Publié sur Opinions

Investir dans la prévention des pandémies pour renforcer l’efficacité de la structure du secteur de la santé internationale

© OIE/ B.Enkhtuul © OIE/ B.Enkhtuul

S’agissant des pandémies, les milliards de dollars consacrés à la prévention ne sont rien comparé à ce que coûtent les remèdes. Mais comment cette idée simple peut-elle déboucher sur une action efficace qui sauvera des vies ? 

Les pays, les acteurs influents et les institutions ne sont globalement pas parvenus à prendre des mesures préventives alors que les épidémies de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et de grippe aviaire en avaient largement prouvé la nécessité. Les conséquences de ces failles sont claires, et le monde paie aujourd’hui le prix de son incapacité à avoir saisi l’occasion par le passé de faire de la prévention une priorité.

En mars 2021, 26 chefs d’État et de gouvernement et le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont appelé les autres dirigeants de la planète à une « action conjointe pour renforcer la structure du secteur de la santé internationale » afin de protéger le monde des pandémies et autres crises sanitaires à venir.

Au cœur de leur appel figure un nouveau traité destiné à engager les pays à mieux lutter contre des maladies comme la COVID-19, Ebola, la grippe et le SRAS, et plus généralement contre l'éventualité de nouvelles menaces sanitaires. Nous devons encourager une approche inclusive qui rassemble les autorités nationales et la société afin de répondre plus efficacement aux crises futures.  Ce qui consiste en premier lieu à promouvoir le concept d’« Une seule santé » (One Health), qui prend acte de l’interdépendance entre santé animale, humaine et environnementale.

Environ 75 % des maladies infectieuses émergentes (a) sont d’origine animale et, pour la plupart, dues aux activités humaines et à leurs effets sur l’environnement. Il est donc essentiel de considérer la santé dans sa globalité, afin d’inciter les parties prenantes de tous les secteurs à mieux comprendre les maladies infectieuses émergentes et à s’attaquer à leurs causes profondes.

Ce traité constituerait le signal fort et nécessaire d’un engagement politique de haut niveau pour protéger la planète des crises sanitaires. Son efficacité serait encore meilleure si le traité soutenait explicitement la prévention et mobilisait des financements conséquents à cette fin, y compris pour la lutte contre les risques sanitaires d’origine animale.

Les estimations relatives à la crise de la grippe aviaire (a) et à la résistance aux antimicrobiens plaident avec force en faveur d’un investissement dans la prévention, dont le rendement serait de l’ordre de 44 % à 88 %, soit bien supérieur à celui de presque toutes les autres dépenses publiques et des marchés financiers privés.

Selon des estimations récentes (a), la prévention des zoonoses coûterait entre 18 et 27 milliards de dollars par an sur 10 ans, en tenant compte de la surveillance et de la prévention de la propagation des maladies imputable à la perte et à la fragmentation des forêts tropicales ainsi qu’au commerce des espèces sauvages. D’après les prévisions établies par la Banque mondiale en janvier (a), la COVID-19 a provoqué une contraction de 4,3 % de l’économie mondiale en 2020, soit une perte d’environ 3 600 milliards de dollars en biens et services. Et ce chiffre ne tient pas compte des multiples souffrances subies par les populations : décès, maladie, perte de moyens de subsistance ou interruption de la scolarité...

En d’autres termes, le coût annuel de la prévention représente moins de 1 % du coût de la pandémie actuelle !

Or, l’argument économique, pourtant irréfutable, n’a pas suffi à inciter la communauté internationale à mobiliser des financements soutenus.

Qu’est-ce qu’une prévention efficace ?

Depuis l’échelon local jusqu’à l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), les services vétérinaires jouent un rôle essentiel dans la lutte à la source contre les risques de pandémie.  En améliorant la santé et le bien-être des animaux, ils remplissent une mission fondamentale qui consiste à protéger les populations humaines des maladies animales, et inversement. Cette responsabilité est de plus en plus partagée par la communauté au sens large, car les maladies émergentes sont en grande partie déterminées par de nombreux facteurs, comme le changement climatique, l’utilisation des terres, l’expansion agricole, les systèmes alimentaires, l’urbanisation ou les conflits.

Aujourd’hui, les dirigeants cherchent des solutions à travers différentes initiatives. Un Groupe d’experts de haut niveau pour l’approche Une seule santé a été mis en place en novembre 2020 à l’initiative de la France et de l’Allemagne. Le G7 a pour ambition de reconstruire en mieux (a), en tirant les leçons des stratégies fructueuses afin d’être mieux préparé aux futures pandémies et menaces pour la santé publique. Le Conseil européen (a) soutient l’idée d’un traité vigoureux sur les pandémies. Sous la présidence italienne du G20, les pays réfléchissent à la nécessité d’aligner leur politique étrangère sur leurs stratégies nationales en faveur d’une approche sanitaire unifiée, ce qui incite les autres pays à prendre les mêmes mesures. Nous devons veiller à ce que ces propositions multilatérales soient coordonnées et débouchent sur des approches équitables et inclusives. Seul un financement durable permettra d’y parvenir.

Pour être réellement efficace, le traité proposé aujourd’hui devrait s’accompagner de la création d’un fonds mondial de soutien à l’approche One Health. Ce fonds, qui s’inscrirait dans un écosystème plus large de mécanismes de financement, pourrait renforcer, et surtout soutenir, les dépenses publiques et les investissements privés, et mobiliser des ressources financières pour la prévention des maladies, dans l’intérêt de tous et pour protéger des vies et des moyens de subsistance à l’échelle de la planète. Et parce que ce système sanitaire mondial n'est pas plus solide que son maillon le plus faible, ce fonds devrait renforcer les capacités de prévention dans les pays qui ont le plus besoin d’aide, à savoir en général les pays à revenu faible ou intermédiaire. 

Les pandémies ne s'arrêtent pas aux frontières ; investir dans la prévention est le premier des biens publics mondiaux.  En échouant à prendre des mesures lors des épidémies précédentes, nous avons laissé notre tâche inachevée. Si nous ne tirons pas les enseignements des erreurs commises, nous en paierons le prix non pas si une nouvelle pandémie se déclare, mais quand elle ne manquera pas de survenir. Une action coordonnée de la communauté internationale est un impératif incontournable. La Banque et l’OIE, ainsi que d’autres partenaires clés, étudient les possibilités d’une structure mondiale de financement (a) qui apportera un soutien durable à des actions sanitaires efficaces pour la prévention des zoonoses.

Dans quelques semaines, le G20 organisera le Sommet mondial de la santé. Ce sera l’occasion de conclure des accords multilatéraux concrets sur la prévention des futures crises sanitaires mondiales. Il est temps de faire preuve de détermination et d’adopter une approche volontariste et préventive face aux maladies émergentes afin de mettre en place un solide système de santé unifié au niveau mondial.  C’est la seule façon de rompre le cycle de la panique et de l’oubli. C’est la seule façon d’atténuer les conséquences des futures pandémies.

Saisissons cette occasion pour faire de la prévention des zoonoses une priorité et engageons-nous dans la construction d’un monde plus sain, plus sûr, plus équitable et plus durable. 


Auteurs

Martien van Nieuwkoop

Directeur mondial, pôle Agriculture et alimentation, Banque mondiale

Monique Eloit

Directrice générale de l'Organisation mondiale de la santé animale

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