Où vivent ces 370 millions d’« autochtones », qui sont-ils et pourquoi sont-ils à ce point surreprésentés parmi les pauvres ?
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’Amérique latine n’abrite en réalité qu’environ 8 % des populations autochtones du monde, tandis qu’elles sont plus de 75 % à vivre en Chine, en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est, selon la première étude de la Banque mondiale consacrée à la pauvreté des peuples autochtones dans le monde en développement ( Indigenous Peoples, Poverty, and Development [a]).
Qu’appelle-t-on un peuple autochtone ?
Il n’y a pas de réponse simple à cette question dans la mesure où il n’existe pas de définition universellement acceptée ou obligée de la notion de « peuple autochtone ». On peut cependant se référer aux caractéristiques générales formulées par l’ONU, à savoir : les peuples autochtones sont reconnus par des lois internationales ou nationales comme des groupes sociaux jouissant de droits spécifiques fondés sur leurs relations historiques à un territoire particulier, ainsi que sur des particularités culturelles, linguistiques ou historiques qui les distinguent d’autres segments de la société qui exercent généralement une domination politique. La reconnaissance d’un groupe donné comme constituant un peuple autochtone est source de controverses et sensible politiquement puisqu’elle peut entraîner des obligations relevant des droits de l’homme et des revendications pour l’accès aux ressources.
La catégorisation d’une population comme autochtone varie considérablement en fonction de l’époque et de la définition qu’on en donne. Un rapport (a) cite l’exemple du Guatemala, où, alors qu’un petit nombre seulement de personnes se reconnaissaient comme autochtones durant les troubles civils des années 80 et 90, ce chiffre a bondi de 6 points de pourcentage après les accords de 1996 et que le fait de se déclarer autochtone était devenu sans danger. Au Pérou, comme l’indique le rapport Indigenous Latin America in the Twenty-First Century (a), presque un tiers de la population nationale s’identifie comme autochtone, mais ce chiffre tombe à 16 % si on ne considère que les personnes qui parlent une langue autochtone.
Par ailleurs, les termes utilisés pour désigner les populations autochtones varient en fonction des pays : par exemple, le terme de « minorité ethnique » correspond en Chine à ce que l’on considère ailleurs comme un peuple autochtone, tandis qu’en Inde on parle de « tribu répertoriée » ou Adivasi (les « premiers habitants ») et que les Samis sont un peuple autochtone du nord de la Scandinavie et de certaines régions de Russie. En Afrique, on décrira les populations autochtones par des termes qui décrivent des modes de vie et de subsistance socioéconomique : pastoralisme, chasseurs-cueilleurs, pêcheurs, agriculteurs. L’important est d’appliquer ce concept avec souplesse, en mettant l’accent sur l’auto-identification et en tenant compte du pays et du contexte.
Les peuples autochtones sont systématiquement plus pauvres
En compilant les données d’enquête nationale de dix pays en Amérique latine, en Asie et en Afrique, notre étude est en mesure d’évaluer les taux de pauvreté pour environ 80 % de la population autochtone mondiale. Nous avons visé large en incluant, sous réserve des données disponibles, toutes les personnes qui correspondent à l’une ou l’autre des définitions qui déterminent les caractères d’un autochtone, selon un gouvernement, une institution ou une organisation qui se reconnaît comme autochtone.
Les résultats de ces recherches montrent que les autochtones sont plus pauvres que le reste de la population dans tous les pays étudiés. Leurs taux de pauvreté (c’est-à-dire le pourcentage qui vit au-dessous du seuil de pauvreté) sont bien plus élevés que dans le reste de la population des pays, tandis que les écarts de pauvreté (c’est-à-dire la distance qui les sépare du seuil de pauvreté) sont bien plus importants que les moyennes nationales. Ce qui signifie que non seulement il y a plus d’autochtones pauvres mais aussi que leur niveau de pauvreté est plus élevé. Cette situation se traduit de diverses manières : des droits de propriété et fonciers précaires, des discriminations, une plus grande vulnérabilité aux risques et aux changements climatiques, sans compter de multiples disparités en matière de santé et d’éducation et plus généralement sur le plan socioéconomique.
De plus, l’analyse de l’historique des données, qui permet dans certains cas de remonter jusqu’à plus de vingt ans, révèle que, dans la plupart des pays, la baisse des taux de pauvreté chez les peuples autochtones a été plus lente que dans le reste de la population (graphique 2), ce qui signifie que les inégalités se sont accentuées. Une tendance qui perdure d’après les conclusions d’ études récentes sur l’Amérique latine qui montrent que l’écart entre les taux de pauvreté des autochtones et ceux du reste de la population ne se résorbe pas et qu’il se creuse même dans certains cas. La Chine fait figure d’exception, mais comme les données disponibles pour ce pays couvrent une période beaucoup plus limitée que dans les autres cas étudiés, cette tendance est moins bien établie.
Comment lutter contre la marginalisation des peuples autochtones ?
Pourquoi la pauvreté est-elle plus répandue, plus élevée et plus tenace chez les peuples autochtones ? Et comment y remédier ? Les facteurs à l’origine de ces disparités persistantes sont nombreuses, de l’ exclusion géographique et politique dont souffrent les peuples autochtones et leur oppression historique à leur plus forte exposition aux risques, en passant par leur accès limité aux infrastructures et aux biens matériels. On dispose aussi de nouveaux éléments qui viennent montrer l’importance capitale des investissements dans le développement de la petite enfance et de la réduction des discriminations pour parvenir à briser ce cercle vicieux qui enferme les populations autochtones dans la pauvreté. Ces deux axes d’action méritent qu’on leur consacre plus d’attention, tant sur le plan de la recherche que des politiques publiques. Nous y reviendrons dans les deux prochains billets.
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Pour visualiser l’exposé de Gillette Hall, consulter la série de webinaires sur l’inclusion sociale (a).
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