Publié sur Opinions

Start-uppeuses et lutte contre la pauvreté : un potentiel inexploité

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À Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC), Kany Mafuta dirige une petite entreprise qui produit de la farine de manioc. La demande locale est en plein essor, mais l’entrepreneure n’a pas les moyens d’acquérir de nouveaux équipements pour développer son activité. Elle a bien obtenu un petit crédit dans le cadre d’un programme financé par le Groupe de la Banque mondiale, mais ne parvient pas à accéder à d’autres sources de capitaux : les banques locales ne lui proposent que des prêts à des taux d’intérêt prohibitifs. Et pourtant, avec ces financements supplémentaires, Kany Mafuta pourrait développer sa clientèle, augmenter sa production et aider ainsi à satisfaire la hausse de la demande de ce qui constitue un aliment de base en RDC, et, enfin, créer des emplois dans un pays où le taux de chômage est extraordinairement élevé.

Le cas de Kany Mafuta n’est pas singulier : il trouve un écho de San Francisco à Shanghai, en passant par Dakar. Qu’elles soient productrices de farine de manioc en RDC ou de blé dans le Dakota du Nord, les femmes entrepreneurs ont en commun d’être confrontées à des obstacles qui leur sont propres.

Rappelons qu’à l’échelle mondiale à peine plus de 30 % des entreprises officiellement enregistrées appartiennent à des femmes . Il est indispensable de faire croître considérablement ce chiffre car nous savons que les entreprises féminines contribuent à la création d’emplois, ce qui nous permettra d’atteindre d’autant plus vite notre objectif visant à mettre fin à l’extrême pauvreté à l’horizon 2030.

Dans nombre de pays en développement, en particulier, les femmes sont pénalisées par des normes sociales et des législations qui leur interdisent d’accéder à la propriété ou de travailler sans l’aval d’un parent masculin. Mais certaines barrières économiques et sociales ont une dimension mondiale : les femmes n’ont souvent pas accès aux capitaux ou aux réseaux professionnels nécessaires à leur réussite. C’est pourquoi, en recourant à des méthodes innovantes dans un pays donné, nous pouvons en tirer des enseignements qui bénéficieront aux femmes de bien d’autres pays.

Nous avons par exemple constaté l’efficacité supérieure des programmes qui ne se contentent pas de fournir des financements mais qui procurent en outre aux entrepreneures tout l’« écosystème » dont elles ont besoin, à savoir des formations, un mentorat et un accompagnement au réseautage. De même, alors que les formations commerciales traditionnelles n’ont que peu d’impact sur les résultats des entreprises féminines, les programmes portant sur le « savoir-être » et les compétences relationnelles (persévérance, innovation, fixation d’objectifs, etc.) ont des effets plus positifs. Il s’agit ici de promouvoir une approchée axée sur la psychologie qui développe l’esprit d’initiative et les comportementaux proactifs chez les entrepreneur-e-s.

Une expérience menée au Togo a ainsi révélé que ce type de formation orienté sur l’initiative personnelle entraînait chez les entreprises féminines une hausse des bénéfices de 40 %, contre 5 % seulement dans le cas d’une formation classique à la gestion. Nous transposons actuellement ces enseignements au Mexique, en Mauritanie, au Mozambique et en Éthiopie.

Comme dans la Silicon Valley, on trouve en République du Congo et en Guinée des projets qui encouragent les femmes à investir des secteurs lucratifs et dominés par les hommes en s’attachant à faciliter leur accès à l’information, à les accompagner avec des programmes de mentorat et à les familiariser tôt avec ces possibilités de carrière. Au Pakistan, au Nigéria et au Moyen-Orient, des incubateurs et accélérateurs de start-up soutiennent l’insertion féminine en puisant dans le vivier des universités, associations de femmes et autres réseaux, tout comme le font les incubateurs et accélérateurs dans les métropoles des États-Unis.

Certes, chaque programme diffère en fonction des circonstances locales, mais l’on peut présumer sans caricaturer que ce qui marche ailleurs dans le monde peut s’appliquer aux États-Unis et vice versa. Est-il possible d’adapter à la région des Appalaches un projet né en Inde ? L’approche de formation expérimentée au Togo est-elle prometteuse pour la Rust Belt américaine ? Alors que les entreprises, les institutions financières, les ONG et de nombreuses autres organisations s’emploient à trouver des solutions pour lever les obstacles qui entravent les femmes entrepreneurs, on assiste à un processus formidable de « pollinisation croisée » et de circulation des idées dans le monde entier.

Nos connaissances s’enrichissent de jour en jour. Alors ne perdons pas de temps pour exploiter et déployer ce qui marche en plus grand : accélérons nos efforts pour permettre aux femmes d’exprimer leur potentiel aux quatre coins du monde.

Ce billet a été initialement publié en anglais dans Inc. Magazine.


Auteurs

Jim Yong Kim

Ancien président du Groupe de la Banque mondiale

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