine, le bâtiment, l’énergie, l’eau, l’agriculture et les transports (voir figure 1).
Ces restrictions constituent non seulement une injustice morale, mais aussi un frein économique. En effet, la ségrégation professionnelle entre les femmes et les hommes concourt à l’inefficacité du marché du travail (a), nuit à la flexibilité économique et contribue au chômage et au déficit de compétences en limitant la mobilité entre métiers genrés.
Le secteur minier est le plus restrictif : environ un quart des 190 économies étudiées limitent l’emploi féminin dans l'exploitation minière. Il existe également des barrières importantes dans la construction et le travail en usine, et des limitations moindres mais malgré tout significatives dans les secteurs des transports, de l’agriculture, de l’énergie et de l’eau (figure 1). De telles restrictions ont pour effet de limiter les choix professionnels des femmes dans le monde entier, et en particulier dans les économies où le secteur industriel forme la colonne vertébrale de l’économie et emploie la majorité de la main-d’œuvre. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, par exemple, le secteur des industries extractives (minerais et énergie) constitue une part prépondérante des recettes d’exportation du pays, contribuant à plus de 25 % du PIB national (a). Or les femmes ne sont pas autorisées à y travailler, ce qui les empêche d’accéder à des secteurs parmi les plus lucratifs et les cantonne à des emplois moins bien rémunérés.
Figure 2. Restrictions à l’emploi par région et groupe de revenu |
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Source : Base de données du rapport Les Femmes, l’Entreprise et le Droit 2024. |
Les restrictions à l’emploi varient considérablement d’une région et d’une catégorie de revenu à l’autre (figure 2). Avec 62,5 % des pays de la région qui imposent des limitations à l’emploi féminin, l’Asie du Sud arrive en tête du classement, suivie de l’Europe-Asie centrale (39 %). Cette proportion est également la plus élevée dans les pays à revenu faible ou intermédiaire de la tranche inférieure, mais atteint aussi près de 30 % dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Ces résultats brossent un tableau peu réjouissant des inégalités entre les sexes dans l’accès au marché du travail à travers le monde. La croissance économique à elle seule ne suffit pas à démanteler des restrictions qui sont profondément enracinées, et il faut redoubler d’efforts pour remettre en cause et s’affranchir des normes et préjugés sociétaux qui entravent la participation des femmes à la vie économique.
Mais le tableau n’est pas tout sombre. En 2023, cinq économies ont levé des restrictions qui limitaient le travail féminin dans différents secteurs économiques. L’Azerbaïdjan a levé ces interdictions (a) dans plus de 600 tâches ou métiers. La Sierra Leone a mis fin aux restrictions dans tous les secteurs économiques, tandis que l’Ouzbékistan a supprimé celles qui touchaient au secteur minier. La Malaisie a levé l’interdiction faite aux femmes de travailler de nuit dans l’industrie, tandis que la Jordanie restreint désormais certains emplois aux femmes enceintes et allaitantes uniquement, ouvrant ainsi davantage de perspectives dans divers secteurs.
Par ailleurs, sachant que l’on ne peut améliorer ce qu’on ne mesure pas, il est essentiel d'étayer les cadres juridiques à l'aide de données qui permettent une meilleure compréhension de la situation. Or, seules 90 économies sur 190 ont publié des données sur l’emploi féminin par secteur d'activité au cours des trois dernières années. Avec des données qui ne concernent que 80 économies, les lacunes sont particulièrement importantes pour l’exploitation minière, qui est aussi le secteur le plus restrictif. On observe en revanche que 92 économies ont publié des données ventilées par sexe pour les transports, alors que ce secteur présente moins de limitations pour l’emploi des femmes (figure 3). Ces disparités mettent en évidence une réalité préoccupante : les secteurs dans lesquels les obstacles à l’accès des femmes au marché du travail sont les plus enracinés ne sont pas nécessairement ceux qui sont les plus scrutés.
L'égalité des chances économiques pour les femmes nous concerne tous, et pour y parvenir, il faut avancer sur trois enjeux : disposer de bons indicateurs, réformer le droit et renforcer la coopération internationale et la responsabilisation des pays. La collecte et l’analyse de données ventilées par sexe sont essentielles pour éclairer la prise de décisions. Les réformes juridiques et politiques qui promeuvent l’égalité entre les sexes au travail et éliminent les restrictions limitant les choix professionnels des femmes revêtent une importance capitale pour élargir leurs perspectives économiques. Enfin, la coopération internationale et l’obligation de rendre compte sont indispensables pour garantir le respect des engagements en faveur de la promotion des droits économiques des femmes.
Les données et les conclusions du rapport Les Femmes, l’Entreprise et le Droit permettent aux gouvernements, décideurs, organisations de la société civile ou simples particuliers d’évaluer l’environnement juridique et réglementaire de leur pays, de promouvoir des réformes qui garantissent l’accès des femmes au marché du travail et de contribuer à favoriser le partage de la prospérité et l’égalité des chances économiques pour tous.
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