Malgré les milliards de dollars dépensés dans l’éducation, la santé et les infrastructures, pourquoi tant de pays peinent-ils à progresser véritablement sur la réalisation de leurs objectifs de développement ? Faut-il dépenser plus ou mieux ?
Le Groupe de la Banque mondiale considère depuis longtemps que la gouvernance joue un rôle essentiel dans l’efficacité des dépenses publiques. Son engagement dans ce sens s'est imposé avec plus de force en 1996, lorsque le président de la Banque mondiale d’alors, le regretté Jim Wolfensohn, a appelé à s'attaquer au « fléau qu'est la corruption ». Aujourd’hui, on assiste à l'émergence d’un axe de réflexion (a) parmi les chercheurs et les décideurs, qui pointe, au-delà de l’importance des dépenses et de la formulation des politiques publiques, celle de leur mise en œuvre. Et, pour améliorer efficacement l'exécution des politiques, il est essentiel d’adopter une approche guidée par les données et d’identifier les indicateurs pertinents pour suivre les progrès, mettre au jour les goulets d’étranglement et déterminer en temps opportun les corrections à apporter.
Plusieurs initiatives ont déjà vu le jour ces dernières décennies qui ont permis des progrès considérables dans les efforts d’analyse de la gouvernance à l’aide de la collecte de données. Citons notamment les Indicateurs de la gouvernance dans le monde (1996) (a), les enquêtes auprès des entreprises (1996) (a), le programme Dépenses publiques et évaluation de la responsabilité financière (PEFA, 2001) (a), le portail BOOST pour la transparence budgétaire (2010) (a), l’Enquête mondiale auprès des fonctionnaires (GSPS, 2022) (a), le projet Business Ready (2024) (a) et la toute nouvelle initiative d’évaluation et examen des institutions nationales (CLIAR). Le type de données collectées a évolué au fil du temps. Au lieu de considérer les administrations publiques comme une entité uniforme, les efforts de collecte de données se sont progressivement concentrés sur l’individualisation des institutions publiques et l’étude des institutions spécifiques responsables des dépenses et de la mise en œuvre des politiques (à l’instar, par exemple, du portail BOOST et du programme PEFA). Les ministères de la santé, les départements de l’éducation et les administrations locales jouent tous un rôle dans la concrétisation des budgets en services effectivement fournis à la population. Lorsque l’on se penche sur ces organisations, il apparaît clairement que les mécanismes de reddition de compte, de transparence et d’administration publique sont essentiels à leur bon fonctionnement.
Afin de nourrir cette réflexion et mettre les idées en pratique, le département Institutions de la Banque mondiale a récemment organisé une conférence sur le thème « Institutions publiques au service du développement » (a). Parmi les décideurs et les chercheurs réunis à cette occasion, Karthik Muralidharan (a) a exposé les grandes lignes d’un programme clair de réformes des institutions publiques. Ces réformes grâce auxquelles les institutions du secteur public pourraient se hisser à la hauteur des besoins de la population sont susceptibles de générer un retour sur investissement dix fois supérieur à celui obtenu avec des dépenses supplémentaires, affirme l'économiste en s'appuyant sur des études approfondies du personnel et des institutions chargés de l’éducation (a), de la protection sociale des agriculteurs (a), du développement de la petite enfance (a) et du soutien à l’emploi rural en Inde (a).
Mais alors, où cibler les efforts de réforme ? Karthik Muralidharan préconise plusieurs domaines d’action essentiels à l’intention des gouvernements et des décideurs politiques : exploiter la technologie et les données pour améliorer le recouvrement des recettes, utiliser des données factuelles et indépendantes pour la définition et l’évaluation des objectifs, garantir une structure de rémunération appropriée dans la fonction publique et, lorsque le secteur public est trop faible, mettre en place des cadres réglementaires et sous-traiter la prestation de certains services au secteur privé.
Les experts de la Banque mondiale qui travaillent sur les institutions et la gouvernance œuvrent déjà dans tous ces domaines afin de soutenir l'action des pays clients. Nous nous efforçons notamment de mettre au point de nouveaux indicateurs pour recueillir des informations globales sur la gouvernance en général, mais aussi des données détaillées sur les dépenses, la dotation en personnel et les procédures au niveau d’institutions spécifiques afin d'évaluer leurs capacités.
Comment aller plus loin ? Pour comprendre les ressorts de l'efficacité des réformes, il est important, selon la professeure Rema Hanna (a), de mener des recherches en partenariat avec les institutions de gouvernement. Une grande partie de la recherche universitaire a en effet traditionnellement concerné des études à petite échelle, réalisées souvent avec des ONG ou d’autres entités privées. Or, la collaboration avec des institutions publiques offre la possibilité d'étudier des interventions groupées plus complexes, ainsi que les interactions entre les initiatives de l'État et le marché privé, ou encore l’influence du contexte local sur les résultats des politiques publiques. La conférence a ainsi été l’occasion d’illustrer le potentiel de ce type de travaux, avec la présentation de recherches détaillées sur l’amélioration de l’organisation, de la transparence et de la redevabilité des institutions chargées de la réglementation et de la passation des marchés.
Partout dans le monde, l’impact des dépenses publiques n'est souvent pas à la hauteur des attentes, en raison de la faiblesse des institutions, de l’insuffisance des incitations et du manque de redevabilité. Il est possible d’y remédier, et ce d’autant plus l’on dispose de nouvelles données et de travaux de recherche de pointe. Avec à la clé des changements institutionnels qui, à leur tour, conduiront à des améliorations tangibles dans les services publics. Le renforcement des capacités institutionnelles pourrait être l’une des stratégies de développement les plus efficaces. C'est ce à quoi s’emploie le département Institutions de la Banque mondiale, en s'efforçant de collecter les données et éléments factuels indispensables pour y parvenir.
Prenez part au débat